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Cours: LE VIVANT

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

 
La Nature se présente à nous comme un ensemble de phénomènes physiques et vitaux, dont notre esprit prend conscience. De quelles réalités les phénomènes objectifs sont-ils l'apparence? Les expliquer par la matière, c'est, semble-t-il, se condamner à ne pouvoir, comprendre la conscience même que nous en prenons, l'ordre qui les régit, l'unité qu'ils présentent et, en un mot, qu'ils soient connaissables. Faut-il donc croire que tout soit esprit? Le donné demeure rebelle à ses explications, le cours du monde est étranger à ses valeurs, la qualité reste extérieure à ses systèmes. La Nature semble donc révéler deux principes irréductibles: l'esprit paraît en elle se heurter à la matière, qui lui résiste et le sépare de lui-même.
1░ LA REALITE DU MONDE.
Le problème le plus ancien et le plus général que se soit posé la pensée philosophique est celui de la réalité du monde: en quoi consiste l'existence du monde, et quel mode de réalité convient-il de reconnaître aux choses?
A. Le réalisme:
           On englobe sous le nom de réalisme les doctrines qui reconnaissent aux choses une existence indépendante de toute pensée.
a) La plupart des hommes croient à l'existence hors des qualités que nous percevons. Aristote et les physiciens du Moyen-Age ont aussi professé un réalisme qualitatif. Mais, un tel réalisme semble difficile à tenir. Les sensations sont relatives au sujet, à ses organes, à son état physiologique, à ses sensations antérieures; les sens nous font souvent illusion; les rêves, les hallucinations sont subjectivement indiscernables de la perception. Les découvertes de la science montrent aussi que sons et couleurs n'existent pas tels que nous les percevons. Mais, un seul argument semble suffire à établir que le monde extérieur n'est pas objectivement composé de qualités sensibles: on ne saurait comprendre en effet comment une qualité sensible pourrait demeurer indépendamment d'un esprit qui la perçoive. Les qualités sensibles sont des états psychiques, elles ne peuvent constituer un réel indépendant de l'esprit.
b) Descartes condamna le réalisme qualitatif, montrant que les qualités sensibles ne sont que des états de l'âme. Avec lui, le réalisme prend une forme nouvelle: le réel n'est pas ce qui est donné aux sens, mais ce que l'esprit conçoit clairement et distinctement. Ainsi, la réalité des corps est constituée par l'étendue.
           C'est du cartésianisme que provient la distinction faite par Locke entre les qualités premières, qui appartiennent réellement aux choses, et les qualités secondes, qui n'existent qu'en nous.
Mais, cette distinction fut ruinée par Berkeley, qui montra que les qualités premières, pas plus que les qualités secondes, ne pouvaient être conçues à part d'un esprit qui les pense (ainsi l'étendue n'est pour nous que l'idée de l'étendue).
c) Aussi, le réalisme fut-il conduit à affirmer l'existence d'une chose en soi, distincte de ce qui apparaît, de ce qui est donné à la conscience. C'est ce qu'il fit avec Kant. Pour ce dernier, tout ce qui est donné est, par là même, informé selon les nécessités de notre sensibilité, de notre entendement (ainsi, les phénomènes sont soumis à l'espace et au temps, qui sont des formes a priori de la sensibilité). Les choses en soi, les noumènes, demeurent en dehors de toute expérience possible.
           Avec Kant, le réalisme semble donc réduit à affirmer la réalité d'un inconnaissable. On voit par là même combien le réalisme kantien peut sembler voisin de l'idéalisme: tout ce qui est connu est ici relatif à un esprit et, du réel indépendant de l'esprit, nous ne pouvons rien savoir. Kant ouvre ainsi la voie à l'idéalisme. Sa chose en soi n'étant pas dans l'espace et dans le temps, n'étant pas soumise au déterminisme, autrement dit, n'étant pas le support qualifié de ce que nous connaissons, paraît inutile et peut être supprimé. Tout ce qu'il y a de positif dans la connaissance vient de l'esprit: pourquoi ne pas supposer que seul existe l'esprit? C'est ce que firent les idéalistes du kantisme. L'affirmation kantienne de la chose en soi est celle du primat de l'être sur la connaissance, et de l'irréductibilité de l'être à la connaissance. Limitant notre savoir, elle en révèle l'essence (car tout savoir est savoir de quelque chose, se subordonne à ce dont il s'efforce d'être le savoir), et en maintient le sens. Elle situe l'esprit connaissant par rapport à l'Etre, au lieu d'affirmer, comme les idéalistes, et contrairement à l'évidence la plus fondamentale de la connaissance humaine, l'identité de l'Etre et de l'Esprit.
 
