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Article de presse: Sartre, Nobel malgré lui

Publié le 22/02/2012

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sartre
22 octobre 1964 - Le jury a donc maintenu son choix en dépit des efforts tentés par l'écrivain pour l'en dissuader. On se souvient que le journal suédois Dagens Nyheter a fait état mardi dernier d'une lettre de Jean-Paul Sartre, adressée à Stockholm, où il aurait annoncé son intention de refuser le prix. Sartre cherchait, semble-t-il, à prévenir cette attribution pour éviter de paraître discourtois aux yeux de l'Académie suédoise et priver ainsi un autre écrivain de cette mirifique récompense (26 millions d'anciens francs). L'académie ayant passé outre à l'avertissement, que va faire Sartre ? Il n'a pas encore fait connaître s'il maintenait son refus. Il semble d'ailleurs qu'il soit à peu près aussi impossible de refuser le Nobel que le prix Goncourt. On peut renoncer à la récompense monétaire qui l'accompagne, ne pas aller le 10 décembre se faire couronner à Stockholm, mais quand le choix du jury Nobel s'est posé sur un écrivain, il est marqué de ce sceau aux yeux du monde et de la postérité. Quelles raisons ont pu pousser Jean-Paul Sartre à prendre cette attitude ? Il n'a fait à ce sujet aucune déclaration. Ceux qui le connaissent bien savent qu'il est hostile à ce cursus honorum qui marque les étapes d'une " carrière " littéraire. Ces distinctions font de l'écrivain un homme à part. Or la dernière phrase des Mots, si on la lit bien, révèle à quel point Sartre s'oppose à ce que l'écrivain soit un homme privilégié. " Ma pure option [pour la littérature] ne m'élevait au-dessus de personne : sans équipement, sans outillage, je me suis mis tout entier à l'oeuvre pour me sauver tout entier. Si je range l'impossible salut [par la littérature] au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui. " Prix Nobel, Sartre sentirait-il que n'importe qui ne le vaut plus ? Il semble qu'on ait donc affaire de sa part à une opposition de principe, qu'il estime fondée philosophiquement sur l'idée qu'il a de la littérature. JACQUELINE PIATIER Le Monde du 23 octobre 1964

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