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Article de presse: Vatican II : l'Eglise catholique entre dans le XXe siècle

Publié le 22/02/2012

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8 décembre 1965 - C'est au cours de Vatican II que Rome est véritablement entrée dans le vingtième siècle, ce qui mesure à la fois le retard de l'Eglise et son effort d'aggiornamento. En effet, ce concile a aboli le sentiment que l'Eglise catholique-si répandue qu'elle soit dans le monde-ressemblait à une secte : religion occidentale pratiquement liée à la civilisation gréco-latine, religion de pays développés, étrangère par surcroît aux grands courants de l'histoire et de la pensée contemporaine et aux préoccupations majeures des hommes de ce temps. Le concile, pour ainsi dire, a renversé les murailles de la citadelle " catholique ", et a fait " pénétrer l'air frais " de l'extérieur, selon l'image de Jean XXIII. En même temps, ce monde extérieur a perçu quelque chose du capital spirituel d'une Eglise qui n'est pas seulement une institution et une hiérarchie, mais un foyer d'espoir, de foi et d'amour. Il est incontestable que l'Eglise est apparue à Vatican II plus en quête de vérités nouvelles, de nouvelles manières de servir les hommes que propriétaire jalouse de ses droits, voire de ses privilèges. En un mot, l'Eglise romaine s'est davantage imprégnée de l'Evangile, au grand étonnement des anticléricaux. Tout à coup, Rome s'est révélée plus sévère pour elle-même, capable d'autocritique, et plus indulgente pour les autres. Ce changement n'a été possible que parce que la majorité des hommes du concile ont vaincu la peur. Plutôt que de se montrer agressive, négative, et de brandir des anathèmes et des condamnations comme la minorité l'en priait, l'Eglise a réagi en adulte. Est-ce à dire que le concile est une pleine réussite et qu'il a su opérer en tous points l'aggiornamento doctrinal et pastoral qui s'imposait ? Loin de là. Pour être honnête, un bilan doit tenir compte du passif et de l'actif. Echecs provisoires En quoi Vatican II a-t-il échoué, au moins pour le moment et selon les apparences ? Sans prétendre être exhaustif, voici quelques jalons. Le concile a buté sur quatre problèmes, dont deux au moins concernent directement les relations interpersonnelles de l'homme et de la femme. Faut-il s'en étonner, dans une Eglise promue par des célibataires qui ont si longtemps regardé la femme comme un être suspect et dangereux ? 1-Le premier de ces problèmes concerne la régulation des naissances. Vatican II en serait-il venu à bout si le pape lui avait laissé sur ce point sa liberté d'action ? Ce n'est pas sûr, en dépit des grandes interventions de la troisième session, d'un Maximos IV, d'un cardinal Suenens, d'un cardinal Léger, d'un cardinal Alfrink, qui ont si vivement impressionné l'opinion publique. Mais Paul VI, anxieux, s'est réservé cette question, et les conclusions de la commission spéciale extra-conciliaire crée à cet effet sont si hétérogènes que le pape ne s'est pas encore prononcé. Incontestablement, ce suspense apparaît bien long et décevant à ceux qui perçoivent mal la complexité de ce problème. On ne saurait cependant oublier que le schéma 13, bien que muet, par ordre, sur ce sujet, en mettant notamment l'accent sur l'amour des époux, entrouvre les portes de l'avenir. 2-Vatican II a eu la lucidité d'instituer un diaconat marié (2 134 placet contre 10 non placet). Cette solution permettra dans une certaine mesure de surmonter la très grave crise des vocations que traverse l'Eglise. Mais le concile s'est vu, on le sait, interdire par Paul VI de discuter l'opportunité pour l'Eglise latine de créer, à côté du clergé célibataire actuel, un nouveau clergé marié. De toute évidence, la question n'est pas mûre. La majorité s'est crispée dans le statu quo, cherchant à confondre la notion de convenance-incontestable et incontestée-entre prêtrise et célibat, avec celle d'une exigence interne. L'avenir dira dans quelle mesure cette crispation psychologiquement explicable est provisoire et si la situation catastrophique de l'Amérique latine n'imposera pas des solutions exceptionnelles " ad experimemtum ". 