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Article de presse: Vietnam : un " dragon " en mutation hésitante

Publié le 22/02/2012

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vietnam
- Rien n'y a fait. Le policier a eu beau siffler, le jeune cyclomotoriste en infraction ne s'est pas arrêté. Il s'est rapidement perdu dans l'infernale sarabande de motos et de vélos qui, jour et nuit, sillonne en pelotons groupés les artères principales de Ho Chi Minh-Ville (ex-Saïgon). Alors que les deux tiers de la population vietnamienne (77 millions d'habitants) vivent encore dans les campagnes, sans eau courante ni électricité, Ho Chi Minh-Ville arbore sans retenue les signes extérieurs de la modernité : néons, magasins d'électronique grand public, motos et embouteillages. Certes, il est encore possible, dans cette ville de 5 millions d'habitants, 70 % de la population ont moins de trente-cinq ans , d'avaler une soupe dans un restaurant de rue, ou de trouver des familles qui mangent, dorment et travaillent dans la même boutique. Mais, simultanément, les ascenseurs ont commencé de changer la vie quotidienne : la séparation du travail et de l'habitat tend à devenir la norme, et les bureaux modernes empêchent de faire la sieste sur le lieu de travail. Pour peu que les infrastructures (routes, ponts, transports en commun, adduction d'eau potable...) soient progressivement modernisées, c'est un pan entier du Vietnam qui aura basculé dans la modernité. Un pas de côté Le fossé ville-campagne, qui se creuse de manière vertigineuse au Vietnam, est le résultat de dix ans de modernisation. En décembre 1986, en effet, le parti communiste vietnamien a effectué un pas de côté et lancé un programme massif de réformes économiques, appelé Doi Moi (Rénovation). Il s'agissait pour lui de satisfaire les aspirations au bien-être de la population sans perdre le pouvoir. La collectivisation des terres a donc été abandonnée, l'investissement étranger a obtenu droit de cité en 1987, les banques privées ont ouvert des bureaux en 1988 et le statut d'entreprise privée a été reconnu en 1990, tandis que les privatisations démarraient timidement. Le succès de cette politique a été immédiat. Le taux de croissance de l'économie vietnamienne, qui devrait être ramené autour de 7 % cette année, a oscillé entre 8 % et 9 % par an pendant dix ans. Les exportations ont crû de 25 % par an, d'importateur de riz, le Vietnam est aujourd'hui l'un des premiers pays exportateurs. L'inflation a été ramenée en dessous de 10 %, et le PIB par tête est passé de 194 à 290 dollars ces deux dernières années. Cette vitrine relativement présentable doit toutefois être tempérée. Le déficit commercial s'est accru entre 1995 et 1996, passant de 2,3 milliards à 4,1 milliards de dollars (17 % du PIB), sans parler de la contrebande avec la Chine, qui n'est comptabilisée nulle part. Deux raisons à cela : la hausse de la valeur de la monnaie nationale, le dong (+ 30 % en trois ans, en dépit d'une dévaluation de fait de 5 % à la mi-octobre), a fait chuter les exportations. Et la soif de biens de consommation a fait le reste. Selon Le Dang Doanh, le responsable du Central Institute for Economic Management, " la politique de substitution des importations qui a été menée est très coûteuse en biens importés " . Le Coca-Cola, la bière, les cigarettes, l'eau minérale, le ciment... sont certes produits désormais sur place, mais ils nécessitent souvent des matières de base qui doivent continuer d'être importées. D'où une hémorragie de devises qui pourrait bien être amendée dans les prochaines années. Selon un expert étranger, " le Vietnam n'a pas encore choisi entre une stratégie de substitution aux importations et un développement basé sur les exportations et l'ouverture commerciale " . L'ouverture économique a également achoppé sur les blocages du secteur bancaire. Preuve de la méfiance de la population envers le système, seuls 80 000 particuliers (d'autres disent 44 000) ont ouvert un compte dans un établissement financier. Sur une population de 77 millions de personnes, le pourcentage est faible. Les investisseurs et les banquiers étrangers ont appris, eux aussi, la prudence : ils sont restés sans voix quand certaines banques publiques vietnamiennes ont refusé d'honorer leurs créances en devises sous prétexte que leurs propres débiteurs ne les remboursaient pas. Quant aux banques privées, un tiers d'entre elles seraient en difficulté du fait de prêts excessifs consentis à leurs actionnaires et d'opérations spéculatives réalisées dans l'immobilier. Des audits ont bien été lancés par le gouvernement sur la qualité de la gestion des grandes banques publiques, mais leur résultat n'a pas été dévoilé. Quelques dirigeants ont été limogés, mais le système demeure opaque. Rien d'étonnant donc si les lessiveuses regorgent de dongs et si l'épargne se réfugie dans le dollar américain et le taël d'or, ces fines plaquettes de métal jaune qui financent traditionnellement les achats importants des ménages. Près de 2 milliards de dollars en liquide seraient en circulation, plus 1 milliard de dollars de