B. L'idéalisme:
           Les idéalistes, en effet, faisant état de cette impossibilité où nous sommes de concevoir une réalité indépendante d'un esprit, ont ramené toute existence à l'esprit. Ainsi, Berkeley remarque que, parler d'un réel indépendant de l'esprit, c'est parler d'une chose que l'on ne conçoit nullement; c'est prononcer un mot, non avoir une idée. Nous ne pouvons concevoir que deux modes de réalité: celui du sujet, celui de l'idée perçue. Etre, dit Berkeley, c'est percevoir ou être perçu.
           a) L'idéalisme pourrait conduire au solipsisme (doctrine qui déclare que la réalité se ramène au moi et à ses états de conscience) car, à strictement parler, nous ne pouvons concevoir une réalité indépendante de notre conscience propre. Mais, les états du moi s'imposant à lui malgré lui, on ne peut faire du moi personnel l'unique substance du monde. Aussi, les idéalistes ont-ils admis que le monde existait relativement à d'autres esprits que le nôtre. Certains, du reste, tendent au monisme et ramènent le monde entier à un unique esprit (ainsi Fichte, qui voit en toute réalité le résultat du développement du Moi absolu).
D'autres voient dans l'univers une collection d'esprits, et demeurent pluralistes (ainsi, pour Berkeley, le monde comprend l'esprit de Dieu et les esprits finis).
           Du reste, l'affirmation selon laquelle toute existence se ramène à l'esprit peut être entendue en des sens très différents:
1) On peut considérer l'esprit comme étant avant tout conscience. C'est ce que fait Berkeley, lorsqu'il définit notre esprit comme étant le siège de nos perceptions (il est vrai que Berkeley considère souvent l'esprit, en tant qu'activité et que, pour lui, nos perceptions résultent de l'action de l'esprit de Dieu sur nos propres esprits).
 
