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Article de presse: Mikhaïl Gorbatchev : la réforme dans la continuité

Publié le 17/01/2022

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15 octobre 1985 - " Réforme " est un mot dont le pouvoir soviétique, pour parler de la gestion de l'économie, paraît se méfier comme de la peste depuis que Mikhaïl Gorbatchev a pris les commandes au Kremlin. En même temps, des porte-parole, en principe autorisés, affirment que si par " réforme " on entend " une transformation fondamentale, un changement, une restructuration ", alors cette " réforme-là " " est d'ores et déjà en voie d'application ". Il y a plusieurs raisons à ces ambiguïtés. L'une est d'ordre psychologique : de la direction du plan (Gosplan) aux kolkhozes, en passant par les ministères et les grands combinats, les responsables soviétiques ont trop entendu parler de " réformes " depuis près de trente ans pour que le terme soit encore mobilisateur. Il y va de la crédibilité de Mikhaïl Gorbatchev d'éviter ce genre de vain exercice. Plus fondamentalement, le secrétaire général du PC soviétique-si représentatif soit-il d'une nouvelle génération-a très clairement indiqué lui-même que le cadre dans lequel il entendait agir était celui-là même que définit le système politique, économique et social existant en URSS... " débureaucratiser " Loin de mettre en cause la gestion centralisée de l'économie, il parle au contraire de la " renforcer ", ce qui, dans son esprit, doit aller de pair avec un accroissement de l' " autonomie " des unités de production et le développement de " l'initiative et de l'esprit d'entreprise ". Le plus loin qu'il soit allé a été d'admettre que la recherche de méthodes de gestion plus efficaces impliquait le recours à toutes sortes de " stimulants matériels et moraux " -y compris au " profit ", au système de fixation des prix, au crédit. Les actes ont été, dans l'ensemble, ni plus ni moins conformes à ce discours. Outre la promotion rapide au bureau politique et au secrétariat du comité central d'hommes ayant un profil de technocrates, le plus inédit a été la critique publique du Gosplan, prié le 11 juin 1985 de " refaire sa copie " sur les projets du prochain plan quinquennal (1986-1990). Relativement original, d'autre part, est l'effort entrepris et mis en évidence par une série de décrets publiés au moins d'août pour restreindre les pouvoirs des administrations intermédiaires entre le Gosplan et les entreprises. Le projet, qui émane en droite ligne des économistes de l'institut de Novossibirsk, vise dans l'ensemble à " débureaucratiser " l'appareil de production industriel. C'est apparemment le sens qu'il faut donner à l'idée d'une " autonomie " accrue des entreprises, celles-ci devant être soumises en principe à une tutelle moins étroite des ministères. Ce qui ne suffit pas, en soi, à leur donner un dynamisme nouveau, propre à assurer les transformations " qualificatives " souhaitées par Mikhaïl Gorbatchev. Pour cela intervient un arsenal de stimulants et de sanctions, destinés à favoriser les unités les plus performantes-en particulier les plus aptes à intégrer les innovations technologiques les plus récentes-au détriment des canards boiteux incapables de se moderniser et dont les productions sont à peine utilisables. A en juger cependant par ce qui se dit et s'écrit en URSS, " l'autonomie " ainsi consentie reste très surveillée. Si certaines possibilités d'autofinancement sont d'autre part ouvertes, les restrictions qui les accompagnent témoignent de la vigilance avec laquelle le pouvoir central entend toujours veiller à l'utilisation des fonds relevant de la propriété socialiste. Quant aux prix, il n'est nulle part suggéré que leur fixation puisse se faire par des mécanismes de marché-même si des différenciations, introduites au nom de la " loi de la valeur ", peuvent intervenir à titre de stimulants. Les transformations amorcées sont plus modestes encore en ce qui concerne l'agriculture, domaine dont Mikhaïl Gorbatchev fut pourtant longtemps chargé au secrétariat du comité central et qui est encore aujourd'hui le secteur le plus faible de l'économie soviétique. Au mois d'octobre 1984, alors que Constantin Tchernenko vivait encore, mais à l'époque où la conduite des affaires était déjà largement entre les mains de son successeur, un plénum du comité central avait été consacré à ce sujet. Là encore, les idées viennent de l'institut de Novossibirsk : instaurer un système de " contrats " qui permette d'intéresser plus directement les paysans à leur travail en les faisant bénéficier de la moitié des profits éventuellement réalisés-quitte à en être de leur poche si l'exploitation est déficitaire. Mais les quelques critiques qu'il a émises ont déjà été entendues maintes fois dans la bouche de ses prédécesseurs : incriminer le mauvais temps " n'est pas une réponse ", il faudrait moins de " gaspillage ", utiliser " plus rationnellement " la récolte, pour ne rien dire des engrais, des machines, des camions, etc. Rien là que de très classique, et si le rôle des lopins individuels est par ailleurs reconnu, s'il est même question de l'étendre, les structures sur lesquelles on veut agir sont celles qu'a léguées le passé. La campagne antialcoolique, la lutte contre l'absentéisme, l'appel à une discipline plus stricte dans le travail, à un éveil du sens des responsabilités, tout cela procède du même esprit et vise à resserrer les écrous dans le système existant. Ce ne sont pas des thèmes nouveaux, même si les consignes paraissent être appliquées avec plus de détermination que lors de précédentes campagnes. Est-ce à dire qu'on en restera là ? Les grandes lignes de l'argumentation en ce domaine sont déjà connues : l'URSS doit passer à un stade nouveau de développement, d'une exploitation " extensive " de ses ressources à des procédés " intensifs " de production, tirer le maximum des moyens que lui offrent la science et les techniques contemporaines, l'informatique en particulier. Le programme est vaste. Reste à savoir s'il peut efficacement être mis en oeuvre sans toucher aux structures elles-mêmes. En six mois de pouvoir, Mikhaïl Gorbatchev a montré beaucoup de prudence sur ce terrain politiquement miné-comme s'il se méfiait par-dessus tout, du " volontarisme ", éphémère souvent, qui a marqué les initiatives de certains de ses prédécesseurs, ou celles d'autres dirigeants de pays socialistes. ALAIN JACOB Le Monde du 2 octobre 1985

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