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Article de presse: Salvador Allende, un révolutionnaire légaliste

Publié le 22/02/2012

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allende
11 septembre 1973 - La version officielle de la mort du chef de l'Etat chilien est exacte (1), " Chicho ", le petit médecin des pauvres des années 30, aura eu la mort digne de clore les trois années de passion passées à la Moneda. Quelles que soient les explications et les justifications que donneront ultérieurement les autorités chiliennes, l'holocauste réel ou supposé du premier personnage de la nation lui donne une stature de martyr. Ce n'est pas trahir la vérité que de dépeindre la véritable transformation de l'ancien président du Sénat chilien lorsqu'il accéda à la magistrature suprême. Il avait poursuivi toute sa vie ce but avec une obstination que beaucoup jugeaient un peu ridicule, déplacée et surtout sans espoir. " Je crois au vote, et non au fusil ", aura-t-il répété sans cesse. Et ce parlementaire studieux n'eut jamais d'autre idéal que le seul respect de la loi et de la Constitution. Député, sénateur, ministre, chef d'Etat, il n'a jamais personnellement triché avec des textes juridiques, certes complexes mais inattaquables. A la Moneda, Salvador Allende s'était révélé un chef d'Etat lucide, ayant conservé son sang-froid à travers la succession de crises chaque fois plus graves. Il n'était pas simple pourtant de concilier ou de tenter de concilier les avis pour le moins divergents des chefs des partis politiques membres de la coalition gouvernementale d'Unité populaire : radicaux paisibles, communistes, socialistes modérés et socialistes intransigeants de la ligne Altamirano, révolutionnaires de la Gauche chrétienne ou du MAPU. Pas simple non plus d'affronter à la fois le défi armé des extrémistes de droite et les mises en demeure catégoriques des extrémistes de gauche, responsables, au demeurant, de la majorité des occupations illégales d'usines ou de propriétés agricoles, occupations ayant grandement contribué depuis six mois à exaspérer les angoisses des classes moyennes que Salvador Allende, soutenu sur ce point par les communistes, ne désespérait pas, au contraire, d'attirer aux côtés des partisans naturels de l'Unité populaire. Sur la corde raide depuis la grande " grève des patrons " d'octobre 1972, Allende cherchait le compromis, l'alliance tactique avec l'aile gauche d'une démocratie chrétienne qui avait elle-même, de 1964 à 1970, largement entamé le processus de nationalisation et de réforme agraire repris avec dynamisme par l'Unité populaire après novembre 1970. D'avoir réussi une première fois à faire entrer les militaires dans son gouvernement avait été tout d'abord, et justement, considéré comme un exploit. Ce succès avait, il est vrai, aussitôt aiguisé les ardeurs révolutionnaires de ceux des socialistes qui pensaient pouvoir brûler les étapes, conquérir le vrai pouvoir. Car trois années d'expérience " à vocation socialiste " ont permis une accélération de la réforme agraire, la nationalisation de la grande industrie du cuivre, la prise en charge par l'Etat d'un certain nombre d'entreprises moyennes ou grandes. Mais les véritables leviers de contrôle de la puissance économique et politique n'avaient pas été transférés à l'Unité populaire. Par tempérament, Allende préférait respecter les règles d'un jeu démocratique qui paralysait l'application rapide des réformes envisagées. Victime dans une certaine mesure de son respect rigoureux de la légalité, Allende était sans aucun doute possible plus humaniste que marxiste, plus légaliste que révolutionnaire. " Le marxiste Allende " : le qualificatif, sommaire mais banal dans la presse nord-américaine, le faisait sourire dans les premiers mois de son mandat. Dans l'euphorie des premiers défilés populaires, du boom économique dû à la soudaine extension des groupes sociaux ayant accès à la consommation, se dissimulait un jeu sinistre. Le Chili de l'Unité populaire, issu d'élections démocratiques, a été aussitôt placé par les milieux d'affaires et bancaires de New-York sur la liste rouge des pays de " risque maximal ". Aussi le président chilien n'a-t-il eu jamais assez de flèches pour clouer au pilori les sociétés multinationales qui, à l'instar de l'ITT, interviennent volontiers dans les affaires des Etats où elles disposent de filiales. Un des fondateurs du Parti socialiste Salvador Allende était né le 26 juillet 1908 dans une famille de bonne bourgeoisie à Valparaiso. Son père, avocat, était libre-penseur. Après des études à Tacna, Valdivia et Valparaiso, il eut d'abord le désir de s'établir comme médecin de campagne et il adhéra à la franc-maçonnerie. Vice-président de la Fédération des étudiants de Santiago, ses premières expériences de " toubib " confronté à l'immense misère des habitants des bidonvilles de la capitale le firent basculer dans la politique militante. Lecteur sérieux de Marx et de Lénine, il fut l'un des cofondateurs du Parti socialiste chilien en 1933. Arrêté et emprisonné à deux reprises, chassé de l'université, contraint de travailler comme assistant d'un dentiste puis comme médecin dans un asile d'aliénés, il avait gardé de cette époque une idée-force : venir en aide aux plus démunis. Peu avant son élection à la présidence en septembre 1970, il avait promis que chaque enfant chilien des quartiers populaires recevrait un demi-litre de lait chaque jour. L'ancien médecin de l'assistance publique et des hôpitaux de Valparaiso avait tenu parole. Ses ennemis prétendaient qu'il n'avait " jamais exercé que dans une maison de fous ". Mais ses adversaires politiques, à commencer par l'ancien président Frel, son ami de jeunesse, ne mettaient cependant pas en doute ses profondes convictions socialistes. Député et directeur de la campagne présidentielle d'Aguirre Cerda en 1938 (le premier président de Front populaire au Chili), ministre de la santé et administrateur des caisses de sécurité ouvrière en 1942, sénateur depuis 1945, vice-président du Sénat, président du FRAP, le Front populaire, qui fera de lui son candidat contre Eduardo Frel à l'élection présidentielle de 1964, le docteur Salvador Allende s'était présenté trois fois à la magistrature suprême avant de l'emporter, à la quatrième tentative, en 1970. Ami personnel, intime même, de Fidel Castro et du commandant Che Guevara, il n'avait pourtant jamais cédé au vertige des guérilleros. " Le Chili, disait-il, sans réellement convaincre, n'est pas Cuba. Nous avons une longue tradition de libertés démocratiques et de civismes. Il n'est pas ridicule de penser que nous pouvons l'emporter par les urnes... " Il avait finalement gagné ce pari apparemment impossible : installer dans un pays d'Amérique latine, et sans recourir à la violence, un gouvernement qui se proposait ouvertement de poser les bases d'une ultérieure société socialiste. Il est vrai que la victoire avait été courte : un peu moins de quarante mille voix de différence avec son adversaire le mieux placé, le Dr Jorge Alessandri, lui-même ancien président, et non moins respectueux des formes démocratiques. Libéral heureux d'avoir des amis démocrates-chrétiens, il avait tenu à ce que toutes les confessions représentées au Chili puissent assister au Te Deum solennel de son intronisation. Il ne reniait pas l'amitié des jours d'anonymat. Le portrait dédicacé de Guevara figurait à la meilleure place dans son bureau personnel, et il n'avait pas craint, l'année dernière, au Mexique, de faire l'apologie publique de l'ancien médecin argentin devenu lui aussi " politicien " pour tenter de changer l' " ordre ancien " MARCEL NIEDERGANG Le Monde du 13 septembre 1973

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