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Article de presse: Messali Hadj, le Zaïm

Publié le 17/01/2022

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3 avril 1961 - L'homme avait du talent et du courage. Il savait être à l'occasion un tribun frénétique mais pouvait aussi se transformer en un tacticien intelligent et retors. Les fidélités qu'il s'est acquises au cours de sa longue et pathétique carrière n'étaient pas toutes le fait de dévots ou de militants bornés. La majorité des jeunes intellectuels algériens s'identifièrent à lui, les plus lucides des tenants étrangers de l'anticolonialisme lui ont fait confiance. Il a été pour l'Algérie, jusqu'en 1954, mieux qu'un porte-drapeau : un étendard vivant. Messali Hadj était né à Tlemcen, foyer de l'islam algérien, resté en relations étroites avec un Maroc plus ardemment musulman et moins " désarabisé " que l'Algérie. Venu très jeune s'embaucher en France-au lendemain de la première guerre,-il s'y était mêlé aux organisations mi-ouvrières mi-nationalistes qui y proliféraient à l'ombre du Parti communiste et à l'appel de l'émir Khaled, candidat en 1924 sur une liste communiste à Paris. C'est l'époque où les dirigeants de Moscou voient dans l'Algérie un terrain propice à une révolution prochaine, et c'est dans cet esprit qu'est fondée, en 1926, l'Etoile nord-africaine, à laquelle adhère Messali. Bientôt, pourtant, le jeune ouvrier de Tlemcen, qui a pu mesurer le pouvoir de son éloquence naturelle, rompt avec le parti de Marcel Cachin, dont il dénonce à la fois l'athéisme, le " chauvinisme " et le " caporalisme ". C'est ainsi que, au début de 1927, Messali arrache l'Etoile nord-africaine à la mouvance communiste et en fait un mouvement essentiellement nationaliste. Il fonde, en 1937, le Parti populaire algérien, le fameux PPA, qui est interdit en 1939, au lendemain d'un meeting organisé au stade d'Alger, où il avait revendiqué sans ambages l'indépendance de l'Algérie. De Genève à la région parisienne, ce n'est alors qu'un demi-exil; mais, en 1941, Messali est condamné à une longue peine de travaux forcés, et, dès lors, sa vie n'est plus qu'un long exil, coupé de très brefs séjours en Algérie, jusqu'à la veille du soulèvement de 1954. En 1946, le gouvernement de la Libération lui permet de s'installer à Bouzaréa, sur les hauts d'Alger, alors que cinq de ses lieutenants, dont Mohammed Khider, sont élus députés à l'Assemblée nationale, sous le sigle qu'il a substitué à celui de PPA, interdit : le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques). Substitution qui ne trompe d'ailleurs personne. Dans les campagnes, les gens continuent à se réclamer du " pipia ", le parti des pauvres. Et le ton général, le style politique, sont restés : un ouvriérisme bigot et coléreux, qui colle admirablement avec la situation socio-politique de l'Algérie, mieux que le réformisme courageux mais nuancé de Ferhat Abbas et des tenants du " Manifeste ". Mais alors pourquoi ce Messali, fondateur, leader, porte-parole du MTLD, symbole du nationalisme révolutionnaire au lendemain de la guerre-au nom duquel des milliers d'Algériens moururent lors des massacres de Kerrata, en mai 1945, avant que des milliers d'autres défilent sur les Champs-Elysées, en 1952, préludant à la révolution,-pourquoi ne fut-il pas le chef, au moins nominal, du soulèvement de novembre 1954 ? On peut donner à cette étrange élimination deux raisons. La première ne lui est pas imputable. Depuis plus de quinze ans, le leader se trouvait constamment sous le contrôle de la police française, de la prison d'Alger aux résidences forcées d'In-Salah et de Brazzaville, de Lambèse à Niort, de Brie-Comte-Robert à Bouzaréa et à Belle-Ile. Il pouvait, certes, y recevoir des visites, mais ceux qui restaient en contact avec lui étaient des fidèles, des inconditionnels, qui lui donnaient de la situation en France, en Algérie et dans le monde des descriptions très orientées. Il