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Cours: AUTRUI (4 de 4)

Publié le 22/02/2012

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IV. LA PROBLEMATIQUE MORALE DE LA PERSONNE Nous avons donc vu que si on laisse les choses humaines suivre leur cours, la notion d’autrui se dissout dans les relations sociales. Nous n’avons plus affaire qu’à quelques intimes ou à de parfaits étrangers. Est-on jamais à même d’avoir affaire à autrui comme tel? 1) qu’est-ce que le Moi? Cf. une pensée de Pascal Un homme se met à la fenêtre pour voir les passants; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non; car il ne pense pas à moi en particulier; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il? Non; car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus. Et si l’on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on moi? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. Qu’on ne se moque donc plus de ceux qui se font honorer pour des charges et pour des offices, car on n’aime personne que pour des qualités empruntées. L’argument du texte est simple: poser une alternative entre ce que une personne est (substance abstraite sans qualités) et la personne telle qu’elle nous apparaît dans sa singularité (les qualités qui la distinguent à nos yeux de toute autre personne, mais qui ne sont pas la personne). Alternative qui va jusqu’à la disjonction: il y a ce que nous sommes et ce qu’on peut connaître de nous. Pascal ne fait qu’étendre à la personne l’idée de personnage social, de masque. Sans doute s’inspire-t-il de Montaigne: "toutes nos vacations sont farcesques". Il faut comprendre ici que jamais nous ne pouvons même nous connaître les uns les autres, car ce que nous sommes, le moi ou la personne, n’est rien, ce n’est pas la personne, qui est sans qualités. Tout ce que nous pouvons connaître ce ne sont que des qualités "empruntées", ce n’est qu’un aspect de notre personne, ce n’est pas nous. Nous ne pouvons connaître quelqu’un qu’à travers ce qu’on peut en voir, certaines qualités dont il fait preuve, mais ces qualités ne sont pas la personne. Tout amour est injuste, injustifié. Toute relation humaine est une farce, une comédie où l’on porte des masques pour être quelqu’un. Qu’est-ce qu’on aime au fond quand on aime quelqu’un? Ce n’est pas lui, pas vraiment lui. On aime, parce qu’on aime aimer, parce que cela nous fait plaisir. Au fond, on aime parce qu’on s’aime et qu’on aime se faire plaisir: autrui n’est qu’un moyen pour moi. On pourrait dire qu’autrui n’est qu’une occasion dont je profite, un luxe que je m’offre. Certes, c’est bien lui que j’aime, mais à travers lui, j’en reviens toujours à ce "moi haïssable" dont parle Pascal. L’enseignement que l’on peut tirer de ce texte, c’est qu’il n’y a rien en moi ou en autrui qu’il suffirait de connaître pour qu’on puisse dire qu’on connaisse la personne en question. Le moi est insaisissable, on ne peut l’assigner à rien. Le moi se dissout dans un personnage: ce qu’on peut connaître d’une personne, ce n’est pas la personne, la personne est sans qualités, inconnaissable. 2) la personne au sens moral Mais quelles en sont les conséquences? Cela veut-il dire par exemple que les relations humaines sont toujours placées sous le signe d’une injustice fondamentale, comme le prétend Pascal? N’y a-t-il pas d’autres conclusions possibles? On pourrait aussi bien en tirer la conclusion que s’il n’est pas possible de connaître la personne d’autrui ni la mienne, c’est peut-être qu’il n’y a pas à les connaître! Un homme n’est pas une chose! D’une chose, je peux savoir ce qu’elle est: elle a certaines qualités (étendue dans l’espace, résistance, poids...) qui la définissent comme telle et dont je peux au moins en droit faire le tour. Mais un homme, qui peut dire ce qu’il est, ou plutôt qui il est? Il n’est pas: il existe, c’est-à-dire qu’il est en devenir perpétuel. Un homme, c’est une histoire toujours en train de se faire. De sorte que comme le disait Mounier: "Emile Chartier n’est pas un Emile Chartier." De même, une chose peut avoir un certain prix: ce cendrier vaut tant de francs et pas un sou de plus. Un homme, par contre, n’a pas de prix: il a de la valeur. (cf. l’exemple des prises d’otages: deux otages ne valent pas deux fois un otage) Qu’est-ce qui fait qu’un homme n’a pas de prix? Une chose a un certain prix, est monnayable parce qu’elle a une certaine utilité, sans quoi elle ne se vendrait pas. Elle est un moyen. Un homme, par contre, n’est jamais simplement un moyen, c’est le seul être qui soit en relation avec des fins.Il est d’une part capable de se proposer des fins, bonnes ou mauvaises, et c’est ce qui fait qu’il devient lui-même une fin en soi. Cf Kant, Fondements de la métaphysique des moeurs Les êtres