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Cours: LA PERCEPTION (3 de 7)

Publié le 22/02/2012

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perception

B) L’APPROCHE EMPIRISTE (texte de Hume)

-        Dans l’approche empiriste, la notion de sensation procède d’un questionnement sur l’origine de nos connaissances. La perception est envisagée comme étant constituée d’éléments de base - les sensations – qui proviennent de nos organes des sens. La connaissance vient de l’expérience et comme l’expérience est faite de sensations, les sensations sont donc, selon les empiristes, l’origine de nos connaissances : nous avons d’abord des sensations et ces sensations composent nos idées, nos représentations.

1)     L’expérience, fondement de la connaissance

-        A la différence de Descartes selon lequel l’homme a en son esprit des idées innées (idées nées avec nous, inscrites en nous par Dieu : le rationalisme cartésien ne peut rendre compte de la connaissance de la réalité que par l’intermédiaire de Dieu finalement), les empiristes pensent l’homme comme le produit d’une histoire et non comme pourvu d’une nature a priori (avant toute expérience).

-        L’ensemble des matériaux de l’esprit (les faits psychiques) constituent les « perceptions de l’esprit «. Voir, entendre, sentir, penser, haïr, aimer, etc., tout cela n’est que percevoir. L’esprit humain est, en effet, comme une table rase, pur miroir de la réalité extérieure : il est impression, passivité. L’homme ne tire de lui-même aucune idée : il est ce qu’il est par l’expérience qu’il fait, et pense ce qu’il pense par réflexion sur les opérations de son esprit à partir des impressions faites sur nos sens par les objets extérieurs.

-        Ainsi toutes nos idées viennent-elles de l’expérience : toutes nos connaissances sont acquises soit par la perception du monde extérieur, soit par la perception de l’activité de notre esprit. Locke dit que nous avons en notre esprit des idées comme la blancheur, la douceur, l’homme, etc. Comme l’esprit est du “ papier blanc, vierge de tout caractère, sans aucune idée “, notre connaissance se fonde sur notre observation appliquée aux objets externes ou aux opérations internes de notre esprit.

-        Or, il se trouve que, dans l’objet, les qualités sensibles sont étroitement mêlées, de sorte que je n’aperçois pas aisément de distinction entre elles (j’éprouve, par exemple, indistinctement la froideur et la dureté de la glace). Mais ce mélange est de fait et ne correspond pas à une unité qui précéderait la diversité des qualités sensibles. Les qualités au sein de chaque sens sont distinctes. L’objet n’est qu’une collection de sensations . Par exemple, la froideur et la dureté qu’on sent dans un morceau de glace sont des idées distinctes dans notre esprit, de même qu’on peut distinguer l’odeur et la blancheur d’une fleur de lis, la douceur du sucre et l’odeur d’une rose.

-        Or, comme certaines sensations sont constamment unies, on en parle comme s’il s’agissait d’une seule sensation ; on confère à ces sensations un seul nom et on suppose que quelque chose les soutient ces sensations : ce quelque chose qui soutiendrait les qualités est la substance. Or, en réalité, il n’y a rien d ‘autre dans l’objet que ce qui affecte les sens (les qualités), la perception se confond avec les sensations. Il n’y a rien d’autre dans l’objet que ce qui affecte les sens, la perception se confondant avec les sensations.

-        La sensation est d’abord un vécu, un état. Locke postule l’existence d’une réalité extérieure qui serait la cause de nos sensations par l’entremise de nos organes des sens (par exemple, la chaleur que nous éprouvons renvoie à une existence réelle hors de l’esprit). Berkeley, au contraire, montre que cela n’a aucun sens de poser un monde extérieur distinct de nos perceptions sensibles : la chaleur, la douleur ne sont rien d’autre que notre sensation. La réalité que nous percevons comme une réalité n’est rien d’autre que la perception que nous en avons. Par exemple, la chaleur que nous éprouvons n’est ni plus ni moins réelle que la douleur qu’elle devient lorsque son intensité augmente : la chaleur n’est rien d’autre que notre sensation. Cela signifie, non pas que la réalité n’existe pas, mais que cette réalité que nous percevons n’est rien d’autre que la perception que nous en avons.

