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Article de presse: Les hussards à l'assaut de la citadelle Sartre

Publié le 22/02/2012

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6 septembre 1960 - En littérature, l'après-guerre aura duré dix ans; une décennie dominée par les problématiques, somme toute assez proches, proposées par les marxistes et les existentialistes. A partir des années 55, la forteresse du roman engagé se fissure, minée de l'intérieur par ses propres contradictions et soumise du dehors au feu roulant de jeunes écrivains qui n'acceptent plus d'être des porteurs de messages ni les serviteurs d'une littérature sérieuse, édifiante et humanitaire. En 1956, Nathalie Sarraute publie l'Ere du soupçon, Françoise Sagan, Un certain sourire, Antoine Blondin, l'Humeur vagabonde et Alain Robbe-Grillet son premier texte théorique, Une voie pour le roman futur. L'année suivante, Michel Butor va obtenir le prix Médicis pour la Modification, Duras, son premier grand succès avec Moderato Cantabile et Aragon abandonner avec panache le corset du réalisme socialiste dans lequel il s'était emprisonné pour retrouver avec la Semaine sainte son plaisir d'écrire et de briller. C'est pendant cette période encore qu'apparaissent quelques textes théoriques qui jettent des ponts inattendus entre la science et la littérature et qui vont, eux aussi, précipiter la crise du roman traditionnel et le visage de la critique littéraire : Tristes tropiques, de Claude Lévi-Strauss (1955), Poésie et profondeur, de Jean-Pierre Richard (1955), Mythologies, de Roland Barthes (1957), Jean-Jacques Rousseau, de Jean Starobinski (1958) introduisent à une lecture nouvelle de la création et de son rôle dans l'histoire. Mais pour être générale la réaction à l'esthétique sartrienne est loin d'être unie. Les dissidents ne sont d'accord sur rien; pas même sur le refus de mêler la littérature à la politique, qui est pourtant leur commun dénominateur. Du côté des " hussards ", en effet, ce refus est de pure opportunité : depuis la Libération, la politique, dans les livres, est à gauche, les écrivains de la collaboration se montrent discrets et attendent des jours meilleurs; en luttant contre la domination sartrienne, les " hussards " -Déon, Nimier, Blondin, l'équipe des Cahiers de la table ronde et leur vieux parrain, Jacques Chardonne-cherchent, souvent avec succès, à redonner un espace à la droite littéraire. Se rangeant derrière la bannière de Stendhal, ils cultivent la désinvolture, l'insolence, l'élégance et la légèreté-au risque de se perdre dans la facilité-au nom d'une liberté qu'ils opposent à l'esprit de sérieux, au sens des responsabilités et à une certaine pesanteur démonstrative, toutes choses réputées être de " gauche ". Cet esprit de réaction politique, les jeunes écrivains du nouveau roman ne le partagent en aucune manière. Robbe-Grillet, Butor, Sarraute ou Claude Simon (1)sont, en tant que citoyens, des écrivains de gauche-et ils signeront tous le " manifeste des 121 " prônant le droit à l'insoumission pendant la guerre d'Algérie. Mais ils ont une idée trop exigeante de la littérature pour accepter de la mettre au service de quoi que ce soit. Leurs références, ces romanciers ne vont pas les chercher dans des philosophies ou des idéologies mais du côté de Joyce, de Faulkner, de Kafka, de Borges, mais aussi de Flaubert et de Proust. Et leur adversaire commun est moins Sartre, dont certaines des techniques littéraires les intéressent, que la multitude des épigones de Balzac qui depuis soixante-dix ans ont coulé le roman français dans un moule quasi immuable et dans lequel il meurt de componction. Le nouveau roman n'a jamais été une école. Il se trouve que tous les dynamiteurs de la narration traditionnelle ont été accueillis par un éditeur courageux, Jérôme Lindon, qui dirigeait les éditions de Minuit. Il se trouve aussi qu'Alain Robbe-Grillet, avec un sens certain de la polémique et de la provocation, allait systématiser les positions si diverses et si nuancées des uns et des autres et trouver des relais efficaces auprès de médias en quête d'idées fraîches. Le nouveau roman était lancé et recueillait rapidement les faveurs du public intellectuel, sinon celles de la masse des lecteurs désorientés par les hardiesses techniques et les audaces narratives de Butor ou de Simon. Arrachant délibérément les poteaux frontières plantés depuis un siècle entre roman et poésie, symboles, allégories et réalité, fond et forme, narration et chronologie, les écrivains de Minuit installaient le roman français dans la crise en même temps qu'ils lui redonnaient un lustre à l'étranger et qu'ils obligeaient les plus grands de leurs devanciers à s'interroger sur les fondements de leur art. Ce qui rassemble pourtant " hussards " et néo-romanciers, c'est le goût commun qu'ils ont hérité de Sartre pour l'écrit polémique, la tentation théorisante, le sens du clan, le sentiment de livrer bataille. Il y a la NRF et les Temps modernes qui lui sont intellectuellement liés, il y a la Table ronde et le journal Arts qui mènent les assauts de la droite il y a les éditions de Minuit enfin. Et puis, entre ces citadelles qui se mitraillent, quelques chevau-légers, solitaires, incongrus, qui font des livres avec des manières d'enfants pris en faute par les adultes. Il est vrai qu'ils sont déjà de la génération suivante : ils se nomment Françoise Sagan, Bertrand Poirot-Delpech, Christiane Rochefort, Philippe Sollers, Jean-Marie Le Clézio. PIERRE LEPAPE Octobre 1985

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