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Cours: L'EDUCATION (2 de 2)

Publié le 22/02/2012

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II. L’EDUCATION SELON LES LUMIERES

Dans son opuscule Qu’est-ce que les Lumières?, Kant rappelle que la domination politique, le despotisme, n’est possible qu’à la faveur de l’ignorance des dominés.

Jusqu’alors, le pouvoir politique s’était efforcé de maintenir ses sujets dans un état de "minorité intellectuelle", réprimant la liberté de pensée. Sa devise était: tenez, voici ce qu’il faut penser.

Avec les Lumières, apparaît l’espoir que le pouvoir politique comprenne la nécessité d’organiser l’éducation des masses, pour que lui-même voit sa puissance renforcée auprès des autres puissances. Ce n’est donc pas l’espoir en prince éclairé (comme Voltaire avec Frédéric de Prusse ou Diderot avec Catherine de Russie), c’est une espérance raisonnable dans le sens de l’histoire. C’est la recherche de la grandeur qui va conduire un pouvoir despotique par nature à organiser l’éducation des masses, utilisant pour l’instruction publique un argent qu’il employait plus volontiers pour faire la guerre. C’est le despotisme qui va, par une ruse de l’histoire, assurer l’émancipation intellectuelle de ses sujets... La devise des Lumières: "Ose savoir".

1) "l’homme est le seul animal qui ait besoin d’être éduqué"

Définition de l’homme telle qu’on la trouve dans les Propos de Pédagogie de Kant. Que faut-il comprendre?

a) il s’agit d’une définition par genre (l’homme est une espèce du genre animal) et par espèce (il est la seule espèce de ce genre qui ait besoin d’être éduqué). L’éducation est donc essentielle à l’homme au point de pouvoir lui servir de trait distinctif parmi tous les autres êtres vivants.

b) par là même, l’homme est beaucoup plus qu’un animal, c’est ce trait distinctif qui le caractérise comme animal, être vivant, qui va faire qu’il est autre chose qu’un animal. Les animaux n’ont pas besoin d’être éduqués: ils savent par instinct tout ce qui nécessaire à leur survie.

D’où une infériorité de naissance de l’homme: il faut tout lui apprendre, il ne sait et ne peut rien faire de lui-même. Mais cette infériorité devient une supériorité: n’étant pas fixé dans un instinct qu’il aurait de naissance, il peut apprendre tout au long de sa vie, et même contribuer à enrichir l’expérience commune de l’humanité.

Les connaissances ainsi accumulées par les générations successives se prolongent les unes dans les autres, tissent une continuité de l’histoire (personne ne commence vraiment quelque chose). Par là, l’homme progresse, contrairement aux autres animaux.

L’histoire, propre à l’homme, est comme le lieu où l’humanité s’éduque elle-même.

2) Liberté et éducation

Au niveau de l’individu, l’éducation qui le fait participer aux trésors acquis par les générations antérieures est ressentie comme une contrainte qui brime sa "liberté naturelle", réprime sa spontanéité.

L’éducation serait donc contradictoire: son but proclamé est l’émancipation de l’individu, la liberté, et le moyen pour arriver à ce but serait le contraire de la liberté: la contrainte, l’obéissance.

Pour lever cette contradiction, il faut distinguer entre les sens possibles du terme "liberté": la liberté comme indépendance et la liberté comme autonomie.

Indépendance: la définition la plus spontanée et la plus naïve de la liberté, c’est de dire qu’être libre, ça consiste à faire ce qu’on veut. C’est-à-dire n’obéir à aucun maître ni à aucune loi, faire ce que bon nous semble, suivre son caprice. C’est toute la liberté de l’animal, une liberté "naturelle" qui consiste à céder au premier mouvement de nos impulsions.

Critique de cette conception: si être libre consiste à faire ce qu’on veut, et si nous sommes tous libres, cela ne peut mener qu’à l’anarchie. Non que l’anarchie soit en elle-même critiquable, mais elle mène au règne de la force pure, à la loi du plus fort. Si cette définition de la liberté est exacte, plus personne ne peut être libre, car il tombera toujours sur plus fort que lui à un moment ou à un autre. Dans cette formule, la liberté se réduit à la force, elle s’exerce dans l’instant.

Autre critique: la définition en question (pouvoir faire ce qu’on veut faire) n’éclaircit en rien l’essence le problème de la liberté, elle ne fait que le reporter. Car il ne suffit pas de vouloir, il faut encore pouvoir. Et si ce que je veux est impossible? Si je voulais m’envoler comme un oiseau? En ce sens, cette définition nous dit plutôt que jamais l’homme n’est libre: il ne peut pas tout ce qu’il veut.

Autonomie: être autonome signifie être capable de définir soi-même sa conduite, obéir à ses propres lois, celles que nous donne notre raison. En ce sens, être libre, c’est obéir, mais n’obéir qu’à soi, à ce que nous dicte notre raison.

"Obéir aux lois qu’on s’est prescrites, c’est liberté", Rousseau, Contrat social

Paradoxalement, c’est une liberté qu’on trouve donc dans l’obéissance.