-        L’empirisme part donc de l’idée qu’on est confronté d’abord au divers, au singulier, au contingent. Nos impressions constituent un donné chaotique, un flux ininterrompu de perceptions hétérogènes qui se succèdent sans trêve. La connexion entre les idées se fait par l’imagination qui constitue, selon Hume, l’essence de la pensée. Il existe des lois d’attraction entre les idées comme il en existe pour les phénomènes naturels. La vie psychique se comprend par l’association des idées : propriété qu’ont les représentations de s’appeler, de s’évoquer, de s’entraîner les unes les autres , selon les principes de la ressemblance, de la contiguïté dans l’espace et le temps, de la causalité qui structurent l’imagination et imposent ordre et régularité aux associations.

-        Le principe de ressemblance (il régit notre imagination). Par analogie, nous imaginons que deux idées simples, correspondant à deux impressions distinctes, sont semblables : par exemple, quand j’entends passer une voiture dans la rue, il n’y a que le son qui sit perçu immédiatement ; l’expérience que j’ai acquise de la connexion d’un son semblable avec une voiture me fait dire que j’entends une voiture ; le son est entendu (sensation) mais la voiture est suggérée par association. La question est alors la suivante : comment l’association s’effectue-t-elle, pourquoi tel groupe de sensation va-t-elle récativer tel autre groupe de sensations habituellement associées ?

-        Le principe de contiguïté (il régit notre perception) : j'associe deux phénomènes perçus simultanément : j'associe, par exemple, la froideur à la neige. Comme nous avons pris l'habitude d'associer des impressions semblables de si nombreuses fois, nous n'avons plus conscience de passer de l'une à l'autre. En passant facilement, habituellement, d'une chose à une autre, l'esprit ne remarque pas ce passage : de là la fiction de l'identité. Exemple du ralenti cinématographique : la succession très rapide des images nous donne l'impression d'une action, alors qu'au ralenti nous percevons une somme d'actes discontinus. Lorsque la succession est trop rapide, trop coutumière pour qu'on l'aperçoive, on croit voir la même chose.

-        Le principe de causalité (il régit notre raison) : de la conjonction répétée de deux phénomènes perçus simultanément, notre esprit conclut à une relation de causalité; à l'apparition d'un premier phénomène – par exemple, la source de chaleur – je m'attends à celle d'un second phénomène – l'ébullition. Les pseudo-liaisons nécessaires ne sont que des connexions de fait, des habitudes. La connaissance est la construction d'une habitude : celle-ci est si forte qu'elle entraîne une croyance en l'existence objective de relations là où il n'existe que des successions habituelles. 

-        C’est l’imagination qui est à l’origine de l’illusion substantialiste : par sa disposition à combler avec des images les intervalles entre chaque perception, elle nous conduit à transformer en identité ce qui se présente à nous comme une simple ressemblance. Elle est responsable de notre croyance spontanée en l’existence permanente d’objets extérieurs à nous et indépendants de nos perceptions (par exemple, la voiture). Toute connexion est donc produite par notre esprit, elle ne dit rien sur l'essence des objets qui demeure cachée. C'est notre esprit qui imagine que les objets se ressemblent, bien qu'en réalité ils sont toujours distincts. Notre esprit procède toujours suivant le principe d'union avec régularité, avec méthode. En réalité, les objets sont distincts les uns des autres, les événements ne se répètent pas, notre esprit ne sait rien des lois qui les régissent.

-        Selon Hume, l’imagination est également responsable du sentiment d’identité personnelle et elle engendre la fiction d’un Moi identique à lui-même qui serait le substrat de nos perceptions discontinues.

-        On croit sentir un principe d'existence ininterrompu en soi (le moi), alors que nous avons seulement pris l'habitude d'associer des impressions semblables, et de les associer de si nombreuses fois que nous n'avons plus conscience de passer de l'une à l'autre. Hume va donc montrer que c'est l'accoutumance de glisser d 'une chose à une autre qui induit le mirage ou la fiction du moi. Il s'agit donc d'un effet de croyance : " nous n'avons aucune idée du moi ".

-        Qu'est-ce que l'esprit ou le moi ? " Rien qu'un faisceau ou une collection de perceptions différentes qui se succèdent les unes aux autres avec une rapidité inconcevable et qui sont dans un flux et un mouvement perpétuels " (Hume, ibid.)

