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Article de presse: Un vainqueur

Publié le 22/02/2012

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19 mars 1978 - Les attaques incessantes du Parti communiste contre le Parti socialiste ont eu une triple conséquence : elles ont brisé la dynamique unitaire qui avait si bien joué pendant trois ans, provoqué au premier tour une perte de voix en pourcentage pour le PC et un manque à gagner pour le PS, et parfois freiné au second tour les transferts de voix d'un parti à l'autre. Les retrouvailles d'un soir n'ont pu effacer six mois d'anathèmes; le refus de voir les communistes entrer au gouvernement a été plus fort chez nombre d'électeurs que celui de voir le gouvernement poursuivre sa politique. Face à une majorité disposant de moyens considérables et abusant plus d'une fois de sa position de force, notamment dans le domaine de l'information, l'opposition a pâti, en outre, du mode de scrutin et du découpage des circonscriptions. La loi électorale n'a pas seulement transformé une minorité de voix en majorité de sièges; elle a freiné à la fois l'avance de la gauche et le recul de l'autre camp, la première disposant apparemment de moins de réserve de voix que le second. Mais ni la dynamique de la désunion de la gauche, ni l'épouvantail communiste, ni le jeu de la loi électorale, ne suffisent à expliquer le succès de la majorité. L'échec même de la gauche dans des villes ou des régions plus atteintes que d'autres par les difficultés économiques tend à prouver que la crise est sans doute moins profonde ou moins ressentie qu'on ne le pensait ou que l'actuel régime est apparu plus capable d'y porter remède. La majorité, qui s'est habilement fait peur à elle-même entre les deux tours, revient malgré tout de loin. Pour une fois, chacun ne crie pas victoire. On le comprend. La gauche a gagné des voix et des sièges, mais moins qu'elle ne l'espérait; l'autre camp en a perdu moins qu'il ne le craignait, mais assez pour ne pas s'abandonner au triomphalisme. Bref, il n'y a qu'un vainqueur : le président de la République. Il l'est, rétrospectivement, pour avoir refusé en 1976 de dissoudre l'Assemblée nationale, comme on l'y exhortait, de droite et de gauche. Vainqueur, le président de la République l'est aussi pour avoir, tardivement mais efficacement, créé à l'image de son livre, qui n'avait pourtant pas bouleversé les foules, l'Union pour la démocratie française. Se couvrant de son patronage, le dernier-né des partis français a réussi à mieux équilibrer le poids du traditionnel mouvement gaulliste et permis au président d'atteindre enfin un but poursuivi depuis 1974. Vainqueur, enfin, il l'est pour s'être engagé assez clairement afin que le succès de la majorité soit aussi le sien, mais assez prudemment pour avoir préservé les chances de la fameuse ouverture. De cette victoire, que peut-il faire? L'ouverture n'est nécessaire ni mathématiquement ni même politiquement, et les gaullistes, qui ne l'ont jamais souhaitée, se sont empressés de la récuser. On peut toujours recruter des députés et des ministres qui siègent au centre gauche; ils recevraient plus qu'ils n'apporteraient. L'ouverture non plus vers les hommes mais vers les idées de l'opposition est plus nécessaire pour faire oeuvre de justice mais plus difficile dans la mesure où la majorité-et les gaullistes n'ont pas attendu longtemps pour le redire-n'a pas été reconduite pour faire la politique de ses adversaires. En réalité, la question qui se pose aujourd'hui est la même qu'il y a quatre ans; le président a-t-il la volonté et la possibilité d'appliquer sa politique ? JACQUES FAUVET Le Monde du 21 mars 1978

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