raisonnables, sont appelées "personnes", parce que leur nature même en fait des fins en soi, c’est-à-dire quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui par conséquent met une limite à la faculté de chacun d’agir à son gré(...). Les êtres raisonnables ne sont donc pas simplement des fins subjectives, dont l’existence, effet de notre activité, n’a de valeur que pour nous; ce sont des fins objectives, c’est-à-dire quelque chose dont l’existence est une fin en soi-même, et même une fin telle qu’on ne peut la remplacer par aucune autre à laquelle celle-ci servirait uniquement de moyen Une chose a une valeur relative, "subjective", c’est-à-dire que l’intérêt qu’elle présente pour un sujet dépend de la fin qu’il aura choisie. C’est le but (subjectif) qui donne à la chose une valeur de moyen pour atteindre ce but. Un homme par contre a une valeur intrinsèque, "objective", quelle que soit la fin poursuivie. Cf. deuxième formulation de l’impératif catégorique: "agis toujours de telle sorte que tu considères autrui dans la maxime de ton action toujours en même temps comme une fin, jamais simplement comme un moyen." En quelque sorte, on peut dire que autrui est une fin pour moi, parce qu’il est capable de se proposer à lui-même des fins. 3) le respect En quelque sorte, je sais toujours qui est autrui, j’en sais l’essentiel: c’est quelqu’un qui, comme moi, est capable de se proposer des buts, de faire le bien ou le mal, qui est responsable des ses actes. En somme, quelqu’un qui est susceptible d’imputation, dit Kant. Voir l’exemple de Angel Heart: le héros peut-il être considéré comme responsable de ce qu’il a fait, du pacte qu’il a passé avec Lucifer, dans une vie antérieure mais dont il ne se souvient pas? L’idée de personne présuppose celle d’une mémoire: je dois pouvoir rendre compte de mes actes, pour être moi-même. Une personne, c’est la mémoire de soi plus la liberté. Et devant quelqu’un qui a cette relation avec les fins morales, je n’ai pas besoin de savoir ce qu’il est en plus, par ailleurs: s’il préfère le champagne ou la bière. Ce n’est pas la personne, ça. La personne, c’est au fond un penchant au mal enté sur une disposition au bien, un "caractère", dit Kant C’est pourquoi, je ne peux m’empêcher d’éprouver devant elle un sentiment de respect. C’est-à-dire, que quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle ait fait de bien ou de mal, tous ses actes présents passés ou à venir posaient déjà tout le problème de la destination morale de l’homme. A chacun de ses actes, tout homme est enclin à suivre ses désirs, et en même temps sait obscurément par sa conscience morale si c’est bien ou mal. Ce n’est pas celui qui aura fait uniquement le bien qui méritera mon respect! Comment savoir si c’est vraiment le bien qu’il a fait, et surtout comment être sûr s’il ne l’a pas fait par intérêt? Comme on ne peut pas pénétrer les mécanismes de la motivation, comme moi-même je ne suis jamais sûr de faire le bien pour le bien et non pour un intérêt caché, il ne s’agit pas là du critère auquel on doit mesurer le respect dû à quelqu’un. Le respect n’est pas proportionné au mérite, car il n’y a pas de mérite à faire ce qu’on doit faire. Autrui me commande le respect du simple fait qu’il est susceptible d’agir moralement, parce qu’il a conscience de ce qui doit-être et dépasse par là l’existence animale naturelle. Il suffit qu’il puisse faire le bien pour commander le respect. Je n’ai donc pas à le connaître (comme Descartes s’épuisait à vouloir le faire) pour le reconnaître pour ce qu’il est essentiellement. Qu’est-ce que le respect? Kant le définit comme un sentiment pratique de la raison même. C’est, paradoxalement, la raison qui éprouve un sentiment! Ce quee nous connaissons de plus proche, dans la sensibilité, de ce sentiment pur, c’est l’amour. Mais pas l’amour tel qu’en parlait Pascal. Ce dernier est encore un amour "pathologique" comme le dirait Kant: il est inspiré par notre constitution sensible, alors que le respect est un amour "pratique", qui est commandé par la raison. Le respect se rapproche de la charité chrétienne "aime ton prochain comme toi-même", mais va en un sens plus loin: ce serait plutôt "aime ton prochain plus que toi-même". Le courage, l’intelligence ou la force d’une personne peuvent m’inspirer de l’admiration, mais il manque toujours encore le respect intérieur à son égard. Fontenelle dit: "Devant un grand seigneur, je m’incline, mais mon esprit ne s’incline pas." Je puis ajouter: devant un homme de basse extraction, en qui je perçois une droiture de caractère portée à un degré que je ne me reconnais pas à moi-même, mon esprit s’incline, que je le veuille ou non, et si haut que j’élève la tête pour ne pas lui laisser oublier ma supériorité.