-        Quand je regarde ce qui se passe en moi, je tombe toujours sur une perception particulière: chaleur, froid, amour, haine, plaisir, douleur. Je ne peux me saisir moi-même sans une perception. Nous sommes un faisceau de perceptions différentes qui se succèdent; pensées, sens, facultés changent constamment : " L'esprit est une sorte de théâtre, où des perceptions diverses font successivement leur entrée, passent, repassent, s'esquivent et se mêlent en une variété infinie de positions et de situations " (op.cit., p 344). Il n'y a pas dans notre esprit d'identité.

2) Le problème de la causalité (texte de Hume)

-        Le thème de ce texte est la causalité. Hume pose la question suivante : Si l’expérience est le fondement de la connaissance, quelle est alors la nature de cette évidence qui nous assure de la réalité d’un fait au-delà du témoignage actuel des sens et qui nous fait dire qu’il y a une connexion entre le fait présent et ce qu’on en infère (la certitude, par exemple, que le soleil se lèvera demain ) ? Comment pouvons-nous comprendre un phénomène ? Par quel moyen sommes-nous capables d’y repérer une relation de causalité ? Qu’est-ce qui détermine l’effet à partir de la cause ? Notre perception est-elle suffisante pour nous permettre d’accéder à ce qui produit le phénomène ?

-        Commentaire du texte.

-        La connaissance que j’ai de la relation de cause à effet se réfère à des sensations successives que j’ai éprouvées et que j’ai conservées dans ma mémoire ; je les relie par un lien qui n’est autre que l’habitude que j’ai de voir à chaque fois tel événement suivre tel autre. Ce lien de cause à effet est contingent : il aurait très bien pu être autre et ne pouvait pas être prévu avant toute expérience sensible ; le lien de causalité est a posteriori, c’est-à-dire tiré de l’expérience par la sensation d’abord, ensuite par l’habitude qui relie le sensations

-        Hume développe cet argument dans l’exemple des boules de billard. Ce que je perçois lors du choc des boules, ce n’est pas que le mouvement de l’une est cause du mouvement de l’autre. En décomposant les faits, en effet, je vois d’abord la boule A en mouvement vers la boule B immobile, ensuite le choc des deux boules, enfin la boule A immobile et la boule B en mouvement. Si j’ai déjà vu cette succession des trois situations, je peux la prévoir : le joueur expérimenté est d’ailleurs celui dont l’habitude permet cette prévision ; cette dernière n’est qu’une référence au passé, et rien n’assure qu’autre chose ne puisse pas se produire. En somme, c’est parce que j’ai toujours vu le mouvement B suivre le mouvement de A que je crois qu’il en sera toujours ainsi.

-        L’esprit ne peut donc établir entre les choses que des relations probables, qui peuvent être confirmées par une observation répétée, mais dont nous ne pouvons jamais être assurés qu’elles sont universelles et nécessaires. Si l’on s’en tient aux données strictes de l’expérience, nous ne voyons pas une cause produire un effet. L’expérience ne nous permet d’observer que des conjonctions régulières ou constantes. Quand deux événements se succèdent dans un ordre déterminé et que cette conjonction se répète un certain nombre de fois, rien ne garantit que le passé puisse servir de loi à l’avenir.

-        L’habitude est le principe de la nature humaine qui rend compte de notre attente du phénomène B lorsque A est donné et que l’expérience nous a révélé une conjonction régulière entre A et B. Le principe de causalité est un principe subjectif de l’imagination qui naît d’une conjonction régulière entre deux phénomènes, et de la tendance irrésistible à croire que cette conjonction va se répéter lorsqu’elle a été confirmée un certain nombre de fois. En somme, le principe de causalité n’est qu’une croyance.

3) Les limites de l’empirisme : récusation du concept de sensation

-        Rien n’est moins évident que ces sensations, même sur le plan de l’expérience perceptive elle-même.

