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Article de presse: Soulèvement au Tibet

Publié le 17/01/2022

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19 mars 1959 - Dans l'histoire troublée des rapports entre la Chine et le Tibet, le mois de mars 1959 marque un moment de violence absolue. En quelques jours, les aspirations à l'indépendance tibétaine devaient être anéanties par l'armée chinoise, toute-puissante. Tout commence par une banale invitation à une représentation de théâtre chinois. Disons plutôt que cette mondanité à laquelle le commandement de la garnison des troupes de Pékin avait décidé de convier le dalaï-lama à son quartier général fut le détonateur d'une crise qui couvait, en fait, depuis qu'en 1950-1951 l'armée populaire de libération (APL) avait pénétré au Tibet. Ce n'était pourtant pas la première fois que le général Tan Guansan conviait le dalaï-lama à lui rendre visite à sa résidence. Mais, dans le climat de nervosité qui régnait à l'époque à Lhassa, les circonstances dans lesquelles était transmise, cette fois, l'invitation intriguèrent les plus attentifs des partisans du dalaï-lama. Le dieu-roi était prié de s'abstenir du cérémonial qui entourait, d'habitude, ses déplacements. En clair, aucune escorte armée ne devait l'accompagner au camp chinois. Conscients de l'hostilité montante à leur égard, les militaires de l'APL avaient quelque raison de redouter des incidents. En 1954, une révolte avait été matée dans le Kham. Deux ans plus tard, de nouveaux troubles avaient éclaté provoquant-déjà-la fuite du dalaï-lama en Inde. Il avait fallu toute la persuasion diplomatique de Zhou Enlai pour faire revenir le souverain dans sa capitale. La terrible répression qui s'était abattue, en 1956, au Tibet-Oriental, avait aliéné aux Chinois la majeure partie de la population. Au cours des mois précédant les fatidiques journées de mars, les redoutables guerriers khambas, défiant l'interdiction de l' " occupant " et l'autorité du dalaï-lama, s'étaient infiltrés dans Lhassa, où certains n'hésitaient pas à s'afficher en plein jour, bardés de sabres et de couteaux. Peu de temps auparavant, la radio chinoise, sans attendre l'accord du dieu-roi, avait annoncé que le dalaï-lama assisterait à la prochaine session de l'Assemblée nationale populaire à Pékin. Pour la population, le risque était donc bien réel que le souverain soit soustrait à sa protection sourcilleuse. En quelques heures, des milliers de manifestants se massèrent aux abords du mur extérieur du palais. Le lendemain matin, la foule avait encore grossi, rendant impossible toute sortie du dalaï-lama. Le dalaï-lama était, en fait, prisonnier de son peuple, entraîné par les guerriers khambas. Décidés à en découdre, les " rebelles " jugèrent alors le moment venu de former un " comité de libération ". Après le ralliement de la garde personnelle du dalaï-lama aux insurgés, le comité de libération avait placé en état d'arrestation les membres du cabinet présents au Norbulinka. Des barricades avaient été dressées sur la route de l'aéroport, tandis que des armes étaient distribuées à la population par des régiments mutinés. Du côté chinois, les concentrations de chars et d'automitrailleuses aux abords de la ville se faisaient de plus en plus menaçantes. Le 17, à la tombée de la nuit, le dieu-roi, déguisé en soldat khamba, était conduit en camion hors de la ville sainte. Le 26 mars, il arrivait à Lhuntse, à deux jours de marche de la frontière indienne. Le 19 mars, l'inévitable survint. Ripostant à un tir provenant du Palais d'été, l'artillerie chinoise se déchaîna contre la résidence abandonnée, deux jours plus tôt, par le dalaï-lama. Aussitôt, au bruit du canon, tout Lhassa fut dans la rue. La bataille était déclenchée. Elle allait durer quatre jours. Une tuerie atroce et impitoyable. Lorsque les nouvelles du drame de Lhassa parvinrent à Lhuntse, la décision fut prise de faire franchir la frontière au dalaï-lama. Le gouvernement de Delhi, consulté, avait donné le feu vert. Le 29 mars, le dieu-roi et son escorte entraient en territoire indien. Le même jour, Radio-Pékin annonça que l'APL avait reçu l'ordre de " mener une action punitive contre la clique de traîtres, coupables de crimes monstrueux ". Aux milliers de combattants tués pendant la bataille s'ajoutèrent dix mille arrestations, le quart de la population de Lhassa et, de nouveau, la répression. MANUEL LUCBERT Le Monde du 19 mars 1984

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