3-Vatican II n'a pas affronté le problème si grave et si angoissant pour tant de fidèles, particulièrement depuis les deux dernières guerres, de la possibilité pour un conjoint innocent, abandonné, de se remarier comme cela est possible dans l'Eglise orthodoxe. Un seul évêque melkite, à ses risques et périls, a soulevé cette question, apparemment sans aucun succès. 4-Enfin, le voeu exprimé par le concile concernant les mariages mixtes est resté sans lendemain. Des millions de futurs couples attendent un texte libérateur qui n'arrive pas. Certains redoutent que le motu proprio de Paul VI, en préparation, soit infiniment moins libéral que ne l'avait souhaité Vatican II. Voici d'autres lacunes de Vatican II : Malgré l'exemple du pape, qui a solennellement abandonné sa tiare, symbole de son pouvoir temporel, et qui a accompli divers gestes de dépouillement non équivoques, les pères du concile n'ont pas écouté ceux qui leur proposaient un geste collectif de renoncement aux signes extérieurs de richesse (bijoux précieux, terres, palais, etc.) et aux titres d'un autre âge qui heurtent un nombre toujours plus grand de fidèles. Sur le plan institutionnel, Vatican II a refusé de fixer dans l'Eglise, à l'instar de toutes les grandes organisations profanes, une limite d'âge aux évêques résidentiels. Sur ce point, le pape est allé plus loin que le concile puisque cette limite d'âge fait partie, affirme-t-on, de l'imminente réforme de la Curie qui va suivre celle du Saint-Office acquise depuis quarante-huit heures. En outre, on n'a pas touché au mode de nomination des évêques dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne correspond nullement aux légitimes aspirations du " peuple de Dieu ", pour employer la définition de l'Eglise que la constitution conciliaire Lumen gentium a adoptée par 2 151 placet contre 5 non placet. Voilà, à notre sens, les principales timidités de Vatican II. Ces " blocages " sont inévitables dans une société aussi lourde et complexe que l'Eglise romaine, tributaire de son passé, parfois obsédée par sa fidélité aux traditions. Le juste partage n'est pas facile à faire entre ce qui peut et doit être changé et ce qui peut et doit être conservé. L'admirable, à Vatican II, est bien plutôt que ces deux mille deux cents évêques, d'un âge généralement assez avancé et que leur genre de vie coupe assez souvent des réalités quotidiennes, se soient montrés capables de tant de souplesse et de tant de jeunesse de coeur. Nouvelles pistes Vatican II, officiellement baptisé concile " oecuménique ", fut en fait plus oecuménique par son objet que par sa nature. Qu'est-ce à dire ? Il ne dépendait pas de lui-malgré son désir intime-de réunir d'une manière constitutive tous les chrétiens : Vatican II ne pouvait être un concile d'union, mais seulement, plus modestement, un concile de préparation à l'unité. En revanche, il a manifesté un sens pastoral suffisamment aigu pour accomplir un tour d'horizon des réformes souhaitables. Le meilleur exemple qui puisse être donné est celui des prêtres-ouvriers. Contre tout espoir, cette formule a été explicitement approuvée par le concile. Ce résultat est dû en grande partie au travail obstiné de quelques prêtres obscurs qui ont peu à peu réussi à persuader le pape, la Curie et les évêques des vertus de cette méthode d'apostolat. Six ans après leur condamnation, le concile a donc donné droit de cité aux prêtres travaillant en usine. Ce revirement spectaculaire est gros de conséquences, car, il n'est pas exagéré de le dire, la clé de voûte de l'apostolat des milieux populaires se trouve ici, et pas ailleurs. L'Eglise a en quelque sorte accepté de " passer aux barbares ". Il lui reste maintenant à trouver d'urgence les moyens de se faire présente au sein du sous-prolétariat des pays du " tiers-monde ". Là se gagnera ou se perdra la bataille décisive de