-        On ne peut penser, en effet, la sensation sans recours à l’objet qu’elle est censée composer. Le blanc, par exemple, ne peut jamais être saisi comme tel, il n’est pas donné dans une sensation, il ne peut jamais être vu en tant qu’élément primordial ou brut. Par exemple, il n’y a de blancheur véritable, sensible, que comme blancheur d’un objet en particulier (on parlera, par exemple, non de la blancheur en général, de la blancheur d’une fleur de lis, mais de la blancheur de cette fleur de lis) ; il n’y a de blancheur véritable que comme blancheur d’un objet singulier ; le vert n’existe que comme vert de ce chêne vert, de ces yeux : on n’obtient de sensations qu’en se donnant l’objet. Les Maoris, par exemple, ont 3000 noms de couleurs : ils ne nomment la couleur qu’en nommant l’objet coloré (tout comme nous parlons de “lilas” “mauve”). La sensation renvoie donc à l’objet.

-        L’empirisme fait appel à la théorie de l’association dès qu’il veut rendre compte de significations qui dépassent le donné. Berkeley note que lorsque j’entends passer une voiture dans la rue, il n’y a que le son qui soit perçu immédiatement, l’expérience que j’ai acquise de la connexion d’un son semblable avec une voiture me fait dire que j’entends une voiture : le son est entendu, la voiture est suggérée par association. Mais comment l’association s’effectue-t-elle, pourquoi telle sensation va-t-elle réactiver tel autre groupe de sensations habituellement associées ?

-        Il faut, en réalité, que la sensation doit déjà être saisie comme sensation de cet objet : jamais une sensation n’en réveillerait d’autres si elle n’était pas d’abord comprise du point de vue de l’expérience totale dont elle fait partie. Si le bruit que j’entends réveille l’ensemble des sensations qui composent une voiture, et non pas d’autres sensations, c’est parce qu’il est entendu comme bruit d’une voiture, la voiture se manifestant déjà dans le bruit lui-même.

-        D’autre part, et c’est que va nous enseigner la psychologie de la forme, le champ de la perception ne peut être décomposé en une somme de sensations discrètes qui, combinées, donneraient une chose. La nature de la sensation, de l’élément perçu est tributaire du rôle qu’il joue au sein d’une totalité. Prenons l’exemple de la mélodie : elle est un ensemble de sons et forme un tout organisé ; si une seule note est modifiée, on a affaire à une autre mélodie et les autres notes de la mélodie sont alors perçues différemment ; inversement, la mélodie conserve son identité si tous les sons sont modifiés d’une manière déterminée (d’une octave, par ex.).

-        L’identité de la mélodie n’est pas réductible à celle des éléments qui la composent ; elle dépend des rapports qu’entretiennent ces parties ; la mélodie est une forme, c’est-à-dire un tout qui est plus que la somme de ses parties ; les propriétés du tout ne se réduisent pas à celles de ses parties. La note (la sensation) ne saurait être définie par elle-même : elle sera perçue différemment, elle sera une autre sensation, selon qu’elle sera perçue isolément ou intégrée à telle ou telle mélodie.   : la nature de l’élément est tributaire du tout dans lequel il s’intègre ; sa qualité est indissociable de sa fonction, du rôle qu’il joue au sein de cette totalité.

-        De même, la totalité est tribtaire des parties qui la composent et de leurs rapports. L’existence de la mélodie n’est pas autre chose que celle de l’ensemble de ses notes. La forme n’est pas une structure idéale, indifférente à son contenu, à ses aprties : elle est une configuration concrète qui met en jeu tel type d‘éléments et es tributaire de la nature de ces éléments. Nous verrons plus précisément que la psychologie de la forme est une récusation du concept empiriste de sensation : nous ne percevons que des formes, le perçu n’est pas composé d’atomes sensibles (les sensations). Par exemple, toute perception est saisie par la structure figure-fond : une couleur qui ne se détacherait pas sur un fond ne serait pas perçue.

-        Dans cette perspective, le concept empiriste de sensation est impropre à rendre compte de la perception puisque nous ne percevons que des formes. La perception n’est rien d’autre que la sensation produite par le moyen des organes des sens ; l’objet n’est autre qu’une collection de sensations. Le principal défaut de l’empirisme, en somme, est de ne retenir de la perception que le fait qu’elle nous met en rapport avec une réalité existante.

-        Au total, la sensation pure est un mythe et la distinction sensation / perception est infondée. Comme nous le verrons par la suite, le contenu apparemment primitif de la sensation est, en réalité, très élaboré et recèle  un ensemble complexe de significations. 

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