avait perdu le contact avec le peuple. MNA contre FLN La seconde est de son fait. Cet homme qui, très jeune, remuait les foules de la banlieue parisienne et d'Algérie, qui avait fondé et animé les partis les plus propres à incarner les aspirations élémentaires de son peuple et formé des militants dévoués, avait acquis, la cinquantaine venue, une très haute idée de sa mission et de son personnage, le sentiment d'une manière d'infaillibilité, d'autant qu'une sorte de dévotion s'était instaurée dans son entourage et que ses diverses incarcérations l'avaient préservé des échecs et des erreurs quotidiennes qui, dans les meilleurs des cas, peuvent permettre aux leaders de mesurer les limites de leur grandeur et de leur compétence. Dès avant l'épreuve décisive de 1954, cette mystique du chef avait d'ailleurs été brutalement remise en question : en 1953, la majorité des membres du comité central du MTLD s'étaient élevés contre l'aspect ecclésial du mouvement, réclamant la mise en application d'une " démocratie collégiale " (c'était, ne l'oublions pas, quelques mois après la mort de Staline...). Tandis que le conflit s'envenimait entre le Zaïm indigné et les " centralistes " exaspérés, un groupe de militants, qui constituaient les cadres de l' " organisation spéciale " (OS) vouée à l'action directe, et d'ailleurs crée sans l'approbation de Messali, décidaient de fonder le CRUA (Comité révolutionnaire d'unité et d'action), qui, se muant en FLN, déclenchera l'insurrection du 1er novembre 1954 pour réunifier, dans l'action, le mouvement national. Messali Hadj récuse cette initiative prise à son insu. Qu'est-ce que cette révolution qui n'émane pas de lui ? Des mois durant, des émissaires du CRUA viendront l'inciter à jeter le poids de son prestige dans la lutte. Mais le Zaïm se mure dans son orgueil : " Entreprise folle, vouée à l'échec... " (Ce qui est d'ailleurs, à cette époque, le pronostic des amis de Ferhat Abbas et des communistes.) Bientôt, Messali crée un nouveau parti, le MNA (Mouvement national algérien), qui a deux objectifs : faire pièce à ce FLN qui s'est créé sans lui et assurer au vieux chef son entrée autonome dans le combat. Mais le MNA est si cruellement pourchassé par le FLN, au nom de l'unité révolutionnaire, qu'il se voit souvent contraint de faire appel à des protections compromettantes. La police ne se contente pas de sauver, de temps à autre, ses militants : elle le noyaute. Et quelques-uns des plus notoires partisans de Messali, comme le " général " Bellounis, se laissent entraîner dans une coopération ouverte avec l'armée française, qui déconsidère le MNA aux yeux des nationalistes algériens, tandis que le massacre des villageois de Melouza par un commando FLN achève de les " convaincre ". Lorsque, en 1961, le MNA essaie de se faire admettre comme interlocuteur dans la négociation d'Evian, le FLN n'a pas grand mal à démontrer qu'il ne représente plus qu'une minorité d'ouvriers émigrés en France ou en Belgique, et qu'il n'a plus de part réelle au combat. Ainsi l'indépendance de l'Algérie s'accomplit sans que Messali Hadj, le Zaïm, le leader, y puisse seulement faire entendre sa voix. L'émancipation de son pays, rêve de sa vie, ne devait même pas modifier son existence quotidienne : officiellement " libéré " lors de la signature des accords, le vieux chef devait rester à Gouvieux, non loin de Chantilly, où le gouvernement français l'avait depuis de longues années assigné à résidence dans une sorte de petit château d'assez modeste apparence. Il y vivait en patriarche, entouré de sa femme (une Alsacienne, comme Mme Abbas) et de quelques dizaines de fidèles, survivants des purges et des règlements de comptes avec le FLN. En 1965, il avait demandé et obtenu la nationalité algérienne : à part cela, les autorités d'Alger faisaient mine d'ignorer jusqu'à son existence. JEAN LACOUTURE Le Monde du 5 juin 1974

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