Autrui comme condition de ma conscience/existence
Publié le 25/07/2010
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"Un être qui n'est pas lui-même objet pour autrui ne possède aucun être qui soit son objet, c'est-à-dire ne peut pas avoir de comportement objectif, son existence est immatérielle. Un être immatériel est un monstre. Supposez un être qui ne soit pas lui-même un objet, et n'ait de rapport avec aucun objet. Un tel être serait d'abord l'être unique et solitaire, il n'en existerait aucun autre hors de lui. Car, sitôt qu'il y a des objets hors de moi, sitôt que je ne suis pas seul, je suis quelque chose d'autre et une autre réalité que l'objet hors de moi. Pour ce tiers, je suis donc une réalité autre que lui-même, c'est-à-dire que je suis son objet. Supposer un être un être qui ne soit pas objet pour un autre être, c'est supposer qu'il n'existe pas d'être objectif. Sitôt qu'il y a un objet pour moi, je suis moi-même objet pour lui. Mais un être non objectif est un être irréel, non sensible, seulement pensé, c'est-à-dire imaginé : un être d'abstraction. Être sensible, ou réel, cela signifie être objet des sens, objet sensible, et donc avoir hors de soi des objets qui se rapportent à la sensibilité. Être sensible, c'est pâtir". Marx, Ébauche d'une critique de l'économie politique, 1844, Avant-Propos, trad. Jean Malaquais et Claude Orsoni, in Marx, Philosophie, Folio essais, p. 209. "La conscience, en général, n'a pu se développer que sous la pression du besoin de communication – dès le début, ce n'était que dans les rapports d'homme à homme, particulièrement entre celui qui commande et celui qui obéit, que la conscience était nécessaire, utile, et qu'en fonction du degré de cette utilité, elle arrivait à se développer. La conscience n'est en somme qu'un réseau de liens entre les hommes, - et ce n'est qu'en tant que telle qu'elle a dû se développer : à vivre isolé, telle une bête féroce, l'homme aurait pu fort bien s'en passer. Le fait que nos actes, nos pensées, nos sentiments, nos mouvements mêmes nous deviennent conscients – tout au moins une partie de ceux-ci – n'est que le résultat du règne effroyablement long qu'un « tu dois « a exercé sur l'homme ; il avait besoin, lui, l'animal le plus menacé, d'aide, de protection, il avait besoin de son semblable, il fallait qu'il sût se rendre intelligible pour exprimer sa détresse – et pour tout ceci il avait tout d'abord besoin de « conscience «, donc même pour « savoir « ce qui lui faisait défaut, ’pour « savoir « ce qu'il éprouvait, pour « savoir « ce qu'il pensait. Car pour le dire encore une fois : l'homme, comme toute créature vivante, pense sans cesse, mais il l'ignore ; la pensée qui devient consciente n'est qu'une infime partie disons : la plus superficielle, la plus médiocre : - car seule cette pensée consciente se produit en paroles, c'est-à-dire dans des signes de communication par quoi se révèle d'elle-même l'origine de la conscience". Nietzsche, Le gai savoir, 1882, § 354, tr. P. Klossowski. "Quand nous vivons à l'état de veille dans le monde, nous sommes constamment, que nous y prêtions attention ou non, conscient du monde, nous en sommes conscient comme de l'horizon de notre vie, comme horizon des "choses", de nos préoccupations et nos activités réelles et possibles. Toujours détaché sur l'horizon du monde, il y a l'horizon de nos prochains, que quiconque y soit présent ou non. avant même d'y prêter aucune attention, nous sommes conscient de l'horizon ouvert de notre co-humanité avec son noyau circonscrit, celui de nos proches et ceux que nous connaissons en général. Solidaire de cette conscience, il y a la conscience que nous avons des hommes dans notre horizon-de-l'étranger et donc nous avons chaque fois conscience comme des "autres"; chaque fois conscience des autres "pour moi", en tant que "mes" autres, comme ceux avec lesquels je peux entrer en connexion intropathique, actuelle et potentielle, immédiate et médiate, dans une compréhension réciproque entre soi et les autres, et sur le fondement de cette connexion, dans un échange avec eux, un engagement avec eux en n'importe quel mode particulier de communauté, et ensuite dans un savoir habituel de cet être-communautisé. Tout comme moi, chaque homme a sa co-humanité, et c'est comme tel qu'il est compris de moi et de tout le monde, et il a, s'y comptant toujours lui-même, l'humanité en général, dans laquelle il se sait vivre." Husserl, La Crise des Sciences européennes et la Phénoménologie transcendantale, 1936, Gallimard, p. 408. "L'homme qui s'atteint directement par le cogito découvre aussi tous les autres, et il les découvre comme