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Cours: LA PERCEPTION (4 de 7)

Publié le 22/02/2012

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perception

C) L’APPROCHE INTELLECTUALISTE (Descartes)

-        Nous avons vu que pour l’empirisme la perception n’est rien d‘autre que la sensation produite par le moyen des organes de sens et que l’objet est une collection de sensations. Le tort de l’empirisme est de ne retenir de la perception que le moment de la présence sensible, le fait qu’elle nous met en rapport avec une réalité existante. Or, la perception est un acte subjectif ; la sensation n’est pas présente à la conscience comme une chose est présente dans le monde, c’est, au contraire, la perception qui se rend l’objet présent, qui se le représente. La perception suppose un acte par lequel la conscience confère un sens à quelque chose.

-        Le courant intellectualiste (Descartes, Lagneau, Alain) fait de la perception une interprétation, un travail intellectuel. Qu’est-ce que precevoir, sinon organiser les données immédiates des sens grâce à l’action du jugement. C’est ce que montre le fameux exemple du morceau de cire qu’étudie Descartes.

A) L’expérience du morceau de cire : la perception comme intellection (Texte de Descartes)

Introduction

-        Ce texte de Descartes est extrait de la deuxième méditation métaphysique et est consacré à l’exemple fameux du morceau de cire. Pourquoi Descartes prend-il cet exemple ? Dans les lignes qui précèdent ce texte, il a montré que, de manière indubitable, j’existe comme une chose pensante et que l’âme est plus aisée à connaître que le corps. Toutefois, précise Descartes, le lecteur, et l’honnête homme, n’en sont peut-être pas persuadés. C’est pourquoi Descartes se livre à une contre-épreuve en quelque sorte : considérant un objet matériel apparemment facile à connaître – un morceau de cire en l’occurrence -, il va montrer que les corps matériels eux-mêmes sont connus par l’intermédiaire de l’esprit. Par conséquent, il y a priorité de la connaissance intellectuelle sur celle du corps.

-        En effet, Descartes se demande si nous connaissons le réel par les sens ou par l’entendement. Sa thèse est alors la suivante : la perception est une inspection de l’esprit. Autrement dit, c’est par l’entendement que nous connaissons la nature des choses. Contrairement à l’empirisme, Descartes établit que l’objet, cela que je perçois, est irréductible à la collection des sensations et que l’appréhension de cet objet doit être mise au compte d’une faculté spécifique. Ce texte est donc à considérer comme un modèle d’une réflexion intellectualiste ou rationaliste sur la perception qui va marquer toute une tradition jusqu’à la psychologie de la forme et la phénoménologie.

Explication

1)     Premier paragraphe

-        Le premier paragraphe part d’une généralité, laquelle fixe le cadre problématique du débat. Il s’agit ici d’interroger cette conviction irrésistible (« la considération des choses les plus communes «) selon laquelle les choses matérielles, données aux sens (« les corps «), seraient ce qui nous est le plus distinctement connu, beaucoup mieux que la pensée ou l’esprit en tout cas. C’est ce préjugé réaliste que Descartes va remettre en question à travers l’exemple du morceau de cire. Cet exemple va permettre de se situer au même niveau réaliste que la pensée commune, afin de mieux la prendre à défaut de réalisme justement.

2)     Deuxième paragraphe

-        Cet exemple, Descartes le choisit, non dans un corps en général, ce qui serait beaucoup trop abstrait et vaudrait à Descartes le reproche d’idéalisme, mais un corps en particulier, un morceau de cire qui vient d’être tiré de la ruche : “ il n’a pas encore perdu la douceur du miel qu’il contenait, il retient encore quelque chose de l’odeur des fleurs dont il a été recueilli; sa couleur, sa figure, sa grandeur sont apparentes; il est dur, il est froid, on le touche, et si vous le frappez, il rendra quelque son .” Ces qualités sensibles permettent de le connaître distinctement.