taëls d'or. Enfin, si l'on en juge par les milliers de motos dans les rues, que personne n'a en théorie les moyens de se payer (elles valent 2 000 dollars pièce, soit 12 000 francs, alors que le revenu annuel moyen est inférieur à 400 dollars), une économie souterraine très dynamique semble également à l'oeuvre. Enfin, plus préoccupant compte tenu de l'importance de la contribution des investissements étrangers à la croissance, le cadre juridique des affaires demeure flou. Malgré une loi sur l'investissement étranger, une sur les assurances, malgré une loi foncière, le pouvoir intervient dans l'économie, la corruption s'aggrave et la protection juridique des brevets et de la propriété intellectuelle des investisseurs n'est pas assurée. Selon un homme d'affaires français établi au Vietnam, " 2 % à 4 % du coût d'un projet doivent être consacrés à graisser quelques pattes dans la technostructure. Mais le problème est qu'on n'est jamais sûr d'avoir donné aux bonnes personnes ni que cela finira par être efficace " . Aussi Jacques Dondoux, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, en visite officielle entre le 13 et le 16 octobre, a-t-il vigoureusement demandé au gouvernement vietnamien de protéger la propriété intellectuelle dans son pays. Essouflement Si on ajoute à cela la lenteur de la prise de décision, le marathon bureaucratique nécessaire à l'acheminement de tout dossier d'investissement, les vols de brevets et les escroqueries d'hommes d'affaires étrangers par des partenaires locaux, les investisseurs étrangers ont commencé à se presser moins nombreux aux portes du Vietnam. Selon Nguyen Bich Dat, directeur adjoint au département des investissements étrangers du ministère du Plan, les licences d'investissement délivrées sur les neuf premiers mois de 1997 avaient atteint 2,3 milliards de dollars, soit une hausse de 13 % par rapport à 1996. Mais, si l'on enlève les augmentations de capital nécessaires à la bonne marche d'entreprises étrangères déjà installées, les investissements directs en 1997 n'ont atteint que 70 % des montants réalisés en 1996. C'est là l'un des moteurs de l'économie du Vietnam qui donne à présent des signes d'essoufflement. Enfin, l'Etat devra régler le problème de son déficit budgétaire (lequel a cependant été ramené à 1,5 % du PIB en 1996 contre 6 % trois ans plus tôt) en assujettissant mieux la population à l'impôt. Les marchés nocturnes de Ho Chi Minh-Ville font régulièrement la preuve de l'incapacité des services fiscaux à faire rentrer l'impôt. Quelques soirs par semaine, en effet, des dizaines d'agriculteurs, d'éleveurs et de grossistes viennent vers trois heures du matin vendre leurs légumes et volailles à la lueur des réverbères. Les mêmes repartent à six heures, juste avant le passage des percepteurs de taxes. Personne ne paie l'impôt au Vietnam, excepté les grandes entreprises publiques. Guerre des clans Ces dysfonctionnements font-ils du Vietnam un pays en crise comme les autres ? Plus que les autres peut-être, dans la mesure où la mutation économique et sociale en cours apparaît mal maîtrisée par le pouvoir communiste. Le 8e congrès a certes réaffirmé, en juin 1996, la réalité de la politique d'ouverture, mais il s'est refusé à la moindre prospective. Tiraillé entre différents clans, ceux qui veulent accélérer les réformes et ceux qui sont contre par exemple, sans parler des lobbies régionaux, le parti ne décide qu'au consensus. Ce qui ralentit considérablement la prise de décision. Du coup, les clivages existants menacent de se creuser davantage. Entre la ville et la campagne, mais aussi entre les riches et les pauvres. 50 % de la population vit avec moins de 100 dollars par an, tandis que dans les villes une nouvelle bourgeoisie se crée, qui consomme, les soirs de fête, du Cognac à 60 dollars la bouteille. La contradiction pourrait également devenir aiguë entre cette frange de la population qui aspire à consommer toujours davantage et la nécessaire réorientation des investissements en direction de biens d'équipement : ponts, routes, adduction d'eau potable... plutôt que des cigarettes et du Coca-Cola. Enfin, nombre d'interrogations pèsent sur le devenir de la jeunesse. 50 % de la population a aujourd'hui moins de vingt ans. L'idéologie a peu de prise sur cette génération qui aime la vitesse et les motos, les cigarettes blondes et le football, et qui manifeste plus volontiers sa joie lorsque l'équipe de football national enregistre une victoire à l'extérieur que lorsque les objectifs du Plan sont dépassés. Comment réagiront ces jeunes en cas de restriction de la consommation ? Bien malin qui pourrait le dire ! YVES MAMOU Le Monde du 11 novembre 1997
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« intellectuelle dans son pays. Essouflement Si on ajoute à cela la lenteur de la prise de décision, le marathon bureaucratique nécessaire à l'acheminement de tout dossierd'investissement, les vols de brevets et les escroqueries d'hommes d'affaires étrangers par des partenaires locaux, les investisseursétrangers ont commencé à se presser moins nombreux aux portes du Vietnam.

