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ARTICLE DE PRESSE: Un militaire sous influence

Publié le 17/01/2022

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16 novembre 1995 - Le 31 janvier 1994, le mandat de deux ans du Haut Comité d'Etat (HCE) prend fin. Il n'y a alors pas pléthore de candidats pour prendre les rênes d'un Etat en pleine déroute. L'armée se résigne à installer, une fois encore, l'un des siens dans le fauteuil présidentiel : le général Liamine Zeroual. Inconnu du grand public, ce général à la retraite de cinquante-trois ans faisait ainsi un brusque retour sur le devant de la scène après une traversée du désert de trois ans (1990-1993). Adjoint au chef d'état-major et commandant des forces terrestres, il était entré en conflit, à la fin de 1989, avec le président Chadli Bendjedid à propos de la réorganisation de l'armée. Sa démission s'inscrivait dans la lutte sourde que se sont constamment livrée, depuis l'indépendance, les officiers issus de la lutte de libération et ceux qui avaient servi dans l'armée française. Nommé ambassadeur en Roumanie, il refuse vite ce " lot de consolation " et quitte son poste moins d'un an après pour regagner sa ville natale de Batna, capitale des Aurès. A la surprise générale, il se voit confier, le 3 juillet 1993, le portefeuille-clé de la défense, en prenant la succession du général-major Khaled Nezzar. Sa nomination est présentée par la presse locale comme un " exemple " donné par l'armée aux responsables politiques, pour les inciter à renouveler les cadres de l'Etat et de l'administration... Il a commandé, au cours d'une longue carrière, trois régions militaires : Tamanrasset (extrême sud) en 1982, Béchar (frontière marocaine) en 1984 et Constantine (est) en 1987, et deux grandes écoles : l'école d'application des armes de combat de Batna et l'académie interarmes de Cherchell. De taille moyenne, trapu, le visage carré, barré d'une grosse moustache, M. Zeroual est né le 3 juillet 1941, à Batna, au sein d'une famille modeste : son père était savetier. Adolescent, il met à profit le temps libre que lui laisse le collège mixte de la ville pour travailler comme commis dans une grande famille de commerçants d'origine juive. Selon d'anciens condisciples, il possède déjà ce caractère taciturne, austère, qui cacherait une bonne dose de timidité, sinon d'indécision. En 1957, alors qu'il n'a que seize ans, il rejoint le maquis et l'Armée de libération nationale (ALN). La paix signée, il est envoyé en formation militaire à l'étranger : d'abord à Moscou, puis à Paris. Carrière classique, discrète et sans histoire. Marié à Naziha Chérif, soeur du général Abdelmajid Chérif qui a fait une carrière parallèle à la sienne, le président de l'Etat a deux garçons et une fille, aujourd'hui étudiants. " Système national nouveau " M. Zeroual ne bénéficie pas, dans la troupe, de la popularité de son rival, le général Mohamed Lamari, chef d'état-major des forces armées. " Ce n'est pas parce qu'il a une tête carrée qu'il fait forcément un bon militaire ", disent de lui ses ennemis, qui critiquent son manque de communication, proche, selon eux, de l'indifférence. Ils lui reprochent aussi de ne prendre de décisions " qu'en se référant à une coterie qui le tient bien en main ". Le nom de son conseiller spécial et véritable " éminence grise ", le général Betchine, ancien " ponte " de la Sécurité militaire, revient souvent dans les conversations. En visite à Alger, en novembre 1993, Jean-Pierre Chevènement, qui le rencontre, confie qu'il n'a pas eu l'impression d'avoir eu, devant lui, " une graine de Pinochet... ". En janvier 1994, rappelant à l'ordre l'ensemble de la classe politique, il avait averti les forces vives du pays qu'il était de leur " devoir national " de " contribuer à la sortie de la crise ", promis à tout un chacun que " l'armée ne resterait pas les bras croisés face aux déviations et dépassements dangereux " et laissé espérer à ses compatriotes que " la rupture souhaitée passe par l'instauration d'un système national nouveau ". Lors de son accession à la présidence, beaucoup d'Algériens n'étaient pas mécontents de voir l'armée s'engager plus avant dans la mêlée politique, sachant qu'elle pouvait être a priori le seul vrai contre-pouvoir face aux islamistes. M. Zeroual dessina d'emblée le cadre de son action : " Le dialogue avec toutes les forces politiques y compris les islamistes, tout en continuant la lutte contre les groupes armés. " Application logique de cette profession de foi : le spectaculaire élargissement de prison des principaux dirigeants de l'ex-FIS et les tractations pour les amener à participer au " dialogue national ". M. Zeroual marque un point contre les " faucons " de l'état-major et les " éradicateurs " de la société civile, hostiles à tout compromis avec les islamistes. Victoire sans lendemain puisque l'échec des discussions avec les intégristes le conduit à se retourner vers les partisans de la manière forte. M. Zeroual aurait beaucoup hésité, dans un premier temps, à présenter sa candidature à la magistrature suprême. Il aurait confié, en privé, dans le courant du mois de septembre, au responsable d'un parti que sa décision de ne pas briguer le suffrage de ses compatriotes était " irrévocable ". En mal de candidat consensuel, ses pairs ont réussi, quand même, à le faire changer d'avis... ALI HABIB Le Monde du 18 novembre 1995

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