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Article de presse: Un quarteron de généraux à la retraite

Publié le 17/01/2022

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21 avril 1961 - Le 22 avril 1961 au matin, Alger apprit qu'il avait, dans la nuit, changé de maître, et Paris, qu'une partie de l'armée française était en état de rébellion. L'opération avait été conduite dans la nuit avec facilité et promptitude. Pratiquement sans coup férir, le 1er régiment étranger de parachutistes, que commandait, en l'absence du chef de corps, le commandant Elie Denoix de Saint-Marc, s'était emparé du siège de la délégation générale, des principaux états-majors et des centres vitaux de la ville. Le délégué général, Morin, un ministre de passage, Robert Buron, et leur entourage était prisonniers au Palais d'été. Le commandant en chef, le général Gambiez, après avoir vainement cherché à s'opposer aux parachutistes, était lui aussi captif, ainsi que le général Vézinet, commandant de la région d'Alger. A 8 h 30, la radio d'Alger retransmet une proclamation du général Challe : " Je suis à Alger avec les généraux Zeller et Jouhaud et en liaison avec le général Salan pour tenir notre serment : garder l'Algérie. " Il attaque le " gouvernement d'abandon ", évoque la perspective de voir Mers-El-Kébir et Alger devenir des " bases soviétiques ", et ajoute que " le commandement réserve ses droits pour étendre son action à la métropole et reconstituer un ordre constitutionnel et républicain ". Dans des conversations privées, il a cependant assuré auparavant, et assurera à son procès, qu'il voulait seulement achever la pacification de l'Algérie, qui n'était pas mûre à ses yeux pour l'indépendance, pour la remettre ensuite entre les mains du gouvernement. Derrière les généraux, les colonels Argoud, Godard, Broizat, Lacheroy, Garde, tous déjà directement ou indirectement impliqués dans l'affaire des barricades, représentent les milieux " activistes " de l'armée. Salan, réfugié en Espagne, arrivera le dimanche matin, et sera accueilli sans enthousiasme par les trois autres membres de ce que le général de Gaulle appellera " un quarteron de généraux en retraite ". A Paris, les chefs du putsch ont rencontré des complicités qui ont, au départ, facilité leur entreprise, mais qui ne lui permettront pas de durer. Le " complot de Paris ", autour du général Faure, avortera dans l'oeuf. Visiblement les généraux voudraient " refaire le 13 mai ", ébranler les structures de l'Etat, affoler la métropole. Ils n'y parviendront pas. Du moins ne trouveront-ils aucun appui populaire. Le pouvoir tiendra bon, même si, après l'appel lancé le dimanche soir par le général de Gaulle : " Françaises, Français, aidez-moi ! ", le premier ministre, Michel Debré, évoque dans la même nuit la possible arrivée de parachutistes sur divers aérodromes et invite les Parisiens à s'y rendre " à pied ou en voiture dès que les sirènes retentiront ". L'armée d'Algérie ne bascule pas massivement dans le camp de la rébellion. Mais son attentisme exaspère les soldats du contingent, peu désireux d'être coupés de la métropole. Les généraux rebelles-Challe en tout cas-veulent agir sans effusion de sang, convaincre les chefs militaires de se rallier plutôt que les y contraindre. Ils ne parviendront qu'exceptionnellement à les amener à vaincre leurs scrupules ou à sortir d'une prudente expectative. Le chef du " directoire militaire " veut en outre ne mêler que le moins possible les " activistes " civils à l'affaire. Le lundi 24 avril, le général Challe se retrouve avec un contingent en ébullition, des chefs militaires effrayés par la perspective d'une vague de refus d'obéissance, et qui savent que la métropole ne cédera pas. A Oran, que les autorités civiles et militaires ont quitté, le colonel Argoud n'arrive pas à s'implanter solidement, non plus qu'à Sidi-Bel-Abbès le général Gardy, que la Légion ne suit pas. A Constantine, le général Gouraud, en proie à un cas de conscience insoluble, ne cesse d'osciller entre le loyalisme et la rébellion. La marine, malgré les efforts du lieutenant de vaisseau Guillaume, refuse toujours de se rallier au mouvement. Dans les régiments, même ceux dont les chefs se sont, dès les premières heures, ralliés au putsch, des oppositions ou des inquiétudes se manifestent. L'aviation, sous l'impulsion notamment du général Fourquet, fait de même. Des appareils de plus en plus nombreux-les deux tiers de l'aviation de transport, une partie de la chasse-gagnent la métropole. Leurs équipages n'auront pas toujours à se féliciter d'avoir donné cette preuve de fidélité. Salan veut apaiser le contingent en lui promettant une libération anticipée. Il pousse Challe à en appeler enfin à la population algéroise, qu'une OAS encore embryonnaire s'efforce d'encadrer. Il est trop tard. Le mardi 25 avril dans l'après-midi, Challe, après une discussion dramatique avec les trois autres généraux, envoie à Paris le colonel Georges de Boissieu pour annoncer sa reddition. Il prépare en outre la passation des pouvoirs. Sur le Forum à peine éclairé, Alger aperçoit une dernière fois les généraux au balcon de la délégation générale. Challe part avec le 1er REP et son chef pour Zéralda, première étape vers Paris et la prison de la Santé. Zeller, Salan et Jouhaud entrent dans l'ombre de la clandestinité. Après la " rébellion dans l'ordre ", la rébellion clandestine et sanglante commence. JEAN PLANCHAIS Le Monde du 23 avril 1966

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