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Déportations de masse en Pologne orientale

Publié le 17/01/2022

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Juin 1940 - Le pacte germano-soviétique accorde à l'Union soviétique plus de la moitié du territoire polonais d'avant guerre : quelque 200 000 kilomètres carrés et 13 à 14 millions d'habitants, dont 6,5 millions sont des Polonais d'origine. Peu après, Vilnius et sa région (6 000 kilomètres carrés) sont rendues à la Lituanie, qui devient un protectorat de l'URSS, avant d'en devenir quelques mois plus tard une république. Le reste est aussitôt incorporé à l'Union. Des élections précipitamment organisées se tiennent le 22 octobre 1939, dans la meilleure tradition soviétique : candidats uniques, scrutin sans isoloirs, sous la surveillance de militaires en armes. L'admission dans l'URSS, demandée par les deux Assemblées ainsi élues - l'une en Ukraine occidentale, l'autre en Biélorussie occidentale - est prononcée début novembre par le présidium du Soviet suprême, qui, le 29 du même mois, attribue la nationalité soviétique à tous les habitants des zones rattachées. Staline, qui a fait dissoudre le PC polonais en 1938, ne nourrit alors aucun projet de restauration d'un Etat polonais. L'administration des nouveaux territoires est confiée au NKVD, la police politique, qui a dès les premiers jours d'occupation procédé à l'arrestation des principaux dirigeants politiques et syndicaux, les plus susceptibles d'organiser un mouvement de résistance clandestin. Mais l'ampleur de la tâche requiert de la méthode, et l'instruction NKVD n 1223 du 11 octobre 1939, relative aux " modalités de déportation des éléments antisoviétiques " y pourvoit en dressant la liste de ces " éléments " : dirigeants des partis " bourgeois " et organisations associées, fonctionnaires de l'Etat, policiers, officiers, magistrats... S'y ajoutent les Polonais capturés lors de tentatives de franchissement de la frontière pour rejoindre l'armée en cours de constitution en France, ainsi que les propriétaires fonciers et les industriels. Arrêtés individuellement, ils sont justiciables, à l'issue d'un procès sommaire devant un tribunal spécial, d'une peine de trois à cinq ans de " privation de liberté " pour " crime contre la révolution et les intérêts du prolétariat " ou pour " activités au service d'un Etat capitaliste ". Après un séjour plus ou moins long en prison, la destination finale est, pour les survivants, toujours le camp de travail, une des îles de l'archipel du Goulag. On évalue à 250 000 le nombre de ceux qui ont subi ce sort entre octobre 1939 et juin 1941. Mais c'est une entreprise d'une tout autre nature qui se prépare, dans le plus grand secret, pour le printemps suivant. Pendant la nuit du 8 au 9 février 1940, le NKVD, secondé par l'armée rouge et la milice, procède à une rafle massive dans les territoires pris à la Pologne. Dans la discrétion. Après un tri pour séparer les hommes valides, dirigés vers les camps de travail, des femmes, enfants et vieillards, les déportés sont entassés à 50 par wagon. Ils sont 220 000 à être ainsi convoyés, par 110 trains, vers les immensités glacées du Grand Nord russe. Le plus souvent, le voyage se prolonge pendant plusieurs semaines, dans les conditions que l'on imagine en cet hiver 1939-1940 plus rigoureux encore que les autres - la température descend jusqu'à - 40 degrés. Les moins résistants, enfants et vieillards au premier chef, succomberont avant d'arriver à destination. Les autres se voient infliger d'épuisantes marches à pied, sur des centaines de kilomètres, avec bivouac en plein air, pour rejoindre leurs lieux de détention. Contrairement à la Gestapo en zone allemande, le NKVD n'a pas frappé au hasard. Les listes de déportés ont été composées en fonction de critères " sociaux " pour identifier les " éléments antisoviétiques " et autres " suspects " : ce qui reste des fonctionnaires de l'Etat polonais et des propriétaires terriens, les paysans-colons bénéficiaires de la réforme agraire de 1925. Bien que les déportés soient en majorité ethniquement polonais, les Ukrainiens et les Biélorusses sont nombreux dans les wagons : certains villages d'Ukraine ont été vidés de la totalité de leurs habitants. Fin juin 1940 : cette fois-ci, la rafle vise avant tout les réfugiés de la partie occidentale de la Pologne, occupée par l'Allemagne, des juifs en grande partie. 240 000 prennent le chemin de la Sibérie. Une dernière vague, qui précédera de quelques jours l'attaque allemande de juin 1941, emportera encore vers les camps et l'exil plus de 300 000 déportés : des employés, des ouvriers qualifiés, des cheminots ainsi que nombre de Polonais résidant dans les républiques baltes annexées par l'URSS en 1940. Ce sont donc, au total, plus d'un million de personnes - dont près des deux tiers de Polonais d'origine - qui prennent, en l'espace de quinze mois, le chemin de la déportation. Ce chiffre avoisine le million et demi si l'on y ajoute les détenus politiques arrêtés individuellement et les quelque 200 000 prisonniers de guerre expédiés eux aussi dans les camps et les mines. Pour une partie des survivants, l'attaque de l'URSS par l'Allemagne annonce la fin du calvaire : Staline, qui a renoué le 30 juillet 1941 avec le gouvernement, en exil à Londres, du général Sikorski, autorise la création d'une armée polonaise sur le territoire soviétique et accorde l' " amnistie " - un terme qui, s'appliquant à des civils déportés sans autre forme de procès, relève de l'humour noir - " aux citoyens polonais privés de liberté en URSS ". Mais seulement 115 000 civils et militaires parviendront à quitter l'Union soviétique par l'Iran, en 1943, avec cette armée, celle du général Anders. D'autres trouveront une planche de salut en rejoignant l'armée formée ensuite par des communistes polonais sous le commandement du général Berling. Quelque 400 000 déportés seront rapatriés en Pologne pendant l'immédiat après-guerre, entre 1944 et 1948, mais une soixantaine de milliers d'entre eux devront attendre la mort de Staline et le " dégel " pour pouvoir regagner la Pologne. STEPHANE MEYLAC Le Monde du 28 mai 1990

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