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Expression automatique et expression volontaire. JULES BAILLARGER

Publié le 22/02/2012

Extrait du document

Quand on lit les observations d'aphasie, on constate chez un certain nombre de malades ce phénomène singulier qu'il leur est impossible de prononcer certains mots quand ils essayent de le faire et qu'ils appliquent toute leur énergie de volonté ; au contraire, quelques instants après, ils prononcent ces mêmes mots sans le vouloir. Ainsi il y a chez eux perte de l'incitation motrice volontaire, conservation de l'incitation spontanée.... On sait que sous l'influence d'une passion vive et de la surexcitation cérébrale qu'elle produit, nous ne sommes plus complètement maîtres de régler nos pensées et aussi de retenir nos paroles. C'est alors qu'on laisse souvent, comme on le dit, échapper des mots qu'on regrette. C'est donc l'incitation verbale spontanée substituée en partie du moins à l'incitation verbale volontaire. Or n'est-il pas bien curieux de constater que précisément un certain nombre d'aphasiques retrouvent aussi quelquefois la parole lorsqu'ils sont sous l'influence d'une passion très vive ? C'était précisément le cas du malade de M. MOREAU, il pouvait parler quand il se mettait en colère. Parmi les malades atteints de graves lésions du langage dont je viens de parler, il y en a qui ont perdu la mémoire des mots...., il en est d'autres qui l'ont conservée et qui peuvent rendre toutes leurs pensées par l'écriture. Mais tous ces malades ont cela de commun qu'ils prononcent des mots sans rapport avec leurs pensées. Je rappellerai d'abord que cette lésion de la substitution des mots peut se présenter quelquefois dans l'état normal, pendant le cours d'une improvisation. II arrive qu'un orateur prononce un mot sans rapport avec la pensée qu'il développe ; tantôt il s'aperçoit de son erreur et la rectifie ; tantôt, au contraire, cette erreur passe pour lui inaperçue. Ce fait de substitution d'un mot à un autre s'explique par l'excitation à laquelle l'orateur est en proie et par la facilité avec laquelle la parole automatique se produit alors par le fait même de cette excitation. Ainsi en est-il de quelques aphasiques. Arrêtés à chaque instant par la perte de mémoire d'un grand nombre de mots, ils font avec impatience des efforts infructueux pour trouver l'expression qui leur échappe. C'est alors que surgissent, d'une façon automatique, des mots sans suite dont quelques malades ont conscience, mais qui, chez beaucoup d'autres, leur semblent être la traduction exacte de leurs pensées. Quand la perversion du langage est portée très loin, alors il y a évidemment quelque chose de plus. La substitution des mots devenue habituelle ne s'explique plus seulement par l'excitation et l'impatience qui résultent des efforts du malade ; néanmoins la lésion est la même : il s'agit toujours de l'incitation verbale involontaire de la parole automatique substituée à l'incitation verbale volontaire.

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