Selon Nguyen Bich Dat, directeur adjoint audépartement des investissements étrangers du ministère du Plan, les licences d'investissement délivrées sur les neuf premiers moisde 1997 avaient atteint 2,3 milliards de dollars, soit une hausse de 13 % par rapport à 1996.

Mais, si l'on enlève lesaugmentations de capital nécessaires à la bonne marche d'entreprises étrangères déjà installées, les investissements directs en1997 n'ont atteint que 70 % des montants réalisés en 1996.

C'est là l'un des moteurs de l'économie du Vietnam qui donne àprésent des signes d'essoufflement. Enfin, l'Etat devra régler le problème de son déficit budgétaire (lequel a cependant été ramené à 1,5 % du PIB en 1996 contre6 % trois ans plus tôt) en assujettissant mieux la population à l'impôt.

Les marchés nocturnes de Ho Chi Minh-Ville fontrégulièrement la preuve de l'incapacité des services fiscaux à faire rentrer l'impôt.

Quelques soirs par semaine, en effet, desdizaines d'agriculteurs, d'éleveurs et de grossistes viennent vers trois heures du matin vendre leurs légumes et volailles à la lueurdes réverbères.

Les mêmes repartent à six heures, juste avant le passage des percepteurs de taxes.

Personne ne paie l'impôt auVietnam, excepté les grandes entreprises publiques. Guerre des clans Ces dysfonctionnements font-ils du Vietnam un pays en crise comme les autres ? Plus que les autres peut-être, dans la mesureoù la mutation économique et sociale en cours apparaît mal maîtrisée par le pouvoir communiste.

Le 8e congrès a certesréaffirmé, en juin 1996, la réalité de la politique d'ouverture, mais il s'est refusé à la moindre prospective.

Tiraillé entre différentsclans, ceux qui veulent accélérer les réformes et ceux qui sont contre par exemple, sans parler des lobbies régionaux, le parti nedécide qu'au consensus.

Ce qui ralentit considérablement la prise de décision. Du coup, les clivages existants menacent de se creuser davantage.

Entre la ville et la campagne, mais aussi entre les riches et lespauvres.

50 % de la population vit avec moins de 100 dollars par an, tandis que dans les villes une nouvelle bourgeoisie se crée,qui consomme, les soirs de fête, du Cognac à 60 dollars la bouteille.

La contradiction pourrait également devenir aiguë entre cettefrange de la population qui aspire à consommer toujours davantage et la nécessaire réorientation des investissements en directionde biens d'équipement : ponts, routes, adduction d'eau potable...

plutôt que des cigarettes et du Coca-Cola. Enfin, nombre d'interrogations pèsent sur le devenir de la jeunesse.

50 % de la population a aujourd'hui moins de vingt ans.L'idéologie a peu de prise sur cette génération qui aime la vitesse et les motos, les cigarettes blondes et le football, et quimanifeste plus volontiers sa joie lorsque l'équipe de football national enregistre une victoire à l'extérieur que lorsque les objectifsdu Plan sont dépassés.

Comment réagiront ces jeunes en cas de restriction de la consommation ? Bien malin qui pourrait le dire ! YVES MAMOU Le Monde du 11 novembre 1997. »

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