l'Eglise de notre siècle. Il est impossible d'énumérer à nouveau les réformes obtenues ou amorcées par Vatican II. Tenons-nous en donc à quelques points saillants. Sans renier le plus pur de sa tradition, l'Eglise romaine a renoncé à se considérer comme ayant le monopole de la vérité. Elle a rendu généreusement hommage aux vérités contenues dans les autres religions quelles qu'elles soient, à commencer, bien entendu, par ses soeurs, les confessions chrétiennes non catholiques. En moins de quatre ans, Rome est entrée par la grande porte dans le concert oecuménique dont elle était tragiquement absente. Les autres Eglises ne peuvent plus, aujourd'hui, reprocher au catholicisme sa morgue et son pharisaïsme. N'en sont pas revenus aussi bien les éléments conservateurs romains que les intégristes non catholiques, dont la fureur traduit le désarroi. Les juifs, qui ont eu tant à souffrir des chrétiens, ont reçu justice, au moins dans les textes. Avec les athées eux-mêmes, Vatican II, renonçant à de vains anathèmes, a noué un début de dialogue qui s'amplifiera progressivement. Le concile a enfin déclaré la paix au monde entier, profane et religieux. Y compris aux communistes, dont Jean XXIII affirmait : " Ils se disent les ennemis de l'Eglise, mais l'Eglise n'a pas d'ennemis. " Ce libéralisme n'est pas seulement psychologique. Qu'on ne s'y trompe pas, il est, à sa façon, doctrinal. Cela ne veut pas dire que l'Eglise ne se considère plus comme le phare spirituel de l'humanité, ni que le successeur de Pierre hésite à reconnaître sa mission de grand ensemblier de la chrétienté en devenir, mais que l'une et l'autre ont saisi la part de relativisme et d'impureté inhérente à toute oeuvre humaine, et, d'autre part, qu'ils ont renoncé à chercher des appuis suspects dans le bras séculier. Tel est le sens profond du schéma sur la liberté religieuse. Du même coup, l'Eglise romaine a jeté les bases d'un authentique respect de la personne humaine en son sein même. En reniant l'esprit totalitaire du Saint Office et de l'Inquisition, elle a enfin repoussé sa tentation permanente de peser sur les intelligences et sur les consciences. Sur le plan social, Vatican II a affirmé clairement le primat de la destination commune des biens sur la propriété privée. C'est un pas de géant. Il reste aux épiscopats des pays sous-développés à en tirer les conséquences et à dénoncer sans faiblesse les injustices scandaleuses des sociétés païennes dans leurs structures et leurs réflexes. L'Eglise post-conciliaire relèvera-t-elle le défi de ceux qui prétendent non sans raison que les gouvernements chrétiens servent mieux Mammon que Dieu ? Cette libération de la pensée catholique, trop longtemps prisonnière du courant négatif de la Contre-Réforme, permet jusqu'à un certain point d'opérer la jonction avec la trilogie de la Révolution française, qui a fait le tour du monde profane avant d'être récupérée par le catholicisme, d'où elle était sortie non sans déformation, " Liberté, égalité, fraternité " : la glorieuse devise fut en quelque sorte celle de Vatican II, comme l'a suggéré récemment Hans Küng. L'Eglise post-conciliaire doit maintenant assimiler et prolonger à tous ses échelons l'apport étonnamment riche de Vatican II. Enorme travail, qui suppose autant de sagesse que d'audace. Il sera facilité par la nouvelle conscience collective de l'épiscopat qui a été peu à peu façonnée par le concile. HENRI FESQUET Le Monde du 10-11 décembre 1965
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« pouvoir temporel, et qui a accompli divers gestes de dépouillement non équivoques, les pères du concile n'ont pas écouté ceuxqui leur proposaient un geste collectif de renoncement aux signes extérieurs de richesse (bijoux précieux, terres, palais, etc.) etaux titres d'un autre âge qui heurtent un nombre toujours plus grand de fidèles. Sur le plan institutionnel, Vatican II a refusé de fixer dans l'Eglise, à l'instar de toutes les grandes organisations profanes, unelimite d'âge aux évêques résidentiels.