KANT

Conclusion: le problème de la connaissance-méconnaissance d’autrui est donc un faux problème. Il n’est pas besoin de le connaître, de vérifier s’il s’agit bien d’un homme comme moi, malgré toutes ses différences d’avec moi. D’emblée, une apparence d’homme m’impose déjà la conduite que je dois avoir à son égard. Le problème n’est pas celui de la similitude-dissimilitude des hommes entre eux: leurs différences ne peuvent être des différences que par rapport à une commune appartenance à l’essence humaine que seul le respect met au jour dans toute sa pureté. CONCLUSION Résumons l’argument: nous sommes partis de l’idée que autrui m’est nécessaire: sans lui, le monde disparaît ou plutôt j’y suis comme englouti. Le problème se pose alors de savoir ce que nous pouvons connaître d’autrui. Descartes nous montre que la connaissance d’autrui n’a aucun des caractères essentiels de la connaissance (idée claire et distincte): on ne peut pas connaître autrui, mais (lettre au marquis de Newcastle), par son discours sensé, je peux reconnaître l’existence d’un autre que je ne peux pas connaître. Hegel, dans la dialectique du maître et de l’esclave nous apprend qu’en quelque sorte reconnaître autrui devient un acte fondateur de ma propre humanité, mais est aussi bien destructeur: c’est le conflit qui est ce que nous avons de plus humain. Sartre généralise cette observation à l’ensemble des relations humaines, la conséquence en est que, alors que nous voulons être reconnus, nous sommes toujours méconnus par les autres. En même temps ils m’apprennent qui je suis et m’empêchent d’être autre chose. Si bien que l’humanité n’est plus qu’un jeu de masques. Le seul moyen de dépasser ce jeu des apparences, c’est de supposer, avec Kant, l’existence, sous ces apparences, de la réalité de la personnalité morale. A RETENIR 1° l’existence d’autrui m’est nécessaire 2° mais il est difficile de connaître autrui: son existence me pose problème - est-ce que connaître autrui c’est le connaître comme on se connaît soi (Descartes), auquel cas, on méconnaît toujours autrui dans sa différence par rapport à moi! - ou est-ce que à l’inverse, on ne se connaît soi-même que lorsqu’on se connaît comme un autre (Hegel)? On est alors tenté de voir quelles sont nos relations concrètes avec autrui 3° nos relations sociales sont toujours des relations où l’on rate l’autre, la société est un jeu de masques, une guerre des apparences 4° les relations morales au contraire, sans rien m’apprendre sur l’individu qui est en face de moi, me font directement accéder à l’essentiel: autrui est une fin en soi. Il n’y a pas à le connaître, il est au-delà de toute connaissance.   

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