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Claude Javeau : Eloge de l'élitisme

Publié le 22/02/2012

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    … Pauvre culture générale ! Pour les étudiants d'aujourd'hui, cette notion évoque nécessairement une espèce de sépulcres blanchis, « l'encyclopédisme » de l'enseignement d'autrefois, bête noire de tous les réformateurs de l'école et des chantres de l'ouverture de celle-ci sur la « vie ». Plutôt une tête bien faite, paraît-il, qu'une tête bien pleine. Le malheur est, qu'à force d'être vide, la tête se transforme en une réduction à la Jivaro. A tête creuse, discours creux : ceux qui condamnent l'encyclopédisme – du reste imaginaire s'agissant de l'école que j'ai connue au lendemain de la seconde guerre mondiale – ignorent de quoi il s'agit réellement, et que cela n'a rien à voir avec ce qui est attendu à Questions pour un champion. L'étudiant ou l'étudiante contemporain(e) se fait gloire d'être inculte, de ne pas avoir rempli son esprit d'un fatras de choses prétendument inutiles. Mais ne pas remplir n'implique pas que l'on doive trouver la vacuité réjouissante ou digne d'éloges. Ne rien connaître en littérature, en art, en musique (surtout en musique, parente très pauvre sinon totalement déshéritée de l'enseignement secondaire), en géographie, en sciences élémentaires (pas les quatre cents et des particules composant un quelconque atome, mais bien, par exemple, le principe d'indétermination de Heisenberg ou les composants principaux d'une cellule) et surtout en histoire, en particulier celle de son propre pays, empêche que d'autres connaissances soient acquises et servent surtout à fournir des aliments à la réflexion critique. Si les noms de Diderot, de Darwin, de Keynes ou de Blum ne me disent rien, je ne trouverai pas saugrenu de préférer Brel à Baudelaire ou Jonasz à Mozart, sauf à être capable – car en soi de telles préférences pourraient être étayées sur une connaissance approfondie des productions des uns et des autres – d'expliquer ces choix autrement que par un désinvolte « j'aime mieux ». Ce qui, de la part de jeunes intellectuels (mais j'ai bien souligné que cette appellation leur déplaît souverainement), est assez affligeant, on en conviendra peut-être. Je ne plaide pas ici pour une culture générale qui ne serait qu'ornementale, un peu dans l'optique de cet aphorisme aussi creux que ridicule qui veut que la culture « est ce qui reste quand on a tout oublié » (on l'attribue à Edouard Herriot, qui a raté là une occasion de se taire). Au contraire, il s'agit de rappeler la nécessité de se bien connaître pour bien agir, ce qui n'est possible que si l'on connaît le contexte dans lequel on vit, dans ses multiples dimensions dont l'historique est l'une des plus nécessaires. Mais nos éclectiques par ignorance ne veulent point se fatiguer les méninges, de telle manière qu'à force de ne pas se fatiguer, les méninges finissent par s'atrophier et l'on devient ainsi fan de tel bêleur ou supporteur de tel cogneur de balle. Etre « cultivé », c'est précisément ne rien avoir oublié, ou si l'on a oublié quelque chose, être capable de le retrouver quelque part. Et si possible pas sur Internet, miroir aux alouettes pour les accros de la modernité avancée. Je ne suis pas sûr que tout(e) candidat(e) étudiant(e) se présentant aux portes de l'enseignement supérieur soit capable d'utiliser un banal dictionnaire et d'ailleurs je ne suis pas davantage sûr, au risque de me répéter, que tout(e) candidat(e) étudiant(e) sache lire et écrire. Ou plutôt j'en suis sûr, ayant pu le constater à plusieurs reprises sur le terrain. Corriger des copies de première ou de deuxième année constitue une épreuve très pénible. Outre l'infantilisme ou la négligence des graphies, et bien entendu les fautes d'orthographe tant d'usage que grammaticales, on est frappé par le simplisme des réponses, leur caractère inachevé tout comme d'ailleurs leur nombrilisme (« moi je pense comme Hegel… »). On n'est parfois pas loin des borborygmes de Loft Story. […]

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