-        Une chose matérielle a des dimensions (longueur, largeur, hauteur) qui sont ses qualités (des « modes «). Ces qualités ou modes montrent que cette chose occupe un certain espace, une certaine étendue. Ainsi, être dans l’espace, est-il la caractéristique, la propriété, l’attribut essentiels de tout corps matériel. Etre dans l’espace, c’est être un corps, une substance corporelle. Descartes distingue également des qualités premières (ici, l’étendue, la qualité première étant synonyme d’attribut essentiel) et des qualités secondes (odeur, chaleur, couleur essentiellement).

3)     Troisième paragraphe

-        Le troisième paragraphe établit que ces qualités secondes sont variables. Si nous approchons du feu ce morceau de cire, aucune de ces qualités ne demeure intacte. Cette expérience du morceau de cire figure la variation systématique de toutes les qualités sensibles.

4)     Quatrième paragraphe

-        Conclusion : malgré les changements perceptibles des qualités secondes du morceau de cire, quelque chose demeure qui ne tombe pas sous les sens. Même s’il ne demeure rien que quelque chose d’étendu, j’affirme toujours l’identité de la cire : c’est toujours la même cire qui cependant a changé d’aspect. Comment ce jugement, contraire aux données sensibles, peut-il être spontanément opéré ?

-        On peut d’abord se demander si les qualités secondes en question – l’odeur, la couleur, la sonorité – ne sont pas purement et simplement subjectives et illusoires, tandis que l’étendue – la qualité première et essentielle de tout corps – est la seule vérité de l’objet matériel. Ce texte suggère l’interrogation mais n’y répond pas explicitement. En réalité, ce quatrième paragraphe entend simplement montrer que l’affirmation : « ceci est de la cire « suppose une « inspection de l'esprit «, une présence de mon entendement. En effet, puisque la même cire demeure alors même que toutes les qualités par lesquelles je prétendais la connaître distinctement ont disparu, le fondement de mon jugement d’identité ne peut résider en elles.

-        Cette cire, que je reconnais comme identique après l’épreuve du feu, est celle-là même que je connaissais auparavant : la variation révèle que la cire était, à mon insu, autre chose que ce que je croyais, à savoir un assemblage de qualités sensibles. La cire ne peut donc être que le substrat de ces qualités changeantes, ce qui résiste à la variation et est capable de cette variation. Comment concevoir la cire, en tant qu’elle demeure la même par-delà cette variation ? Comment puis-je accéder à un tel corps, susceptible d’avoir une infinité de formes ?

5)     Cinquième paragraphe

-        Le cinquième paragraphe établit que la réponse à ces questions ne peut pas être cherchée du côté de l’imagination. Ce n’est pas l’imagination, comme fonction, qui rend intelligible la permanence de la cire au-delà des variations sensibles. La phrase « Que quelque chose d'étendu, de flexible et de muable… « signifie que l’étendue géométrique est ce qui demeure vraiment dans la cire. C’est la qualité première par conséquent qui subsiste, alors que les qualités secondes ont disparu ou ce sont altérées. L’imagination est incapable de se représenter l’infinité des changements possibles. L’imagination (« la faculté d'imaginer «) est la faculté de se représenter les choses de manière sensible. Si donc ce n’est pas du côté de l’imagination qu’il faut chercher, quelle est cette faculté qui permet de concevoir le morceau de cire ?

6)     Sixième paragraphe

-        Le dernier paragraphe conclut que c’est par l’entendement seul que nous concevons ce morceau de cire. Cette affirmation : « ceci est de la cire « suppose une inspection de l’esprit. Par entendement, il faut entendre le pouvoir de connaître, de distinguer le vrai du faux, de concevoir les choses, faculté qui, avec la volonté, forme les deux modes de la pensée. En somme, seul l’entendement a le pouvoir de connaître l’essence de ce corps, l’extension qui demeure identique tout en devenant chacune de ses formes.

-        Dès lors, quand je perçois, le jugement est ce qui structure les apparences et donne son vrai sens au réel. Descartes donne un autre exemple, dans la seconde méditation. Si je vois, d’une fenêtre, des chapeaux et des manteaux, le sensible en lui-même ne me dit pas qu’il s’agit d’hommes. Mais je juge que des hommes sont là. Le jugement est ce qui fonde l’unité et la vérité de la perception. C’est une opération intellectuelle qui permet de percevoir.