la condition de son existence. Il se rend compte qu'il ne peut rien être (au sens où on dit qu'on est spirituel, ou qu'on est méchant, ou qu'on est jaloux) sauf si les autres le reconnaissent comme tel. Pour obtenir une vérité quelconque sur moi, il faut que je passe par l'autre. L'autre est indispensable à mon existence, aussi bien d'ailleurs qu'à la connaissance que j'ai de moi. Dans ces conditions, la découverte de mon intimité me découvre en même temps l'autre, comme une liberté posée en face de moi, qui ne pense, et qui ne veut que pour ou contre moi. Ainsi découvrons-nous tout de suite un monde que nous appellerons l'intersubjectivité, et c'est dans ce monde que l'homme décide ce qu'il est et ce que sont les autres". Jean-Paul Sartre, L'Existentialisme est un humanisme (1946), Éd. Nagel, 1970, pp. 66-67. "La solitude n'est pas une situation immuable où je me trouverais plongé depuis le naufrage de la Virginie. C'est un milieu corrosif qui agit sur moi lentement, mais sans relâche et dans un sens purement destructif. Le premier jour, je transitais entre deux sociétés humaines également imaginaires : l'équipage disparu et les habitants de l'île, car je la croyais peuplée. J'étais encore tout chaud de mes contacts avec mes compagnons de bord. Je poursuivais imaginairement le dialogue interrompu par la catastrophe. Et puis elle s'est révélée déserte. J'avançai dans un paysage sans âme qui vive. Derrière moi, le groupe de mes malheureux compagnons s'enfonçait dans la nuit. Leurs voix s'étaient tues depuis longtemps, quand la mienne commençait seulement à se fatiguer de son soliloque. Dès lors je suis avec une horrible fascination le processus de déshumanisation dont je sens en moi l'inexorable travail. Je sais maintenant que chaque homme porte en lui et comme au-dessus de lui un fragile et complexe échafaudage d'habitudes, réponses, réflexes, mécanismes, préoccupations, rêves et implications qui s'est formé et continue à se transformer par les attouchements perpétuels de ses semblables. Privée de sève, cette délicate efflorescence s'étiole et se désagrège. Autrui, pièce maîtresse de mon univers... Je mesure chaque jour ce que je lui devais en enregistrant de nouvelles fissures dans mon édifice personnel. Je sais ce que je risquerais en perdant l'usage de la parole, et je combats de toute l'ardeur de mon angoisse cette suprême déchéance. Mais mes relations avec les choses se trouvent elles-mêmes dénaturées par ma solitude. Lorsqu'un peintre ou un graveur introduit des personnages dans un paysage ou à proximité d'un monument, ce n'est pas par goût de l'accessoire. Les personnages donnent l'échelle et, ce qui importe davantage encore, ils constituent des points de vue possibles, qui ajoutent au point de vue réel de l'observateur d'indispensables virtualités. A Speranza, il n'y a qu'un point de vue, le mien, dépouillé de toute virtualité. Et ce dépouillement ne s'est pas fait en un jour. Au début, par un automatisme inconscient, je projetais des observateurs possibles des paramètres au sommet des collines, derrière tel rocher ou dans les branches de tel arbre. L'île se trouvait ainsi quadrillée par un réseau d'interpolations et d'extrapolations qui la différenciait et la douait d'intelligibilité. Ainsi fait tout homme normal dans une situation normale. Je n'ai pris conscience de cette fonction comme de bien d'autres qu'à mesure qu'elle se dégradait en moi. Aujourd'hui, c'est chose faite. Ma vision de file est réduite à elle-même. Ce que je n'en vois pas est un inconnu absolu... Partout où je ne suis pas actuellement règne une nuit insondable. [...] Je sais maintenant que la terre sur laquelle mes deux pieds appuient aurait besoin pour ne pas vaciller que d'autres que moi la foulent. Contre l'illusion d'optique, le mirage, l'hallucination, le rêve éveillé, le fantasme, le délire, le trouble de l'audition... le rempart le plus sûr, c'est notre frère, notre voisin, notre ami ou notre ennemi, mais quelqu'un, grands dieux, quelqu'un !" Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique, 1967, collection Folio, Éd. Gallimard, 1972, pp. 53-55. "Nous vivons endormis dans un Monde en sommeil. Mais qu'un tu murmure à notre oreille, et c'est la saccade qui lance les personnes : le moi s'éveille par la grâce du toi. L'efficacité spirituelle de deux consciences simultanées, réunies dans la conscience de leur rencontre, échappe soudain à la causalité visqueuse et continue des choses. La rencontre nous crée : nous n'étions rien - ou rien que des choses - avant d'être réunis." Bachelard, Préface à JE et TU de Martin Buber.
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