2) On peut considérer l'esprit dans sa substance même, et en tant qu'âme (c'est ainsi que Leibniz estime que la réalité est composée de substances spirituelles, ou monades). On peut y voir avant tout une volonté (Schopenhauer estime que le réel est volonté).
3) En un sens différent, on peut considérer l'esprit comme un ensemble d'idées, de relations, et donner à ces idées, à ces relations une valeur objective. Ainsi, pour Platon, les Idées sont seules réelles, les choses sensibles n'existent que dans la mesure où elles y participent. En dernière analyse, tout se réduit à la participation des Idées entre elles.
Pour Hegel, l'absolu est l'idée, et le mouvement dialectique de l'esprit, opérant par thèse, antithèse et synthèse est celui de l'Etre lui-même.
           Et sans doute, est-il impossible de réfuter directement l'idéalisme. Pour montrer qu'il existe une réalité extérieure à l'esprit , il faudrait en effet sortir de l'esprit, ce que nous ne pouvons faire, la seule réalité dont nous avons une conscience immédiate étant notre esprit et ses états. C'est en ce sens que Descartes a déclaré que l'âme était plus aisée à connaître que le corps, et qu'il a fait de la connaissance du moi pensant le point de départ de sa philosophie).
L'esprit ne peut concevoir le réel que sur le modèle de ce qu'il connaît , autrement dit que comme étant esprit, ou qualité donnée à l'esprit. Si donc nous voulons affirmer un réel indépendant de l'esprit, il nous faudra tenir ce réel pour inconnaissable. Autrement dit, l'affirmation de l'existence d'un réel en soi coïncidera avec la négation de la possibilité de le connaître, et donc avec la condamnation de toute métaphysique de l'objet. Telle fut la position kantienne.
Or, il ne nous paraît pas légitime de combattre une telle philosophie en se bornant à nier, comme le fait l'idéalisme, l'existence de ce dont nous ne saurions avoir d'idée positive.
           Sans doute l'esprit se pose-t-il comme totalité, et ne peut-il concevoir une réalité quelconque que sur son propre type. Les idéalistes y voient la marque de son infinité. On peut y voir le signe de son impuissance à sortir de lui-même. Mais quel besoin, dira-t-on, pouvons-nous avoir d'admettre ainsi un "non-esprit"? C'est que, nous semble-t-il, le contenu de la conscience est tel qu'on ne peut en rendre compte sans faire appel à une réalité extérieure à elle. Le réel se présente à nous avec des caractères opposés à ceux de l'esprit: il est spatial; il est temporel, et l'esprit ne peut comprendre que le temps soit irréversible, que l'on ne puisse revenir en arrière, que le monde change, que ce qui a été cesse d'être. Les choses nous apparaissent comme des ensembles de qualités sensibles: elles sont donc faites de données irrationnelles et irréductibles à l'esprit. Le réel présente des caractères irréductibles et rebelles à l'esprit.
           Au reste, l'évidence la plus fondamentale, celle que les arguments de l'idéalisme ne peuvent parvenir à supprimer et à bannir, c'est l'évidence de l'Etre. De cette évidence part la perception, tout objet étant construit sur fond de réel. Il nous paraît donc légitime de séparer le problème ontologique du problème de l'objectivité, ce qui, du reste, revient, une fois encore, à séparer la philosophie de la science. Pourtant, ces deux domaines n'ont pas été, dans l'histoire des idées, nettement distingués, et les philosophes ont étudié l'espace, le temps, la matière, la vie, c'est-à-dire ce qui est donné à l'esprit. Faut-il voir, en ces aspects du donné, le fruit de divisions artificielles, et conclure avec le monisme, que la Nature dépend d'une substance unique? Faut-il , avec le dualisme, admettre deux principes, faut-il croire, avec le pluralisme, qu'il en existe plusieurs? On sait combien ces problèmes ont divisé les philosophes. Peut-être eut-on mieux fait de comprendre qu'ils sont, comme tels, du ressort de la science, et non du ressort de la philosophie. Il appartient à celle-ci d'étudier la conscience, et de situer l'objet par rapport à l'Etre et à l'esprit. Il ne lui appartient pas de déterminer la nature qualifiée des objets eux-mêmes.
2░ La vie.
A. Mécanisme et vitalisme:
           a) Parmi les phénomènes de la Nature, certains nous apparaissent comme des phénomènes vitaux. Ces derniers sont le propre d'êtres organisés, c'est-à-dire d'être composés d'un certain nombre de parties différenciées et solidaires, en sorte que l'ensemble de ces parties constitue un individu ayant une unité et une identité. Ils semblent répondre à des fins, et dépendre de fonctions. Ainsi, ils ont pour but de permettre aux êtres vivants de s'adapter au milieu, de se maintenir en vie, de se reproduire (d'où les fonctions d'adaptation, de nutrition, de reproduction). Enfin, leur ensemble, pour un être déterminé, se présente sous la forme d'une évolution régulière et limitée dans le temps, s'étendant de la naissance à la mort.
 
           b) Faut-il donc considérer qu'il existe un "principe spécifique" dont dépendraient les phénomènes vitaux, et dont la vie apparente serait la manifestation?
 
1) Les mécanistes le nient, et veulent expliquer la vie par les propriétés générales de la matière brute. Les phénomènes vitaux ne seraient que des phénomènes physico-chimiques. Ainsi, pour Descartes, les êtres vivants sont des machines très complexes.
De fait, la biologie n'a progressé que par l'application des méthodes physico-chimiques. Certains espèrent même réaliser la synthèse de la matière vivante qui, est disent-ils, analogue aux colloïdes. Mais, la science n'a pas encore permis d'expliquer par la matière les traits qui caractérisent la vie.
2) Aussi beaucoup estiment-ils que la vie ne peut se ramener à la matière, et invoquent-ils, pour en rendre compte, un ou des principes spécifiques et irréductibles. Leurs thèses sont dites "vitalistes". Ainsi, Bergson voit dans la vie une libre spontanéité, une impulsion créatrice traversant la matière. L'élan vital serait une sorte de conscience libre lancée à travers le déterminisme des forces physiques.
           En fait, toute réflexion sur la vie semble justifier le dualisme: les phénomènes vitaux sont susceptibles d'une double explication. D'une part, ils dépendent de lois mécaniques, et physico-chimiques (ainsi, c'est de façon chimique que le globule sanguin fixe l'oxygène); mais, par ailleurs, ils ne peuvent être compris que si l'on invoque un ordre, une sorte de supercausalité groupant en vue de fins diverses séries causales, et leur donnant une unité.
 