-        Ainsi, en tant que la perception est perception d’un objet, ce qui demeure le même par-delà les variations de l’apparence sensible, elle ne peut être qu’une intellection (appréhension d’une signification). L’objet ne se réduit pas à une collection de qualités sensibles; il est une unité pensable, par - delà l’ensemble de ces qualités. Toute expérience suppose l’appréhension d’une unité organisant le donné, d’un sens; une pure diversité ne pourrait paraître. La perception, c’est être en présence de quelque chose en en saisissant le sens. Il n’y a donc de sens que conçu.

-        Quels sont les enseignements de ce texte ?

1.     Ce n‘est pas mon corps qui perçoit mais moi, mon esprit. Toute perception est une perception de l’esprit, quelque chose qui a un sens pour l’esprit, et non la seule action d’un corps extérieur sur mon corps. Par exemple, une personne peut parler, dire des phrases sans que je m’en aperçoive : lorsque je pense à quelque chose ou que je suis très occupé à faire qqch ; pourtant si je deviens attentif à ce qu’elle dit, je pourrais me souvenir des phrases que, sur le moment, je n’avais pas aperçues. Lorsque ces phrases se sont imprimées dans mon cerveau par le biais auditif, ce n’était pas comme phrases et comme mots, comme signes de pensées.

2.     L’esprit humain n’a jamais affaire à quelque chose de purement matériel ; c’est toujours de manière signifiante que les choses dites matérielles se présentent à l’esprit et deviennent des choses perçues.

3.     Descartes lie perception et aperception, liaison qui est elle-même sous-tendue par une théorie de l’âme et du corps. Le corps et l’âme sont deux substances distinctes, bien qu’intimement unies. Il n’y a rien de commun entre une action corporelle justifiable d’une explication physico-chimique et la conscience qu’en a le sujet : entre les deux la relation est de succession, de causalité, mais non de ressemblance ou d’analogie. Par exemple, l’aiguille et le doigt qu’elle pique sont deux choses matérielles, étendues dans l’espace l’une comme l’autre. Mais l’aiguille n’a rien de semblable avec la douleur ressentie par l’esprit ou par moi (c’est la même chose) ; l’aiguille cause la douleur certes ; le corps est certes l’instrument de la perception mais il est d’une tout autre nature que celle-ci. En clair, la perception dépend du corps mais elle est l’oeuvre de l’esprit ou de l’entendement.

1)     L’exemple de la vision

-        Cette présence de l’esprit dans la perception, Descartes la met en évidence notamment dans le phénomène de la vision : « c’est l’âme qui voit et non pas l’oeil «.

-        La perception a pour fonction l’inspection du monde extérieur. Quand je regarde un spectacle, je n’ai pas un usage du spectacle pour lequel j’éprouve un intérêt certes qui est un intérêt de spectateur et non d’homme vivant dans un monde de vraies choses. L’homme ne regarde pas le monde extérieur comme on regarde un spectacle, de l’extérieur, il l’observe et le mesure de l’intérieur, saisissant des informations dont il a à faire usage parce qu’il se déplace, au moins virtuellement. Une perception peut toujours être convertie en mouvement possible : lorsque, par exemple, je regarde le bout de la rue dans laquelle je m’engage, j’évalue la distance qui reste à franchir, le temps nécessaire pour y arriver. Virtuellement j’ai à faire avec tous les objets que je perçois dans le monde (à la différence du spectacle).

-        La perception ne se réduit pas, dès lors, à un comportement pratique ou vital. Les animaux s’orientent et vivent dans leur monde, ils y « perçoivent « de façon plus sûre que nous, mais ils réagissent à des signaux, ils font face à la situation plus qu’ils ne perçoivent les choses comme choses. Or, c’est la capacité de se représenter ce qu’on voit, touche ou sent qui fait la spécificité de la perception. Percevoir n’est pas identique au fait de voir ou de toucher entendus come les fonctions de nos organes corporels : il s’ajoute à ces fonctions communes à bien des êtres vivants la représentation, l’idée de ce qu’on voit ou touche.

