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Article de presse: L'OPEP en difficulté

Publié le 17/01/2022

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5 juillet 1985 - En cet été 1985 seront célébrés deux anniversaires: l'entrée de la Grande-Bretagne il y a dix ans dans le club fermé des grands producteurs de pétrole et la création, il y a vingt-cinq ans, à Bagdad, de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). L'une pavoise, l'autre pas. Tandis que le Royaume-Uni, devenu le troisième producteur mondial devant le Mexique et l'Arabie saoudite, bat tous ses records de production, l'OPEP, elle, n'a jamais depuis plusieurs décennies extrait moins de pétrole qu'en ce début juillet: à peine plus de 14 millions de barils par jour. (1) (soit moins d'un tiers de la production mondiale). Juste retour des choses ? Il est certain que l'Organisation paie très cher ses audaces passées. Pour avoir pendant huit ans dicté leur loi au marché et repris aux " sept soeurs " la maîtrise de leur sous-sol, les treize pays membres sont aujourd'hui les seuls à supporter le poids de la défense du prix du brut. Ils ont jusqu'ici assez bien réussi, pourront-ils tenir encore longtemps ? Rien n'est moins sûr. Si la chute des prix attendue depuis trois ans a jusqu'à présent été évitée, tous les experts ressortent depuis peu des tiroirs les scénarios de rupture abandonnés depuis plus de deux ans, même si le point critique n'est pas attendu avant 1986. L'OPEP n'est pas parvenue à maintenir les prix du brut au niveau de 1981 (34 dollars par baril) (2). De crise en crise les prix ont diminué d'environ 20 % depuis le début de 1983 (pour atteindre aujourd'hui 25 à 28 dollars selon les qualités). L'étonnant, cependant, c'est qu'ils n'aient pas baissé plus vite et plus fort. La chute de la consommation à un niveau inférieur à celui de 1973 crée des surcapacités énormes dans toute la filière pétrolière, de l'extraction du brut à la distribution. Sur un marché soumis à une vraie concurrence, les prix auraient dû chuter beaucoup plus rapidement à un point d'équilibre situé, selon les experts, entre 5 et 15 dollars par baril. L'OPEP jusqu'à présent a donc bien joué son rôle d'amortisseur, pour le plus grand profit des compagnies pétrolières, des Etats-Unis, et plus généralement de tous les producteurs non-membres de l'Organisation. Car si personne, sauf peut-être les vrais consommateurs (Europe, Japon et quelques pays développés du tiers-monde) n'a intérêt à une glissade accélérée des prix du pétrole, un faisceau d'intérêts pousse à un effritement progressif et bien contrôlé. Les grandes compagnies pétrolières veulent avant tout accroître au maximum la production de pétrole hors OPEP, la plus rentable et la plus sûre. A condition d'éviter un trop fort dérapage des prix : cette extraction est également la plus coûteuse et parfois supérieure à 15 dollars par baril. Premier consommateur mondial, les Etats-Unis ont intérêt à une baisse des prix du brut qui a été l'un des principaux facteurs de la reprise économique, sans inflation, depuis 1983. Chaque nouveau palier est donc une aubaine. Mais deuxième producteur de brut dans le monde,les Etats-Unis ont également tout à perdre d'une baisse incontrôlée. Quant aux producteurs non membres de l'OPEP (Grande-Bretagne, Norvège en tête), ils se satisfont pour l'heure de cette situation tant qu'ils peuvent augmenter leur production pour contrebalancer l'érosion des prix. La stratégie sinueuse de l'Arabie saoudite Combien de temps l'OPEP peut-elle encore jouer ce rôle? L'OPEP, ou plus exactement l'Arabie saoudite. Leader incontesté de l'Organisation grâce à ses capacités de production, sa flexibilité et son poids financier, le royaume Wahhabite a de loin consenti le plus gros effort. Ayant accepté en mars 1983 le rôle de producteur-tampon- " swing producer " -il a peu à peu réduit son extraction jusqu'à 2,2 millions de barils par jour, environ deux fois moins que l'an passé, quatre fois moins que ses capacités totales (9 millions de barils-jour). L'Arabie saoudite, dont l'exploitation pétrolière reste très dépendante des quatre compagnies américaines membres de l'ARAMCO, obéit à deux motifs apparemment contradictoires. A long terme, elle souhaite éviter les à-coups au commerce du pétrole sur le marché international. Elle peut parier sur le long terme détenant un quart des réserves mondiales. Une baisse des prix maîtrisée lui paraît dans cette optique sans doute souhaitable. A court terme, toutefois, elle veut conserver son pouvoir au sein de l'OPEP, dont dépend largement son poids politique international. D'où une stratégie sinueuse, imposée non sans difficultés à ses partenaires, avec la menace, à chaque occasion délicate, d'une guerre des prix. La strategie sinueuse de l'Arabie Saoudite Cette méthode, si elle a réussi à restaurer périodiquement une certaine discipline de l'OPEP, ne lui a en revanche pas permis d'obtenir l'appui durable des producteurs non-membres de l'organisation. Après s'être rapprochée, l'Egypte a claqué la porte au début de l'année, la Grande-Bretagne et la Norvège ont définitivement rompu toute solidarité en abandonnant au premier trimestre 1985 la fixation des prix officiels et en continuant d'accroître leur production. Seul le Mexique observe une politique prudente, bien qu'il ait récemment manifesté son impatience en réduisant il y a quelques semaines de façon limitée le prix de ses bruts lourds. Une fois de plus l'Arabie saoudite a dû agiter le spectre d'une guerre des prix en annonçant qu'elle pourrait refuser désormais de jouer son rôle de producteur-tampon. La menace est d'autant plus crédible que cette fois l'Arabie saoudite peut difficilement réduire encore sa production, ni même maintenir longtemps le niveau actuel, avec un déficit des paiements courants d'environ 20 milliards de dollars, le second après les Etats-Unis, et des avoirs extérieurs en chute libre, qui, au rythme actuel, seront épuisés dans cinq ou six ans. Au rythme actuel de production, Ryad, qui a déjà adopté cette année un plan de rigueur, verrait ses revenus pétroliers chuter encore de 40 %. Il lui faut absolument obtenir le soutien réel des autres membres de l'OPEP. L'ennui est que la plupart de ses partenaires, à l'exception de quelques pays du Golfe, se trouvent dans une situation financière encore plus critique. Le Nigeria a accumulé 20 milliards de dollars de dette extérieure, le Venezuela 35, l'Equateur 7, l'Indonésie, l'Algérie, le Gabon, ne se portent guère mieux. " L'OPEP a atteint un niveau de production difficilement compressible, tant techniquement que financièrement ", assure un expert. La situation est d'autant plus difficile que les perspectives sont mauvaises. La consommation ne manifeste aucun signe encourageant de reprise et les faibles progrès espérés en 1986 seront probablement profitables une nouvelle fois aux productions non OPEP. La Norvège devrait ainsi accroître prochainement son rythme d'extraction de quelque cent mille barils par jour. Les pays de l'OPEP n'ont plus l'espoir de voir le bout du tunnel avant au moins deux ans. Comment l'Arabie saoudite peut-elle convaincre le Nigeria, l'Algérie ou le Venezuela de se serrer encore durablement la ceinture pour garantir les prix des compagnies pétrolières, la reprise économique des Etats-Unis et les revenus pétroliers de la Grande-Bretagne et de la Norvège? Et ce d'autant qu'il ne faut pas trop compter sur le dollar pour compenser partiellement la perte du pouvoir d'achat. VERONIQUE MAURUS Le Monde du 5 juillet 1985

