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Article de presse: Massu : soldat avant tout

Publié le 17/01/2022

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7 janvier 1957 - A l'occasion de la parution de la Vraie Bataille d'Alger (Plon 1971), Jean Planchais trace le portrait de son auteur, le général Massu. Il était une fois un jeune officier de ce qu'on appelait alors la coloniale. Pacification au Maroc en 1931. Pacification au Togo pendant trois ans, où il fait rentrer les flèches et les sagaies au vestiaire, puis, à trente ans, le Tibesti, un territoire saharien immense, à administrer. Pour faire ce métier, il faut être rude, honnête et, autant que possible, aimé. Dans ces pays, il n'y a pas de civils, il y a " la population ", dont il faut faire le bien. Le soldat veille aux confins de l'empire, il administre avec justice et fermeté. Rome-le pouvoir civil-est un principe plus qu'une présence. On lui obéit. 1940 : Rome n'est plus dans Rome. Le Tchad passe à de Gaulle, Massu aussi, à travers Leclerc, qu'il vénérera toujours. Et c'est la grande croisade pour délivrer les lieux saints, les grands coups d'estoc, les victoires : le Fezzan, Paris, Strasbourg. Il ne reste à libérer que l'Indochine, qui a souffert sous le joug de Vichy et des Japonais. Leclerc y va, se faisant précéder de Massu. On délivre de son mieux les Français de là-bas, mais la croisade est maintenant " tordue ". On ne " libère " plus, et Leclerc le sait et le dit. Massu entame, comme l'Autre, une traversée du désert. Dans l'armée, aux échelons élevés, " les militaires " ont remplacé les soldats et " les militaires " n'aiment pas les grognards trop décorés. Massu étudie le laotien : on l'envoie à Niamey. Il faudra Koenig Rue Saint-Dominique, en 1955, pour en faire à quarante-sept ans un général et, bien que le titre n'existe pas officiellement, un " général de parachutistes ". Deux ans plus tard, il commande la 10e DP, qu'il a lui-même mise sur pied. Il est l'instrument idéal pour le pouvoir d'alors. Un général " gaulliste " -on s'est assez méfié de lui pour pouvoir maintenant utiliser cette étiquette-qui a le sens " des populations ", une division où il n'y a pas de " militaires ", mais seulement des guerriers, et qui ne pensent qu'à gagner, un chef discipliné même s'il rouspète parfois, enfin un homme convaincu de la nécessité de sa mission. On lui donne une cité en ébullition, où les bombes éclatent on lui confère par écrit de lourdes responsabilités et, verbalement, on lui suggère d'en prendre de plus lourdes encore. Il est bourru, sarcastique on feindra de le croire cynique et indiscipliné il s'en offensera d'ailleurs. Enfin, on le fera passer pour un imbécile. Ce n'est pas un imbécile, mais ce n'est ni un intellectuel ni un " politique " : c'est un animal de combat. Plus grave encore, c'est un honnête homme, et c'est honnêtement qu'il entrera dans la terrible mécanique, honnêtement qu'il croira à sa mission. La bataille d'Alger, comme la guerre d'Algérie elle-même, c'est une mission ingrate, pénible pour un soldat. On la remplit ou on ne la remplit pas. Or, en 1957, il faut la remplir. Même si la politique menée depuis des lustres à l'égard des musulmans a été stupide, inhumaine et dangereuse, l'Algérie, c'est la France. Le gouvernement le dit, les Français, dans leur grande majorité, en sont persuadés. Et " ceux d'en face ", variété nord-africaine des " Viets " qu'un quarteron de militants permet au demeurant de cataloguer communistes, sont, en ville du moins, gens peu recommandables. Surtout, il faut protéger les populations contre les attentats aveugles, les assassinats et les atrocités. La police ? Elle est totalement incapable de remplir sa mission. Il existe même des policiers qui ont des scrupules. On aurait dû les mettre ailleurs. Massu, lui, très franchement, n'en a pas. Sa conscience est en paix : il obéit aux pouvoirs constitués, il sauve des vies humaines. Le pape n'a pas l'air de le comprendre lorsque Massu lui demande de mettre au pas l'archevêque d'Alger, Mgr Duval, trop " libéral ". Le général de Bollardière s'est démis de son commandement après avoir " condamné formellement ", et par écrit, certains procédés pour obtenir des renseignements. Le chef de la 10e division parachutiste a auprès de lui un théologien sur mesure, le Père Delarue, qui lui donne ainsi qu'à ses hommes tous apaisements. Quant au général Billotte, dont le Monde-catalogué comme un organe " particulièrement bien renseigné sur l'ennemi " -reprend les thèses sur les lois de la presse et de l'honneur, publiées par Preuves, c'est au fond un " militaire ". Et la longue réponse que lui adressera Massu peut se résumer en ces termes : " Venez-y voir... Vous n'y connaissez rien à la guerre révolutionnaire ". La torture épargne des vies humaines, de part et d'autre. Elle est " efficace ", comme le répète le Père Delarue dans " un document explicatif à l'usage des hésitants " : " Des moyens efficaces même s'ils sont inhabituels ". " Un interrogatoire sans sadisme, mais efficace ". " Le coupable n'a qu'à s'en prendre à lui-même s'il ne parle qu'après avoir été efficacement convaincu qu'il devait le faire ".[...] " A circonstances exceptionnelles-et pour aussi longtemps qu'elles restent telles-tâches exceptionnelles ". Massu, après avoir refusé l'assimilation de la pose de bombes dans des lieux publics à un " bombardement de pauvres ", finit par accepter la comparaison, en considérant que l'action de ses hommes est, en fait, une sorte de DCA. Le mécanisme une fois monté et accepté finit en effet par broyer tout, à commencer par Massu. Il se fait lui-même passer à la " gégène ", la torture électrique, pour voir si ça ne fait pas trop mal. Et en oubliant que le torturé, lui, ignore jusqu'où ira la douleur, que c'est dans la plupart des cas un être fruste-puisque, d'après ses propres affirmations, les plus évolués, consciemment ou non, " parlent " sans qu'il soit besoin d'utiliser les " grands moyens " -pour qui la peur de l'inconnu est bien plus traumatisante que la douleur elle-même. Germaine Tillon, qui essaie d'obtenir la fin du terrorisme et du contre-terrorisme, est plus ou moins taxée de trahison. Tout est donc clair. La torture est un moyen efficace mais temporaire. D'ailleurs ceux des cadres qui y répugnent, ou au contraire s'y complaisent, sont écartés. Et s'il avait perdu en 1957 cette bataille d'Alger ? Lorsqu'il l'a " gagnée ", presque toute la France a respiré. Et " les plus hautes autorités de l'époque ", qui l'ont investi de ses pouvoirs, qui l'ont félicité, ces Clemenceau au petit pied qui l'encourageaient, le poussaient à faire plus encore, qui leur reproche aujourd'hui d'avoir fait employer tous les moyens ? Malgré la légende née du 13 mai 1958, il était le moins " politique " des militaires d'Algérie. Il n'a été ni président du conseil, ni ministre de la guerre, ni ministre résident. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 4 novembre 1971

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