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Dissertation: Etre conscient suffit-il pour être libre ?

Publié le 22/02/2012

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 I - INTRODUCTION PROBLEMATIQUE.

Spinoza imagine une pierre lancée vers le ciel qui prendrait conscience d’elle-même. Elle se sentirait alors attirée vers la terre et comme ce serait sa seule impression consciente, elle croirait faire librement ce qu’elle désire alors qu’en fait son désir resterait l’effet de l’attraction terrestre. On peut se demander si être conscient suffit pour être libre. Spinoza montre par son exemple qu’être conscient peut donner l’impression illusoire d’être libre. Cependant quand Descartes nous parle d’une liberté d’indifférence, ne décrit-il pas une expérience intérieure convaincante ? Si je peux douter de tout ce qui apparaît dans ma conscience, même si ce jeu d’apparences continue son action, n’y a-t-il pas en moi une dimension indépendante de tout ce qui se déroule dans le temps et l’espace ? D’ailleurs Spinoza lui-même s’il juge le libre-arbitre illusoire n’est pas totalement fermé à l’idée d’une certaine liberté puisqu’il évoque une forme de libération transcendant le temps et l’espace inhérente à la connaissance de la nécessité. Ainsi paradoxalement si être conscient ne suffit pas pour être libre, il semble que la conscience soit la condition nécessaire pour le devenir davantage. II - UNE CONSCIENCE CULTURELLE EST NECESSAIRE A LA LIBERTE . Si la conscience suffisait pour être libre alors les animaux seraient libres car ils sont eux aussi dotés de conscience. Bien entendu Descartes réservait la pensée et l’âme aux seuls êtres humains mais les recherches en éthologie (étude du comportement animale) ont largement mis en cause l’idée cartésienne selon laquelle les animaux ne sont que des machines déterminées tandis que l’homme a un corps dirigée par une âme libre. Les grands singes, les dauphins et les éléphants semblent capables de prendre un point extérieur à eux-mêmes sur leur corps. Autrement dit ces animaux semblent disposer d’une forme de conscience de soi que de nombreux philosophes pensaient réservée à l’Homme seul. Par ailleurs un chien n’a certes pas une conscience de soi puisqu’il ne se reconnaît pas dans un miroir et donc puisqu’il est incapable de s’envisager de l’extérieur. Mais il a visiblement une conscience d’autrui très élaborée puisqu’il est capable de ressentir dans une certaine mesure l’état émotionnel dans lequel se trouve son maître. La thèse de Bergson selon laquelle l’évolution du vivant est aussi une évolution de la conscience semble bien en partie recevable d’après les données éthologiques. L’association cartésienne de la conscience à une conscience de soi rationnelle et dotée d’un libre-arbitre semble du point de vue scientifique actuel peu défendable en l’état. Bergson dans L’évolution créatrice distingue deux grands types de conscience animales : celle qui privilégie l’instinct et celle qui privilégie l’intelligence. Le modèle de la conscience instinctive est celui des insectes : leur comportement est parfaitement déterminé par des automatismes comportementaux. Comme Pascal le remarquait la nature modifie les comportements de certains animaux mais sans leur en laisser une connaissance. Seul l’homme quand il modifie son comportement fait par là-même évoluer ses connaissances et pour Pascal cette accumulation des connaissances donne toujours aux modernes un avantage sur les anciens. Le modèle de la conscience intelligente est celui lié à la culture humaine. La conscience humaine plus que n’importe quelle autre conscience animale peut accumuler par son expérience des connaissances qui lui donne de plus en plus de puissance d’action et donc de liberté. La conscience réflexive qui donne à l’homme le pouvoir de prendre un point extérieur à soi lui permet d’accumuler une culture et de la transmettre. Le langage humain qui permet de manipuler virtuellement des aspects de la réalité permet à l’être humain d’échapper à la limitation des connaissances empiriques acquises par les circonstances. Par son langage l’être humain peut avoir l’intelligence de provoquer les expériences grâce à des modèles théoriques. Sa compréhension des nécessités de la nature devient un moyen de les contourner. Spinoza ou Descartes n’ont pas la même conception