B. La finalité:
           
           Cette supercausalité est ce qu'on nomme la finalité. Son essence, son mode d'action échappent au savant, et posent au philosophe de bien difficiles problèmes. Expliquer un organe par sa fonction, c'est admettre que le moyen est causé par sa fin (la fin serait ainsi cause de sa cause). Or, la fin est "future", elle n'existe pas encore, elle ne peut agir sur ce qui est que dans la mesure où elle est conçue, représentée; elle ne peut expliquer le présent que si elle a existé, en tant qu'objet de pensée, dans la conscience d'un être ayant organisé le présent. Il faut donc distinguer, en un processus finaliste, la cause initiale, le moyen et la fin (le moyen étant cause de la fin, la cause initiale cause du moyen), et admettre que la cause initiale implique une aspiration vers la fin et en contient une certaine représentation.
           a) Mais cela ne revient-il pas à concevoir la cause initiale sur le type de l'activité intelligente de l'homme? Il est en effet des choses qui s'expliquent indéniablement par la finalité: ce sont les ouvrages humains. La notion de finalité peut donc paraître anthropomorphique: elle nous amène à concevoir la Nature comme analogue à une oeuvre humaine. De fait, elle a le plus souvent conduit à l'hypothèse d'un auteur intelligent du monde, d'un Dieu architecte: ne suppose-t-elle pas que la force qui a organisé les séries causales, et qui a agi sur elles, demeure pourtant hors d'elles, et ne soit pas d'ordre purement physique?
b) Aussi, certains biologistes ont-ils voulu dépouiller l'idée de finalité de tout caractère intellectuel et anthropomorphique. Les néo-vitalistes ont pensé qu'il fallait voir le type de l'action finaliste non dans l'action humaine consciente et réfléchie, mais dans l'action inconsciente: la finalité apparaît ici comme une volonté obscure tendant à se réaliser (Darwin admettait déjà, en ce sens, que l'espèce avait une intelligence confuse de ses intérêts).
D'autres ont voulu réduire la notion de finalité à celle d'une simple direction de la tendance. De même, Goblot parle d'une causalité du besoin et admet une finalité sans intelligence.
           Mais, tout ceci n'explique rien. Il est de fait que, chez l'homme, les productions finalistes ne sont pas toujours accompagnées de réflexion (ainsi le désir et la passion atteignent souvent leurs fins sans mettre en jeu la conscience claire). Mais, dans cette mesure même, elles sont incompréhensibles. Quant à l'idée d'une causalité du besoin, d'une finalité sans intelligence, il semble que, si la force physique, elle ne puisse être la source de l'organisation synthétique de séries. En fait, parler de finalité sans intelligence, c'est, nous semble-t-il, déclarer qu'on ne se préoccupe pas de savoir s'il y a ou non une intelligence à la base de ce que l'on constate, mais que tout se passe comme s'il y en avait une.
           Nous sommes donc toujours devant l'opposition d'une causalité mécanique, où l'élément agit, comme du dehors, sur l'élément, et d'une causalité où le tout informe ses parties: cette supercausalité finaliste, cette unité s'imposant à une multiplicité ne peuvent être conçues que comme spirituelles. Sans doute faut-il se garder des explications intellectualistes de la finalité, qui placent sa source dans une intelligence consciente et organisatrice analogue à l'intelligence technique de l'homme: il ne faut pas, en effet, renverser l'ordre des facteurs; nous ne devons pas oublier que c'est notre intelligence qui est sortie de l'évolution biologique, et en résulte. Mais, si l'on se place au point de vue métaphysique, on peut se demander si la vie elle-même se peut comprendre sans que l'on suppose quelque présence de l'esprit imposant à la matière son unité.
Ici, la marque de l'esprit est, si l'on peut dire, perçue objectivement, et dans la chose. Et, les imperfections de la finalité biologique révèlent peut-être les résistances de la matière à l'esprit.


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