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Article de presse: Leonid Brejnev, la détente et le réarmement soviétique

Publié le 17/01/2022

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22-30 mai 1972 - A la fin de 1971 encore, les diplomates américains en poste à Moscou, constataient avec un certain effarement que l'homme qui présidait depuis sept ans déjà aux destinées du pays n'avait rencontré dans toute sa carrière qu'un seul homme politique américain : Gus Hall, secrétaire général du fantomatique Parti communiste des Etats-Unis... C'est pourtant avec Leonid Brejnev que Richard Nixon allait tenir, quelques mois plus tard à Moscou, ce qui restera probablement comme le plus important sommet de l'après-guerre. En fait, Leonid Brejnev n'avait pas attendu 1972 pour s'occuper directement des affaires étrangères. Sachant bien que c'est en particulier par la fréquentation des grands de l' " autre monde " que s'affirment en URSS le prestige et la notoriété nécessaires à la consolidation du pouvoir, il s'efforce à partir de 1969 de se manifester dans ce domaine, écartant progressivement Kossyguine, chef du gouvernement, et Podgorny, chef de l'Etat. Jusqu'alors, la diplomatie au sommet a été surtout conduite par deux hommes, le premier rencontrant Johnson aux Etats-Unis en 1967, ou encore Zhou Enlai à Pékin en 1969, tandis que le second s'occupe plus spécialement des pays arabes et du tiers-monde. Et lorsque de Gaulle vient à Moscou en 1966, Brejnev n'est qu'un parmi d'autres dans cette troïka : c'est en son nom qu'il lit de ternes discours préparés à l'avance. En revanche, l'arrivée de M. Brandt au pouvoir à Bonn et le début de son Ostpolitik introduit Leonid Brejnev comme l'architecte incontesté d'une " politique à l'Ouest " dont les résultats vont être, pour Moscou, particulièrement brillants. Mais son ascension va coïncider, au tournant des deux décennies 60 et 70, avec un autre phénomène encore plus important. Le programme de réarmement lancé dès la fin du " règne " de Khrouchtchev, en réaction à l'humiliation de Cuba, va devenir sous Brejnev-qui s'est présenté depuis le début comme le grand allié des militaires-l'un des plus importants de l'histoire, en seconde position dans le temps, mais non en volume, derrière celui auquel M. MacNamara a présidé aux Etats-Unis dans les années 60. Le parc soviétique de fusées intercontinentales, qui n'était que de 200 unités en 1964, passe en 1969 le cap des 1 000 lanceurs, celui auquel se sont arrêtés les Etats-Unis mais l'on ira jusqu'à 1 500 engins en 1972, pour redescendre dans la décennie suivante à un peu moins de 1 400. De même, l'arsenal de missiles stratégiques sous-marins, qui n'étaient que de 120 unités en 1964, sera porté à 560 en 1972 et à 950 aujourd'hui, alors que les Américains se sont arrêtés à 600. Cet effort, qui traduit une volonté de dépasser le rival et non pas seulement de rétablir l'égalité, se confirme dans le domaine naval, avec la transformation de la " marine croupion " dont Khrouchtchev voulait se contenter, en une grande flotte océanique à terre, avec une augmentation des effectifs à la fois sur la frontière chinoise et à l'Ouest enfin, avec une intense modernisation des forces, tout particulièrement sur le " théâtre " européen, où l'apparition des SS-20, à partir de 1977, s'ajoute à un dispositif militaire conventionnel déjà impressionnant-et rendu plus " crédible " depuis l'entrée de l'armée rouge en Tchécoslovaquie en 1968, qui a permis la constitution d'un seul front face à l'OTAN. En bref, il s'agit d'un renforcement " tous azimuts " destinés, comme l'explique Brejnev, à modifier le rapport des forces en faveur du " camp de la paix " et du socialisme. C'est sur cette base, et elle seule, en effet, que, dans l'esprit du dirigeant soviétique, peut et doit se développer la politique de " détente " : un mot que Brejnev emprunte à de Gaulle, mais qui ne recouvre que la face externe d'une politique visant essentiellement à encaisser les dividendes de l'effort militaire et de la longue patience avec laquelle Moscou a affiché, depuis la guerre, ses ambitions en Europe. Parité et condominium De l'Allemagne, on obtiendra donc la reconnaissance des nouvelles frontières et, mieux encore, celle du régime communistes de Berlin-Est des Etats-Unis, la consolidation de la parité nucléaire avec les accords SALT 1 de 1972-une parité que l'on essaiera de transformer, avec les déclarations subséquentes de 1973 et 1974, en une coopération pour le règlement des crises extérieures, autrement dit en ce que M. Jobert appellera le " condominium " sur les affaires du monde. De tout le monde occidental, enfin, une sorte de nouvelle entrée de l'URSS dans le concert des nations (la signature de l'Acte final d'Helsinki en 1975 fait pendant à la constitution de l'ONU trente plus tôt), une entrée dont on attend aussi des bénéfices matériels. La flambée des contrats pour la construction d'usines " clefs en main ", l'essor des achats de céréales à l'Ouest seront tels, dans les années que l'on en viendra à se demander si le traditionnel conflit " du beurre et des canons " n'a pas trouvé dans la Russie de Brejnev une solution originale : la priorité donnée aux canons a fini par faire venir le beurre, l'Occident vient au secours d'une économie soviétique épuisée par son effort militaire. Quelques grincements se produisent pourtant déjà dans la machine. Aux Etats-Unis, le Congrès a refusé de ratifier le traité de commerce conclu par Nixon et a insisté pour lier cette question à celle de l'immigration des juifs d'URSS. La préparation de la conférence d'Helsinki a donné lieu à une intense offensive des Occidentaux pour obtenir un progrès de la situation des droits de l'homme en URSS. Mais, surtout, cette conférence d'Helsinki, qui consacre le triomphe de la détente, est aussi le commencement de la fin. MICHEL TATU Le Monde du 14-15 novembre 1982

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