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Article de presse: Une division SS islamiste en Bosnie

Publié le 22/02/2012

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Novembre 1943 - " Vous devez servir d'exemple et de fanal dans la lutte contre les ennemis communs du national-socialisme et de l'islam. " Novembre 1943. Au coeur de la Bosnie, le grand mufti de Jérusalem, Hadj Amin Al Husseini termine son allocution, puis passe lentement en revue les hommes de la SS Freiwilligen-BH-Gebirgs-Division, les volontaires de la division de montagne de Bosnie-Herzégovine. Pourtant, dans le contexte balkanique, ni son titre, ni le renom des Husseini de Palestine, ni la force de ses convictions ne suffisent à rassembler la jeunesse musulmane de Bosnie autour des oriflammes SS. De fait, la troupe réunie au fil des mois n'est pas très brillante. Les forces vives de l'islam serbe ne répondent pas à l'appel. D'un côté, les alliés croates de l'Allemagne font tout pour l'empêcher de l'autre, la forte présence des partisans titistes dans la région n'incite guère la population à rallier le nazisme. Qu'importe, Hadj Amin Al Husseini se satisfait de cet embryon d'armée. Il est patient, jouant depuis le début du conflit mondial la carte allemande, à l'image d'un autre candidat au rôle de guide du nationalisme arabo-musulman auprès des nazis : l'Irakien Rashid Ali El Goulami, qui fut, à Bagdad, l'un des organisateurs du coup d'Etat du 24 décembre 1938 contre l'équipe pro-britannique d'Hikmet Sulayman, puis, en avril 1941, engagea son pays dans le combat anti-britannique aux côtés des forces allemandes du Levant. En 1943, les deux hommes, alliés et concurrents, déploient leur activité à Berlin, bien décidés à mobiliser, au plus haut niveau, le Reich pour leur cause. L'Allemagne, avec plus de moyens et de volonté que l'Italie mussolinienne, tente d'organiser l'ensemble islamique au nom de la lutte anti-impérialiste et sans jamais oublier le combat pour " la suppression du foyer judéo-national en Palestine " (1). La décision de créer une division musulmane en Bosnie entre dans ce cadre. Le projet est mis au point au début de l'année 1943, au lendemain d'une rencontre italo-allemande à Rome, autour d'Alexander Lohr, le commandant pour les Balkans. Il s'agit de préparer une cinquième offensive militaire contre les partisans de Tito puissamment installés en Bosnie. Cette Bosnie de 1943 est un ensemble politique et humain complexe. Province de l'Etat indépendant de Croatie, créée le 10 avril 1941 sous le regard bienveillant de l'Allemagne, elle est composée, à côté de 24 % de Croates catholiques, de Serbes orthodoxes (40 %), citoyens de seconde classe depuis la formation de la dictature des Oustachis, et de 30 % de Serbes islamisés il y a plusieurs siècles. Ces derniers, traditionnellement coincés entre le nationalisme chrétien des uns et les rêves de Grande Serbie des autres, se retrouvent, cette fois, avec l'Etat du dictateur Ante Pavelic, happés par un pouvoir qui leur offre une citoyenneté. L'ensemble de la communauté musulmane, " cette fleur de la nation croate ", comme aiment à le répéter à l'époque les idéologues oustachis, s'installe dans cette nouvelle situation avec l'approbation complaisante de son élite intellectuelle et religieuse. Marqués, dans la mémoire collective serbe, du sceau de l'infamie et de la trahison des ancêtres en raison de la conversion à l'islam de leurs aïeux, les Slaves islamisés se retrouvent sollicités, reconnus, et dans une certaine mesure, attirés par l'aventure pro-allemande. Et tandis que s'organise une terrible répression contre les populations orthodoxes, tsiganes et juives, seule une minorité de responsables musulmans tenteront d'organiser la protestation contre les massacres et les conversions forcées au catholicisme. Ils ne seront guère suivis. Face au mouvement oustachi, la Bosnie, comme l'Herzégovine, héberge aussi les groupes armés de nationalistes serbes, les tchetniks, dirigés, avec l'appui provisoire de Londres, par Draja Mihaïlovitch, général de l'armée royale. Ils sont les principaux responsables des destructions systématiques de villages catholiques et musulmans de la région. Parallèlement, une résistance antinazie a été organisée par le Parti communiste, ou plutôt par les rares dirigeants rescapés des purges staliniennes de 1938. Josip Broz, alias Tito, est à leur tête. Ouverts à tous au nom de la lutte antifasciste, les partisans, sérieusement affaiblis par la répression allemande, ont fui la Serbie. Ils reconstituent leurs forces dans la montagne bosniaque, au coeur d'une région à peine plus grande que le Massif Central, 51 000 km², où l'on retrouve, en concentré, toutes les communautés humaines du futur Etat fédéral. Bihac devient, à la fin de l'année 1942, leur première " capitale ". Quelques mois plus tard, ils choisissent Jajce pour annoncer la renaissance de l'Etat yougoslave. YVES-MARC AJCHENBAUM Le Monde du 15 novembre 1993

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