-        Peut-on parler de perception artificielle pour les machines ? Le lecteur optique, par exemple, perçoit-il le code-barres ou le déchiffre-t-il seulement à l’inverse du client qui, lui, perçoit seulement des lignes parallèles. Or, comme on le voit à travers cet exemple, la perception comporte une part d’interrogation, d’incertitude ; l’homme, en percevant, s’interroge sur ce qu’il perçoit avec ses sens. Un bruit n’est pas seulement un bruit, c’est une multiplicité de causes et de situations possibles.

-        Quand Descartes dit que la perception est une intellection de l’esprit, qu’entend-il exactement par esprit ? L’esprit est ce devant quoi des choses se présentent avec un  sens. Ces choses – une prairie verte, une étoile, un visage d’homme – impriment dans l’oeil des images qui ne ressemblent pas à ce que nous voyons : telle ou telle chose, de telle grandeur, à telle distance de nous. Il y a une dissemblance entre la cause physique de la lumière et ce que l’homme perçoit par le sens de la vue.

-        Pour illustrer cette dissemblance, Descartes se sert d’une comparaison avec un aveugle s’aidant d’un bâton dans sa marche. Par le mouvement de son bâton frappant les corps environnants, l’aveugle se représente des arbres, des pierres, de l’herbe, alors qu’il ne peut y avoir aucune ressemblance entre tel mouvement du bâton et la figure d’un objet. Descartes laisse entendre qu’on peut concevoir les organes des sens comme des bâtons, qui vont inspecter les objets extérieurs – la prairie verte, l’étoile, le visage d’homme, les arbres, les pierres, l’herbe, etc. – pour rapporter à l’âme des mouvements qu’elle perçoit comme de vraies choses. C’est l’âme qui juge la distance, la grandeur, la situation des objets.

-        La perception n’est donc pas un simple mécanisme d’enregistrement des données extérieures par nos organes des sens ; elle est toujours une estimation, un jugement, une hypothèse sur la situation, la grandeur et autres dimensions de l’objet perçu. Elle n’est pas une réaction à un stimulus, elle est toujours plus ou moins une anticipation.

-        Cette analyse est problématique car elle semble faire de la perception une sorte de science, de connaissance. Or, dit Descartes, cette connaissance perceptive est un savoir naturel, un savoir que l’homme n’a pas eu à acquérir par son intelligence mais qui lui a été donné avec le corps et qui ne requiert pas, contrairement au savoir acquis, l’attention de l’esprit. Or, n’est-ce pas suggérer l’existence d’une intelligence corporelle, de telle façon que tout ce qui se fait dans le corps se fait sans la pensée ? Dès lors, n’est-ce pas une négation de la thèse de Descartes qui prétend que c’est l’esprit, l’âme qui voient ou qui perçoivent, et non le corps ? N’y a-t-il pas là une contradiction dans la thèse de Descartes ?

-        En réalité, par âme ou par esprit Decartes n’entend pas une machine à calculer ou à penser mais une faculté dont sont privées les machines naturelles et artificielles : l’aperception ou la conscience de soi comme d’une chose qui pense, chose toujours identique à soi à travers la diversité infinie de ses activités (raisonner, imaginer, sentir, désirer, vouloir, etc.). La vision semble ainsi procéder d’une sorte de «géométrie naturelle « (intelligence corporelle) mais elle ne devient véritablement perception que si l’esprit se tourne vers l’objet et l’aperçoit, ce qui implique la présence de l’esprit dans cet acte, c’est-à-dire la conscience de l’objet comme tel, une représentation de l’objet qui ne va pas sans une certaine attention dirigée vers lui.

-        En clair, je vois vraiment une chose, j’entends vraiment un bruit parce que je me tourne vers eux. Je n’ai évidemment aucune idée et aucun besoin de savoir ce qui se produit alors dans le cerveau, dans le corps en général : cette connaissance est naturelle, c’est une action (inconsciente) et non pas une représentation (consciente). En tant qu’elle est une activité de l’esprit ou du sujet, la perception ne peut être confondue avec une impression produite par les choses dans un esprit qui serait un pur réceptacle. La perception est fondamentalement sélection ou choix. Elle n’est pas un enregistrement neutre, mécanique, de données insignifiantes, elle est une relation de motivation qui unit le sujet avec les choses du monde.

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