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ARTICLE DE PRESSE: Un pays en mal de croissance économique

Publié le 17/01/2022

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16 novembre 1995 - La croissance économique peut-elle fleurir dans un pays en proie à une guerre civile larvée ? Les investissements sont-ils possibles quand les entreprises flambent, quand la sécurité sur les routes est des plus incertaines, quand le racket fleurit ? Le pouvoir algérien assure que oui et pronostique que le produit national brut (PNB) pourrait atteindre 5 % en 1995. Le Fonds monétaire international (FMI) est à peine moins optimiste et table sur une croissance proche de 3 %, tout comme la Banque mondiale. Le passé récent devrait inciter à davantage de prudence. En 1994, déjà, une croissance très élevée de l'ordre de 5 % était annoncée. En réalité, l'économie algérienne a stagné cette année-là et c'est probablement ce qui va se reproduire en 1995. Encore s'agit-il d'un scénario " rose " : au cours des six premiers mois, la production industrielle a chuté de 9 %. Même le secteur des hydrocarbures, fleuron du pays, affiche des résultats décevants. Que le FMI manifeste un optimisme à tout crin ne laisse pas d'étonner. Mais peut-il en être autrement alors que l'Algérie applique à la lettre, depuis le printemps 1994, toutes ses recettes économiques ? " Aucun autre pays sous ajustement n'a suivi aussi scrupuleusement nos recommandations ", admet, sous couvert d'anonymat, le représentant d'un pays européen au conseil d'administration du Fonds. Inimaginable du temps du président Houari Boumediène, époque du développement de l'industrie lourde et de la socialisation de l'agriculture, la conversion de l'Algérie à l'économie de marché était inscrite dans les faits dès lors que les recettes pétrolières et gazières, uniques sources de devises du pays, n'étaient plus là pour masquer l'échec d'un modèle de développement emprunté à l'Union soviétique, avec la complicité d'une poignée d'intellectuels français. La chute des cours mondiaux du brut en 1986 année du contre-choc pétrolier , a sonné le glas du rêve algérien. Le prix du pétrole soudainement divisé par deux, le pays s'est retrouvé aux prises avec une dette dont le remboursement a fini, au fil des ans, par l'asphyxier. Les premières mesures de restructuration furent prises à la fin des années 80 par une équipe de réformateurs issus, paradoxalement, de l'entourage du président Chadli Bendjedid. En un peu plus de deux ans, à coup de lois et de décrets, ils mirent en chantier quantité de réformes touchant l'agriculture, le commerce, la monnaie, le secteur public... Jamais, l'Algérie n'avait été prise d'une telle frénésie de changement. L'expérience allait être de courte durée. En juin 1991, le gouvernement de Mouloud Hamrouche est contraint de démissionner. Le " printemps algérien " s'estompe. Après l'intermède brumeux de Sid Ahmed Ghozali, son successeur à la tête du gouvernement, Belaïd Abdesslam, l'ex-chantre de l' " industrie industrialisante ", remet au goût du jour les recettes de naguère. Elles ne pouvaient qu'échouer. Résultat, le 27 mai 1994, l'Algérie, exsangue, signe avec le FMI un premier accord, dit de stand-by, qui contraint les dirigeants du pays à mener une politique d'ajustement. Plus rien ne s'oppose alors à un premier rééchelonnement de la dette extérieure et à l'octroi de crédits frais par les bailleurs de fonds internationaux : FMI, Banque mondiale, Union européenne... D'une durée d'un an (avril 1994-mars 1995), il est suivi d'un second accord, d'une durée de trois ans. L'Algérie qui se place sous la tutelle du FMI est un pays bien malade. Entre 1989 et 1994, le produit intérieur brut (PIB) par habitant serait tombé de 2 279 à 1 534 dollars. Dans le même temps, le déficit du Trésor est passé de 1,2 % à 8,1 % du PIB, tandis que le chômage prenait des proportions dramatiques : le quart de la population active est sans emploi. Depuis lors, le pays, élève discipliné, s'évertue à suivre avec application les préceptes du FMI : les prix sont libres, à quelques rares exceptions près le dinar, la monnaie nationale, a été dévalué de plus de 50 %, et son cours officiel est désormais proche de celui du marché noir le déficit budgétaire est en passe de disparaître la privatisation des entreprises publiques s'amorce le commerce extérieur est libre les compagnies pétrolières étrangères sont les bienvenues au Sahara... " En dépit des difficultés politiques, l'Algérie a réalisé des progrès économiques considérables au cours des deux dernières années. C'est en termes de stabilité macroéconomique que ce progrès est le plus évident, mais les réformes structurelles se sont, elles aussi, accélérées ", indiquait, fin septembre à Paris, devant un parterre de banquiers, le réprésentant de la Banque mondiale. Ce constat est certes difficile à démentir. Il n'en reste pas moins que la croissance, qui reste l'unique étalon de la vigueur d'une économie, n'est pas au rendez-vous. La reprise se fait attendre et l'on voit mal comment il pourrait en être autrement dans le climat actuel de violence. JEAN-PIERRE TUQUOI Le Monde du 16 novembre 1995

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