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Article de presse: Zhou Enlai: un révolutionnaire gentleman

Publié le 17/01/2022

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5 février 1958 - Dans la galerie de portraits de la révolution chinoise, Zhou Enlai est un des rares personnages dont les origines soient franchement bourgeoises. C'est le révolutionnaire qui sait être gentleman, c'est le plus international des compagnons de Mao Zedong : il a été plus touché par la France, l'Allemagne et l'Angleterre, où il a séjourné dans sa jeunesse, que par la Russie. Travailleur acharné, à l'esprit délié et rapide; brillant en conversation, séduisant, diplomate; avec cela homme d'action et révolutionnaire ardent, qui a donné quinze ans de sa jeunesse aux combats de rue, à la guérilla et à la clandestinité, voilà quelques traits de son caractère. Il est aussi un des seuls leaders qui aient approché et fréquenté familièrement en Chine les étrangers, en particulier les journalistes, qu'il a toujours impressionnés par des qualités évidemment hors de pair. Il n'a jamais pris un rôle important dans l'élaboration théorique du communisme chinois. Il n'a pas écrit, il a agi. Homme de gouvernement, il est parmi les compagnons de Mao Zedong le premier et le plus habile des exécutants. Cet aspect pragmatique du personnage a fait dire parfois qu'il était un marxiste tiède, ou que, s'il existe des durs et des souples à Pékin, il doit être classé comme le chef de la deuxième école. Cette façon de voir est peut-être erronée, ou trop simpliste. Il a souvent laissé paraître que la volonté d'aller droit aux résultats positifs pouvait précisément lui dicter des attitudes très raides. La réalité est plutôt que l'homme sait passer, avec une versatilité après tout très marxiste, de la rigueur au compromis, et de l'ultimatum à la patience. Né en 1898 dans une vieille famille mandarinale du Kiangsu, province de Shanghai, il a reçu l'éducation d'un fils de bonne famille, a séjourné un an et demi à Tokyo, et conquis les diplômes de l'université de Nankai, à Tien-tsin, alors soutenue par les missionnaires américains. En 1919, le socialisme travaille les étudiants; arrêté, il rencontre en prison sa future femme. Quand il est libre de nouveau, il part pour la France avec de nombreux jeunes Chinois, titulaire d'une bourse d' " étudiant-ouvrier ". Deux ans en France, quelques mois en Angleterre, un an en Allemagne : c'est pendant ce séjour en Europe qu'il est touché par les idées communistes, et, quand il rentre en Chine, il est déjà paré de l'auréole du jeune intellectuel lancé dans l'action; il a laissé derrière lui à Paris, Londres et Berlin des cellules communistes parmi les étudiants et les ouvriers chinois. C'est l'époque où se joue le premier acte du drame de la Chine moderne : l'ascension de Tchiang Kaï-Chek. Zhou Enlai milite auprès de l'aile gauche du Kuomintang, tout en restant communiste. A vingt-huit ans, il provoque le soulèvement des ouvriers de Shanghai, au printemps de 1927, mais Tchiang Kaï-Chek déclenche son coup de force anticommuniste, et Zhou Enlai , échappant au massacre, s'enfuit : il sera bientôt dans tous les combats communistes, y compris la Longue Marche. Pendant la guerre mondiale une orageuse alliance associe en principe Tchiang Kaï-Chek et les communistes contre l'ennemi japonais. Zhou Enlai accomplit des missions auprès de Tchiang Kaï-Chek à Chungking. Mais en 1947 le tableau change, c'est la guerre civile et la conquête de la Chine par les communistes, qui vont jeter à terre le régime branlant de Nankin. Quand en 1949 le combat est gagné et que Pékin retrouve son rôle glorieux de capitale de la Chine, Zhou Enlai , l'ancien étudiant-ouvrier qui fut, dit-on, mécanicien pour un temps chez Renault, se retrouve premier ministre et ministre des affaires étrangères d'un pays de six cents millions d'habitants. Depuis lors il travaille avec acharnement à une double entreprise : construire une Chine moderne, et faire entrer cette Chine nouvelle dans le grand jeu de la politique internationale. Sur ce terrain-là il remporte un premier succès en Occident avec la conférence de Genève sur l'Indochine en 1954, un second en Asie avec la conférence de Bandoung en 1955, où il éclipse M. Nehru lui-même. En 1958, de plus en plus retenu par les affaires intérieures de la Chine, qui se lance dans le " bond en avant ", il se décharge du portefeuille des affaires étrangères en le confiant au maréchal Chen Yi. C'est lui cependant qui va à Moscou en février 1959 pour le congrès du PC soviétique, à une heure où les nuages commencent à s'amonceler sur l'alliance sino-soviétique. Zhou Enlai , longtemps fidèle à Moscou, semble s'efforcer de les dissiper. Mais dix-huit mois plus tard, au vingt-deuxième congrès, la brouille est consommée et, protestant contre les attaques de M. Khrouchtchev qui visent la Chine par le biais de l'Albanie, Zhou Enlai quitte Moscou avant la fin du congrès après avoir déposé des fleurs au mausolée de Staline. ROBERT GUILLAIN Le Monde du 22-23 décembre 1963

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