« l'OPEP, ne lui a en revanche pas permis d'obtenir l'appui durable des producteurs non-membres de l'organisation.

Après s'êtrerapprochée, l'Egypte a claqué la porte au début de l'année, la Grande-Bretagne et la Norvège ont définitivement rompu toutesolidarité en abandonnant au premier trimestre 1985 la fixation des prix officiels et en continuant d'accroître leur production.

Seulle Mexique observe une politique prudente, bien qu'il ait récemment manifesté son impatience en réduisant il y a quelquessemaines de façon limitée le prix de ses bruts lourds. Une fois de plus l'Arabie saoudite a dû agiter le spectre d'une guerre des prix en annonçant qu'elle pourrait refuser désormaisde jouer son rôle de producteur-tampon.

La menace est d'autant plus crédible que cette fois l'Arabie saoudite peut difficilementréduire encore sa production, ni même maintenir longtemps le niveau actuel, avec un déficit des paiements courants d'environ 20milliards de dollars, le second après les Etats-Unis, et des avoirs extérieurs en chute libre, qui, au rythme actuel, seront épuisésdans cinq ou six ans. Au rythme actuel de production, Ryad, qui a déjà adopté cette année un plan de rigueur, verrait ses revenus pétroliers chuterencore de 40 %. Il lui faut absolument obtenir le soutien réel des autres membres de l'OPEP.

L'ennui est que la plupart de ses partenaires, àl'exception de quelques pays du Golfe, se trouvent dans une situation financière encore plus critique.

Le Nigeria a accumulé 20milliards de dollars de dette extérieure, le Venezuela 35, l'Equateur 7, l'Indonésie, l'Algérie, le Gabon, ne se portent guère mieux." L'OPEP a atteint un niveau de production difficilement compressible, tant techniquement que financièrement ", assure un expert. La situation est d'autant plus difficile que les perspectives sont mauvaises.

La consommation ne manifeste aucun signeencourageant de reprise et les faibles progrès espérés en 1986 seront probablement profitables une nouvelle fois aux productionsnon OPEP.

La Norvège devrait ainsi accroître prochainement son rythme d'extraction de quelque cent mille barils par jour.

Lespays de l'OPEP n'ont plus l'espoir de voir le bout du tunnel avant au moins deux ans. Comment l'Arabie saoudite peut-elle convaincre le Nigeria, l'Algérie ou le Venezuela de se serrer encore durablement laceinture pour garantir les prix des compagnies pétrolières, la reprise économique des Etats-Unis et les revenus pétroliers de laGrande-Bretagne et de la Norvège? Et ce d'autant qu'il ne faut pas trop compter sur le dollar pour compenser partiellement laperte du pouvoir d'achat. VERONIQUE MAURUS Le Monde du 5 juillet 1985. »

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