Et si chaque homme obéissait à sa raison, il serait libre (il ne serait pas soumis à la volonté d’un autre, ni à une loi étrangère), et pourtant tous les hommes obéiraient aux mêmes lois (la raison est la même en tout homme). C’est à dire, que la liberté d’un homme ne s’opposerait plus à celle des autres comme dans l’anarchie, mais elles convergeraient: nous ne sommes libres qu’avec les autres.

3) Culture et discipline

Selon Kant (Propos de Pédagogie), toute éducation a deux parties distinctes: une partie négative, la discipline (elle réprime la tendance égoïste à satisfaire ses propres désirs au détriment des autres, la tendance à l’indépendance), et une partie positive, qu’il appelle culture (l’apport de connaissance, l’instruction, plus la culture).

Par là il donne la solution du paradoxe évoqué prédemment: l’éducation semble réprimer la liberté pour asseoir la liberté. En fait, elle réprime la fausse liberté, l’indépendance, pour instaurer la liberté rationnelle qui seule convient à l’homme, l’autonomie.

La discipline réprime l’indépendance, l’égoïsme, pour que la culture puisse développer la raison en l’homme jusqu’à ce qu’il puisse se donner à lui-même ses propres lois et devenir autonome, libre d’une liberté proprement humaine.

L’éducation ne contraint donc dans un premier temps (discipline) que pour forcer l’homme à sortir de la liberté animale à laquelle il tient tant, pour lui donner une chance d’accéder à une liberté qui lui convienne (autonomie).

Paradoxalement, elle force l’homme à être libre, vraiment libre. Elle réprime la liberté, mais pour l’accroître.

4) le paradoxe du maître

Le terme "maître" est ambigu: il renvoie aussi bien au maître politique, au tyran, qu’au maître-éducateur. Mais, dès le départ, ces deux maîtres n’ont rien en commun, ils poursuivent des buts opposés.

L’éducateur a pour but qu’un jour ses élèves se passent de lui, qu’ils n’aient plus besoin d’un maître, car ils seront leur propre maître (autonomie). Et si l’éducateur commande (discipline), c’est justement pour habituer l’élève à obéir, pour que, une fois libre, il soit capable de s’obéir à lui-même. Le maître n’est donc le maître que par procuration, il l’est à la place de l’élève, pour le compte de l’élève, en attendant l’élève.

Le maître politique, au contraire, veut toujours être le maître, et il a besoin pour cela de maintenir ses sujets dans leur état de "minorité intellectuelle". Il a besoin qu’on ait besoin de lui. Et son objectif est purement égoïste: rester au pouvoir (le pouvoir est le moyen pour rester au pouvoir).

L’époque des Lumières (Aufklärung) est celle où, selon Kant, les deux sens tendent à se rejoindre. Dans la sixième proposition d’une Idée d’une histoire au point de vue cosmopolitique, il formule ce qui est le problème majeur, presque insoluble, de l’histoire de l’humanité.

La nature a forcé les hommes à surmonter leur aversion mutuelle et à entrer en société bien malgré eux (insociable sociabilité) et donc à se soumettre à des lois communes. Le problème, c’est que l’homme au pouvoir, chargé de faire respecter ces lois, n’est lui-même qu’un homme, connaît le penchant à l’égoïsme, à l’insociabilité. L’homme est un animal qui a besoin d’un maître, qui sera capable de briser tout égoïsme et de forcer chacun à respecter les lois par lesquels il est libre avec les autres (mais ce maître sera lui-même un animal qui aura besoin d’un maître...)

La seule solution pour pouvoir passer un jour à un état de droit cosmopolitique, c’est donc que le maître se fasse éducateur, que étant lui-même juste, il apprenne aux hommes à aimer la vertu...

CONCLUSION

L’idée d’éducation n’a donc de sens que rapportée à celle de liberté: toute éducation est éducation de l’animal qu’est l’homme pour lui permettre d’accéder à une liberté humaine.

Inversement, la liberté naturelle, sauvage, la liberté non éduquée est tout le contraire de la liberté, ce n’est que l’expression d’un caprice, toujours changeant.

Et comme le remarque Kant, la fonction de l’école n’est pas, ne peut pas être d’adapter l’élève à la société déjà existante, au monde actuel!

En effet, si tel était le cas, l’école adapterait les élèves à une société qui aurait déjà changé le temps qu’ils arrivent sur le marché du travail. Elle serait nécessairement rétrograde, par la force des choses, d’avance dépassée par l’évolution de la société!

La vraie mission de l’école serait de donner aux hommes de demain, aux élèves d’aujourd’hui les moyens de construire un monde plus humain, moins corrompu. Elle a donc pour vocation de leur fournir les moyens intellectuels de se débarrasser de la société et du monde que nous leur léguons, en se repérant sur les valeurs éternelles de l’homme, non sur celles, toujours changeantes, d’une société particulière.

Contrairement donc à ce que disait Bourdieu, l’école n’est pas une usine... Elle est au contraire le laboratoire où s’élabore la société de demain!

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