de la liberté humaine. Mais si on considère leur rationalisme qui selon eux est essentiel au développement de leur conception de la liberté, nous pouvons affirmer sans plus de précision qu’une conscience intelligente est la condition nécessaire pour être libre quoi qu’on entende métaphysiquement par ce mot. III - LA RAISON SOUMISE AUX DESIRS, NOTRE CONSCIENCE EST DETERMINEE. Spinoza et Descartes malgré leur désaccord sur le contenu de la liberté sont donc tout deux d’accord sur l’importance de la raison. Un être qui suit ses pulsions et ses désirs sans qu’ils soient réfléchis rationnellement de façon rigoureuse n’est pas libre. Trop souvent encore les êtres humains confondent la liberté avec l’idée de suivre leurs pulsions et leurs désirs comme bon leur semble. Dans une telle optique les autres sont toujours des freins à notre liberté car ils imposent des contraintes. Cette approche conduit à vivre conflictuellement avec dans sa conscience des représentations des exigences des autres qui s’opposent à nos pulsions et à nos désirs. L’homme qui développe vraiment sa conscience au niveau de la raison ne vit plus dans ce conflit. Du point de vue rationnel, moi et l’autre avons des points de vue en grande partie interchangeables, je peux me considérer comme n’importe quel autre. Ce qui est rationnel est d’abord universel, j’apprends donc à ne pas considérer mon point de vue individuel comme plus important que celui des autres. Je comprends alors que les contraintes exercées par les autres sont la plupart du temps liées au respect universel de tous les individus. Lorsque je suis mes désirs et mes pulsions sans les réfléchir rationnellement, je me maintiens dans un point de vue irrationnel. Les contraintes exercées par les autres lorsque se développe en moi une authentique conscience rationnelle s’avèrent avoir été rétrospectivement une condition nécessaire de ma liberté. Du point de vue de la raison, je ne subis pas une contrainte, je me sens obligé par l’universel au sens où quelqu’un se sent l’obligé d’un autre par qui il a reçu. L’obligation est comme une gratitude rationnelle vis-à-vis de ce qui donne vie, elle est la re-connaissance rationnelle de l’être universel par lequel l’individuel agit pleinement. La psychanalyse issue de  Freud situe l’origine de la plupart des névroses dans l’élaboration plus ou moins saine du surmoi. Le surmoi est l’intériorisation des contraintes exercées dans l’enfance par nos éducateurs. Si les gens ressentent autant le poids des contraintes sociales extérieures, peut-être est-ce aussi parce que leur surmoi a peu de valeur morale ? Les parents ne nous ont-ils pas fait intérioriser davantage leurs propres exigences personnelles que le sens de lois proprement morales et universelles ? La cure psychanalytique consiste à briser la censure du surmoi et à faire qu’un moi rationnel véritablement éthique émerge là où le çà par la complicité d’un surmoi pervers produisait des symptômes névrotiques.

Une certaine lecture de Descartes par Sartre nous a habitué à croire que nous disposons tous en tant qu’être humain d’un libre-arbitre en parfait état de marche. La psychanalyse et tous les développements postérieurs de la psychologie soulignent que ce n’est pas le cas. Il faut peut-être revenir à Descartes lui-même lorsqu’il nous parle du plus bas degré de la liberté à savoir la liberté d’indifférence. Celle-ci est bien loin d’être une donnée spirituelle pour tous. Lui-même d’ailleurs le reconnaît lorsqu’il fait face à ses propres passions. Etre indifférent à tous les contenus de sa conscience est très difficile : cela signifierait que nous serions capable de douter de tout. Dans la quatrième méditation métaphysique où il est question de cette forme de liberté, il est encore question du point de vue d’un cogito qui est capable de douter de ses idées même s’il ne doute pas qu’il pense, qui est capable de douter de ses passions même si elles ont une consistance corporelle et qui est capable de douter de ses sensations même si elles ne peuvent absolument fausses si Dieu qui existe selon Descartes n’est pas un dieu trompeur. Le plus bas degré de la liberté selon Descartes repose sur la capacité de douter de tous les contenus de notre conscience. Or qui peut prétendre aisément à se détacher ainsi de tous les contenus de sa conscience ? Pour les bouddhistes, une