Sur ce point, le pape est allé plus loin que le concile puisque cette limite d'âge fait partie,affirme-t-on, de l'imminente réforme de la Curie qui va suivre celle du Saint-Office acquise depuis quarante-huit heures. En outre, on n'a pas touché au mode de nomination des évêques dont le moins que l'on puisse dire est qu'il ne correspondnullement aux légitimes aspirations du " peuple de Dieu ", pour employer la définition de l'Eglise que la constitution conciliaireLumen gentium a adoptée par 2 151 placet contre 5 non placet. Voilà, à notre sens, les principales timidités de Vatican II.

Ces " blocages " sont inévitables dans une société aussi lourde etcomplexe que l'Eglise romaine, tributaire de son passé, parfois obsédée par sa fidélité aux traditions.

Le juste partage n'est pasfacile à faire entre ce qui peut et doit être changé et ce qui peut et doit être conservé.

L'admirable, à Vatican II, est bien plutôtque ces deux mille deux cents évêques, d'un âge généralement assez avancé et que leur genre de vie coupe assez souvent desréalités quotidiennes, se soient montrés capables de tant de souplesse et de tant de jeunesse de coeur. Nouvelles pistes Vatican II, officiellement baptisé concile " oecuménique ", fut en fait plus oecuménique par son objet que par sa nature.

Qu'est-ce à dire ? Il ne dépendait pas de lui-malgré son désir intime-de réunir d'une manière constitutive tous les chrétiens : Vatican II ne pouvaitêtre un concile d'union, mais seulement, plus modestement, un concile de préparation à l'unité.

En revanche, il a manifesté un senspastoral suffisamment aigu pour accomplir un tour d'horizon des réformes souhaitables. Le meilleur exemple qui puisse être donné est celui des prêtres-ouvriers.

Contre tout espoir, cette formule a été explicitementapprouvée par le concile.

Ce résultat est dû en grande partie au travail obstiné de quelques prêtres obscurs qui ont peu à peuréussi à persuader le pape, la Curie et les évêques des vertus de cette méthode d'apostolat.

Six ans après leur condamnation, leconcile a donc donné droit de cité aux prêtres travaillant en usine.

Ce revirement spectaculaire est gros de conséquences, car, iln'est pas exagéré de le dire, la clé de voûte de l'apostolat des milieux populaires se trouve ici, et pas ailleurs.

L'Eglise a enquelque sorte accepté de " passer aux barbares ".

Il lui reste maintenant à trouver d'urgence les moyens de se faire présente ausein du sous-prolétariat des pays du " tiers-monde ".

Là se gagnera ou se perdra la bataille décisive de l'Eglise de notre siècle. Il est impossible d'énumérer à nouveau les réformes obtenues ou amorcées par Vatican II.

Tenons-nous en donc à quelquespoints saillants. Sans renier le plus pur de sa tradition, l'Eglise romaine a renoncé à se considérer comme ayant le monopole de la vérité.

Elle arendu généreusement hommage aux vérités contenues dans les autres religions quelles qu'elles soient, à commencer, bien entendu,par ses soeurs, les confessions chrétiennes non catholiques.

En moins de quatre ans, Rome est entrée par la grande porte dans leconcert oecuménique dont elle était tragiquement absente.

Les autres Eglises ne peuvent plus, aujourd'hui, reprocher aucatholicisme sa morgue et son pharisaïsme. N'en sont pas revenus aussi bien les éléments conservateurs romains que les intégristes non catholiques, dont la fureur traduit ledésarroi. Les juifs, qui ont eu tant à souffrir des chrétiens, ont reçu justice, au moins dans les textes.

Avec les athées eux-mêmes, VaticanII, renonçant à de vains anathèmes, a noué un début de dialogue qui s'amplifiera progressivement.

Le concile a enfin déclaré lapaix au monde entier, profane et religieux.

Y compris aux communistes, dont Jean XXIII affirmait : " Ils se disent les ennemis del'Eglise, mais l'Eglise n'a pas d'ennemis.

" Ce libéralisme n'est pas seulement psychologique.

Qu'on ne s'y trompe pas, il est, à safaçon, doctrinal.

Cela ne veut pas dire que l'Eglise ne se considère plus comme le phare spirituel de l'humanité, ni que lesuccesseur de Pierre hésite à reconnaître sa mission de grand ensemblier de la chrétienté en devenir, mais que l'une et l'autre ontsaisi la part de relativisme et d'impureté inhérente à toute oeuvre humaine, et, d'autre part, qu'ils ont renoncé à chercher desappuis suspects dans le bras séculier.

Tel est le sens profond du schéma sur la liberté religieuse.

Du même coup, l'Eglise romainea jeté les bases d'un authentique respect de la personne humaine en son sein même.

En reniant l'esprit totalitaire du Saint Office etde l'Inquisition, elle a enfin repoussé sa tentation permanente de peser sur les intelligences et sur les consciences.. »

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