Article de presse: Simone de Beauvoir et le deuxième sexe

6 décembre 1954 - En 1949 le couple Sartre-Beauvoir, qui servira de modèle à plusieurs générations d'intellectuels, est encore considéré comme scandaleux : Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir vivent ensemble depuis vingt ans, refusent de se marier, proclament leur " amour nécessaire " et affichent leurs " amours contingentes ". Et voilà qu'au mois de juin 1949 Simone de Beauvoir lance une bombe en publiant chez Gallimard le premier volume d'un essai sur la condition féminine, le Deuxième Sexe. Cette étude théorique se veut exhaustive et totalisante, traitant aussi bien du biologique que du social ou du politique. Ce qui paraît anodin aujourd'hui-qu'une femme prenne la parole sur elle-même et sur les autres femmes-est alors inacceptable. " Le bon vieil esprit gaulois coula à flots ", se souvient Simone de Beauvoir dans ses Mémoires. Dans les journaux, comme dans les lettres-anonymes ou non-qu'elle reçut, elle fut couverte d'insultes : " nymphomane ", " frigide ", " mal baisée ", " lesbienne "... tout y passa. Même le très respectable François Mauriac écrivit à l'un des collaborateurs de la revue les Temps modernes : " J'ai tout appris sur le vagin de votre patronne. " Avec le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir est devenue la " mère " du féminisme mondial. Son analyse a constitué le point de départ du féminisme américain, puis européen des années 70. Aujourd'hui encore, c'est un des ouvrages les plus lus outre-Atlantique, même si, comme le dit Beauvoir elle-même, bien des conclusions sont dépassées et bien des arguments doivent être replacés dans leur contexte historique. Quoi qu'il advienne, quels que soient les avancées et les reculs de la condition féminine, Simone de Beauvoir a, à jamais, libéré les femmes d'une fatalité, et même chez ceux et celles qui la récusent une phrase du Deuxième Sexe a fait son chemin : " On ne naît pas femme, on le devient. " JOSYANE SAVIGNEAU Le Monde du 5 février 1985