telle puissance de détachement constitue un pas majeur vers ce qu’il nomme l’éveil et qui n’est jusqu’ici que l’apanage du petit nombre. Si l’intelligence rationnelle repose sur la capacité de douter et l’indubitabilité, être cartésien et donc pleinement éveillée à la lumière rationnelle de la conscience suppose un détachement intérieur ou une liberté d’indifférence peu commune. Nous nous croyons doté d’un libre-arbitre parce que nous sommes capable d’un minimum de réflexion et nous nous croyons libre de suivre tel ou tel désir, telles ou telles pulsions parce que nous pouvons les justifier par des raisons. Mais sommes-nous capable de regarder nos désirs et nos pulsions avec une authentique liberté d’indifférence ou avec un détachement total qui ni ne les rejette ni ne les approuve ? Ainsi avec Spinoza prenant au mot la conception cartésienne du libre-arbitre nous pouvons affirmer qu’être conscient ne suffit pas pour être libre. IV - LA LIBERTE AUTHENTIQUE CONSISTE EN UNE EVOLUTION CONSCIENTE DE LA CONSCIENCE. Le saut abrupt vers la liberté d’indifférence n’est peut-être pas impossible mais il n’est pas à notre portée et dans ce cas c’est l’analyse de Spinoza de nos déterminismes qui semble prévaloir car elle nous offre des moyens de nous libérer des illusions déterministes. Spinoza distingue ainsi trois modes de connaissances. Il y a une connaissance par imagination à la quelle la plupart des êtres humains a accès quand par exemple il y a justification d’un appétit, d’un désir ou d’un préjugé. Il y a aussi une connaissance par raison commune. Celle-ci est de deux types : l’une s’appuie sur l’expérience et c’est celle-ci qui s’exprime dans les scholies de L’Ethique, l’autre s’appuie sur le raisonnement géométrique et déductif et c’est celui qui s’exprime dans les axiomes, les définitions et les démonstrations des propriétés de son éthique. Se libérer consiste donc à passer d’une réflexion qui procède de l’imagination à une véritable réflexion rationnelle. Ce développement n’est pas impossible dès lors qu’en nous les contraintes sociales ont intériorisé des désirs moraux qui s’opposent aux désirs égocentriques. La réflexion morale offre un premier visage relatif de l’universel. Quand nous aurons la compréhension que la nature ne recèle pas en elle d’intention morale et que nous verrons nos passions d’un œil scientifique et rationnel alors nous les comprendrons sans les juger moralement comme le résultat d’une expression individuelle de la nature universelle. Cette compréhension lorsqu’elle devient capable d’intuition du sens universel de ce qui est singulier paradoxalement transforme en action ce qui était subi. Au fond on pourrait voir en la psychanalyse une propédeutique à la sagesse spinoziste. Ainsi de même que Spinoza, il s’agit d’assimiler dans la conscience ce qui était inconscient. Mais pour Spinoza, la prise de conscience dont il est question n’est pas seulement individuelle, elle est une prise de conscience universelle de la nature au travers d’une de ses individualisations. L’homme, dit-il, n’est pas comme un empire dans un empire. L’homme n’est qu’une partie de la nature même si en tant que partie il implique la totalité de la nature et que par son sens de l’universel il peut en avoir une forme de conscience. Le désir et les appétits (pulsions) sont les phénomènes vécus de l’intérieur par les hommes parallèles aux forces de la nature qu’on peut observer de l’extérieur à l’œuvre matériellement. D’un côté, il y a des forces matérielles, de l’autre il y a en parallèle des forces de conscience. Elles s’éprouvent d’abord comme appétit. Si elles sont conscientes de leur force de conscience, elles sont alors désirs. Quand un désir devient réfléchi c’est-à-dire appétit conscient qui se sait alors commence à émerger la connaissance. Ainsi la conscience de la nature elle-même s’individualise et peut à travers certaines de ses individualisations devenir plus ou moins consciente d’elle-même. L’homme contemporain qui n’ignore pas l’évolution de la conscience peut aisément réinterpréter ces degrés de conscience comme significatif de l’évolution. Le cerveau reptilien pulsionnel se métamorphose en devenant le cerveau des mammifères qui au cerveau reptilien ajoute la partie limbique qui permet les affects et donc le désir. Enfin le cerveau humain se développe lorsque le