Devoir de Philosophie

Article de presse: Lounès Matoub, un artiste engagé contre l'intégrisme

Publié le 17/01/2022

Extrait du document

juin 1998 - Lounès Matoub était une grande voix de la Kabylie, une région de l'Algérie qui avait su donner au pays une chanson, comme Oran lui a offert le raï, deux symboles de la résistance à l'intégrisme et aux jeux pervers de la politique d'Etat. Enlevé en septembre 1994, le chanteur avait été libéré, racontait-il dans Rebelle (Stock), livre autobiographique relatant les circonstances de sa détention par les maquisards islamistes, après avoir dû jurer qu'il ne chanterait plus jamais. Pourtant, en janvier 1995, Lounès Matoub, barbe de rebelle, chemise blanche, s'offrait le luxe de deux concerts à guichets fermés au Zénith, à Paris, devant plus de sept mille personnes venues là comme pour assister à une grande fête de famille, où la grand-mère en robe traditionnelle côtoyait le fils né en France et ses enfants français. Quatre mois plus tard, exilé en France, il repartait chanter à Tizi-Ouzou et à Bejaia. Les islamistes les plus radicaux considèrent la musique comme une activité diabolique. Le 24 septembre 1994, le jeune chanteur de raï Cheb Hasni avait été assassiné par le Groupe islamique armé (GIA) à Oran sans que Lounès Matoub, relâché par ses ravisseurs, n'ait un mot pour lui, ce qui lui fut violemment reproché. Depuis, plusieurs personnalités de la chanson et de la musique algérienne ont été prises dans la tourmente de la violence (Cheb Aziz, Lila Amara, le producteur Rachid), sans que l'on sache toujours si leur assassinat avait été directement lié à leur art ou s'il s'agissait de hasards ou de règlements de compte. Militant actif du Mouvement culturel berbère (MCB), dont il s'était ensuite écarté, Lounès Matoub avait été l'une des figures de proue du " printemps berbère " , qui enflamma Tizi-Ouzou en avril 1980. Ses chansons, ainsi que celles des grandes figures du militantisme culturel berbère, tels Lounis Aït Menguellet, Ferhat M'henni ou Idir, furent interdites. Depuis, il n'avait cessé de défendre la langue berbère, qui avait failli périr avec l'arabisation forcée. Les intégristes étaient pour lui des " faucheurs d'étoiles " , comme il l'écrivait dans Kenza, une chanson composée en l'honneur de la fille de Tahar Djaout, écrivain et journaliste assassiné en juin 1993 à Alger. Controverse Né le 26 janvier 1956 à Taourit-Moussa, près de Tizi-Ouzou, Lounès Matoub avait rapidement choisi la chanson comme moyen d'action. Il enregistre son premier album, Ay Izem (Le Lion), en 1978. Le succès est immédiat, suivi très rapidement d'un second album, Ayemma a'zizen (Chère mère). La chanson kabyle était entrée en résistance au début des années 70, où, explique Idir, " les canons du bon goût étaient ceux du Moyen-Orient. Nous avons remplacé les quarante violons d'orchestre par deux guitares et deux voix " . Là où Aït Menguellet est animé de la flamme de la poésie épique, la où Idir met de la mesure et de la lucidité, Lounès Matoub, comme Ferhat M'henni, s'écarte parfois du souci esthétique pour plonger dans un militantisme radical : " Compagnon de la révolution/ Même si ton corps se décompose/ Ton nom est éternité " , écrit-il dans " Le Révolutionnaire " (dans l'album La Complainte de ma mère, chez Mélodie/Blue Silver). Lounès Matoub était un chanteur à la voix de roc, au style mordant et âpre qui s'accompagnait volontiers d'une mandole. Il était aussi un personnage controversé, volontiers provocant et attiré par la figure du martyr. L'authenticité de son enlèvement avait été mise en doute. Le chanteur avait d'ailleurs gagné en 1997 un procès en diffamation contre son collègue, très respecté, Ferhat M'henni, qui avait évoqué l'éventualité d'un coup monté par les amis politiques de Lounès Matoub. En 1996, le bouillant Lounès avait fustigé, sur les ondes de Beur FM le plus grand poète kabyle vivant, Lounis Aït Menguellet, un artiste et musicien d'une discrétion légendaire, qui s'était refusé à commenter les allégations de Ferhat. Devant les graves accusations qui avaient été portées à son encontre (en particulier d'avoir cotisé au GIA sous l'effet de la peur), Aït Menguellet, qui réside en Kabylie et se sentait physiquement menacé, avait enfin répondu : " Pour un mensonge proféré, il y aura en réplique dix vérités sur sa personne. " VÉRONIQUE MORTAIGNE Le Monde du 27 juin 1998

Liens utiles