Expression automatique et mimique volontaire : le rôle de l'imitation. GEORGES DUMAS.

Je n'écrirais plus, aujourd'hui, que c'est par l'imitation de nous-mêmes que nous transformons en signes mimiques les données spontanées de l'expression. J'ai fait, en étudiant les aveugles, des expériences qui imposent une autre explication. La première expérience a été faite dans mon laboratoire de Sainte-Anne sur une aliénée aveugle de naissance, qui exprimait, comme tous les aveugles, ses émotions spontanées avec la même énergie que les clairvoyants, et qui, priée de mimer la colère, deux minutes après s'être mise en colère, n'a retrouvé aucune de ses expressions faciales.... Mais la question valait d'être éclaircie et c'est à des expériences suivies que je me suis livré. Je les ai faites sur trente-trois aveugles-nés.... Tous ceux que j'ai observés étaient capables d'éprouver des émotions et de les exprimer fortement.... Pour poser sous forme expérimentale la question qui me préoccupait, je suis parti de cette idée que si un sujet peut être capable de mimique faciale sans avoir jamais vu ses expressions personnelles ni celles d'autrui, c'est qu'il a connu suffisamment ses propres expressions, pal sa sensibilité musculaire et cutanée, pour les imiter, et que, dans le cas contraire, c'est-à-dire s'il est incapable de reproduire de mémoire ses propres expressions, c'est qu'il n'a jamais observé par la vue ces expressions chez autrui ni chez lui-même. En expérimentant sur des aveugles-nés, je devais donc être renseigné sur la part des sensibilités musculo-cutanées et visuelles dans l'acquisition de la mimique. Mes sujets, tous choisis parmi des aveugles-nés, afin que la part de la mémoire visuelle fût éliminée, avaient pour la plupart entre 12 et 20 ans. Quelques-uns, des professeurs, avaient entre 30 et 40.... Voici D. âgé de 21 ans, aveugle par suite d'une ophtalmie purulente. Tu as eu peur, quelquefois, lui dis-je. Réponse affirmative. Peux-tu prendre un visage effrayé ? R. ne sait pas ce que c'est. Même résultat pour la colère, la tristesse, la joie. Les aptitudes mimiques de D. sont nulles. Il a eu, cependant, tout à l'heure, un bon rire, à, l'occasion d'un petit incident. Je lui demande de reprendre, sans penser à cet incident qui pourrait provoquer à nouveau un rire spontané, l'expression qu'il vient d'avoir. Après quelques essais il renonce et il est médiocre même dans l'expression d'un simple sourire.... Je n'ai enregistré que des échecs mimiques.... Ce qui se produit dans la mimique du visage, par suite de la cécité, n'est qu'un cas particulier de ce qui se produit dans l'adaptation motrice tout entière. Ce n'est donc pas s'avancer beaucoup que de prétendre, à la suite de nos expériences, que la mimique d'imitation est uniquement d'origine visuelle chez le clairvoyant ou, du moins, que la vue en fournit les schèmes.