cerveau reptilien et limbique s’étend avec un cortex et un néocortex qui permet le développement de l’imagination et de la raison. Même si cette approche reste approximative, elle traduit cependant un lien entre évolution et analyse spinoziste de la conscience et du corps. Ce qui libère consiste donc en des prises de conscience évolutive de la nature en des individus. Ce qui sépare l’évolution du spinozisme est l’idée de hasard et de nécessité qui ne semble pas coïncider avec le déterminisme. Mais comme le fait remarquer André Comte-Sponville le hasard n’implique pas que nous ne soyons pas déterminé, dès lors que nous subissons le hasard nous sommes déterminé par lui. Même si un appétit se forme par hasard, il nous détermine tout de même. Par contre si nous devenions la conscience même de la nature comme le pense Spinoza, ne pourrions-nous pas devenir conscience même du hasard qui fait émerger de nouvelles nécessités comme les remous de l’eau d’un fleuve modifie le lit de sa nécessité ? Le hasard dans sa puissance de réélaboration de la nécessité serait alors ce qui s’observerait de l’extérieur dans la matière et en parallèle l’intuition créatrice réélaborant l’intuition de la nécessité au cœur du singulier serait ce qui serait vécu par un être humain comme l’émergence consciente d’une nouvelle forme de conscience. Les récentes découvertes sur la plasticité cérébrale montrent bien que le corps humain est doté d’une capacité sans précédent de réorganisation cérébrale et donc d’une capacité à évoluer consciemment. En ce sens au cœur de la nature, c’est-à-dire au cœur de la conscience universelle du singulier, il y aurait comme une impulsion créatrice dont l’individu humain pourrait être un maillon pour en incarner consciemment l’expérience. V - CONCLUSION. Les animaux sont comme nous dotés de conscience contrairement à ce que pensent certains qui voudraient voir l’homme en dehors de la nature. Cependant la conscience humaine n’est pas une conscience instinctive qui exécute des comportements régulés par des automatismes spécifiques. La conscience humaine est une intelligence qui peut accumuler des connaissances et donc transmettre une culture. En cela la conscience humaine si elle ne suffit pour être libre semble être une condition nécessaire. La simple conscience humaine usuelle confondue avec l’expérience d’un moi qui se croit distinct du monde et qui se débat avec les contraintes sociales n’est guère suffisante pour être libre. Le libre-arbitre serait défendable si une liberté d’indifférence était chose aisée mais cela n’est guère le cas. La liberté est donc avant tout une libération qui consiste en un développement de la connaissance de la conscience comme de la matière. Quand science spirituelle et science matérielle se développe harmonieusement, la nécessité est transcendée et découvre une impulsion créatrice qui anime la nature et à laquelle le chercheur peut participer. On retrouve peut-être alors l’expérience de la liberté cartésienne au moment où se préparant à incarner l’impulsion créatrice la conscience se détache de tous les modes de fonctionnement habituels précédants. Car comme l’ont montré les scientifiques, le cerveau limbique ne s’ajoute pas au cerveau reptilien comme la croissance d’une année d’un arbre s’ajoute à la circonférence des années passées, il en modifie le fonctionnement en profondeur. Descartes ou l’existentialisme de Sartre qui sont les acteurs de changements culturels de mentalité sans précédent sont des partisans d’un libre-arbitre accessible mais à vrai-dire ils n’ont peut-être pas eu pleinement conscience d’incarner l’impulsion créatrice et n’ont pleinement saisi que le détachement qui en forme un moment. D’ailleurs Spinoza lui-même par son sens de l’universel n’a pas pressenti la possibilité d’une évolution. Ce seront les disciples de Leibniz dont le sens de l’individualité n’est pas inféodé à l’universel qui en auront l’idée. Pour qu’être conscient implique d’être libre, il faudrait être conscient d’un principe d’individualisation de la conscience, d’une dimension universelle où s’incarne les tentatives multiples de ce principe et enfin il faudrait faciliter l’œuvre de l’impulsion créatrice qui découvre à la conscience sa propre transcendance en laquelle elle se renouvelle.  

 

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