Devoir de Philosophie

J.-J. ROUSSEAU, Du contrat social I, 3

Publié le 21/07/2010

Extrait du document

rousseau

 

"Le plus fort n'est jamais fort pour être toujours le maître, s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort ; droit pris ironiquement en apparence et réellement établi en principe. Mais ne nous expliquera-t-on jamais ce mot ? La force est une puissance physique ; je ne vois point quelle moralité peut résulter de ses effets. Céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir ? Supposons un moment ce prétendu droit. Je dis qu'il n'en résulte qu'un galimatias inexplicable, car sitôt que c'est la force qui fait le droit, l'effet change avec la cause. Toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement ; et, puisque le plus fort a toujours raison, il ne s'agit pas de faire en sorte qu'on soit le plus fort. Or qu'est-ce qu'un droit qui périt quand la force cesse ? S'il faut obéir par force, on n'a pas besoin d'obéir par devoir ; et si l'on n'est plus forcé d'obéir, on n'y est plus obligé. On voit donc que ce mot de droit n'ajoute rien à la force, il ne signifie ici rien du tout." Etude globale du texte Contexte Rousseau, dans le premier livre du Contrat social, recherche le fondement du droit. Cette recherche le conduira à le mettre au compte de ce qu'il appelera la "volonté générale", celle des hommes qui renoncent à l'exercice individuel de leur liberté pour se soumettre à la loi qu'ils s'imposent collectivement. Dans l'immédiat il écarte la force comme source possible du droit. Thème Il est question du "droit du plus fort". Question Rousseau se demande si la notion de "droit du plus fort a un sens" et met ainsi en question sa validité. Thèse Rousseau démontre que la notion de droit du plus fort est inconsistante : "le mot de droit du plus fort ... ne signifie rien du tout". Composition Pour récuser la notion de droit du plus fort, Rousseau montre l'absurdité d'un droit qui prétendrait se fonder sur la force. Il le fait en deux temps. - Dans un premier temps il relève l'incohérence conceptuelle de l'idée d'un droit du plus fort. - Dans un second temps, en raisonnant par l'absurde, il en expose les inconséquences.   Indications en vue d'une explication et d'une critique du texte   Premier temps de l'argumentation « Le plus fort n'est jamais assez fort pour être toujours le maître s'il ne transforme sa force en droit et l'obéissance en devoir. De là le droit du plus fort, droit pris ironiquement en apparence et réellement établi en principe.« Rousseau commence par dénoncer l'incohérence de la notion de "droit du plus fort" en démontrant l'incompatibilité des termes qui entrent dans sa composition. Ceux-ci, fait-il observer, sont de nature différente : la force "est une puissance physique" alors le droit est une puissance dont il montre qu'elle est morale. Le règne de la force est ce lui de la nécessité. Celui qui s'y trouve soumis ne peut lui résister qu'en lui opposant une force contraire. Il ne peut pas de pas y être soumis. Le droit s'adresse quant à lui au bon vouloir de ceux qu'il oblige en leur faisant un devoir de le respecter. Il s'adresse à leur liberté, il fait appel à leur sens du bien. Kant fera ainsi de l'existence du devoir la preuve même de l'existence de la liberté : pour que l'obéissance ait un sens, il faut qu'existe la possibilité de s'y soustraire ! Pourquoi Rousseau dit-il que le "droit du plus fort" est pris ironiquement ? Il est pris ironiquement en ce sens qu'il semble que la force puisse se passer du droit et qu'elle en tienne lieu. Pourtant, le droit est aussi une force, une force morale que, l'on a avantage à ajouter, et même, dans certains cas, à substituer à la force physique. « La domination même, dit-il dans l'Emile, livre II, est servile, quand elle tient à l'opinion ; car tu depends des préjugés de ceux que tu gouvernes par les préjugés.« Le plus fort est obligé d'être vigilant. C'est une contrainte pénible que de surveiller sans cesse le plus faible. A l'obéissance obtenue par contrainte, il préfère l'obéissance volontaire de celui qu'il domine. La crainte est un mobile moins stable, moins profond que le sentiment du devoir généré par la reconnaissance du droit. Ceux qui exerce le pouvoir ont donc tout intérêt à laisser croire qu'ils l'exercent légitimement !  Quant à ceux qui cèdent à la force, s'ils le font, c'est tout au plus, par calcul, non par sens de l'obligation : « céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence. En quel sens pourra-ce être un devoir?« fait observer Rousseau, résumant ainsi son argument de départ. Second temps de l'argumentation Pour renforcer sa démonstration de l'inanité de la notion de droit du plus fort, Rousseau recourt à un raisonnement par l'absurde. "Supposons un moment ce prétendu droit", écrit-il. "Un moment" seulement, car il va s'avérer immédiatement qu'il devrait en résulter une permanence de ce droit alors qu'en fait il est soumis aux fluctuations de la force : " Toute force qui surmonte la première succède à son droit. Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on le peut légitimement". Le droit du plus fort reviendra toujours à celui qui sera plus fort ! Et celui qui le revendiquerait le perdrait avec la force qui en viendrait à lui faire défaut. Ce qui prouve donc bien que la notion de droit n'apporte rien à la notion de force. On est ainsi reconduit à la distinction de départ entre l'ordre du droit, qui est celui de l'obligation, du devoir et de l'obéissance d'une part, et l'ordre des faits qui est celui du règne de la nécessité. Notons que Pascal pensait autrement. Dans les Pensées (section V de l'édition Léon Brunschvicg), il dit « Justice, force. - Il est juste que ce qui est juste soit suivi; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi. La justice sans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique. La justice sans force est contredite, parce qu'il y a toujours des méchants; la force sans la justice est accusée. Il faut donc mettre ensemble la, justice et la force; et pour cela) faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste. - La justice est sujette à dispute, la force est très reconnaissable et sans dispute. Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que la force a contredit la justice et a dit que c'était elle qui était juste. Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste (298). - Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que le juste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien (299). « Point de vue de sceptique, ou de chrétien qui ne croit pas que les hommes soient capables de connaître la justice. Alors comme il faut de l'ordre, cet ordre doit être basé sur les rapports de force. Mais il faut aussi que le peuple croie que cette force, qui lui commande, est juste. « Il est dangereux de dire au peuple que les lois (fondées sur la force) ne sont pas justes, car il n'y obéit qu'à cause qu'il les croit justes. « (326) Lui dira-t-on, au contraire, « qu'il y faut obéir parce qu'elles sont lois, comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs «? (326) « Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine. Il croit que la vérité (quant à la justice) se peut trouver, etc. « (325). Pour Pascal, en somme, Rousseau serait un de ces demi-savants qui croient pouvoir découvrir ce qu'est la justice humaine; il s'écarte du peuple ignorant et naïf, qui croit que la force est juste, que les lois établies par la force sont justes, en raison de leur ancienneté, par l'effet de la coutume, ou parce qu'elles lui inspirent un sentiment à la fois de crainte et d'aveugle vénération. Mais il ne s'élève pas au point de vue du chrétien ; celui-ci, sachant qu'il ne lui est pas possible de connaître ce qu'est la justice dans le monde des hommes, se contente d'obéir aux lois parce qu'elles sont les lois, et que Dieu l'a voulu ainsi.« Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue, répond Rousseau, mais toute maladie en vient aussi. Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? « Après tout, « le pistolet que tient le brigand est aussi une puissance«. Tout à fait dans le sens de Rousseau est le texte suivant, de Montesquieu « Le crime de lèse-majesté n'est autre chose, selon eux, que le crime que le plus faible commet contre le plus fort en lui désobéissant, de quelque manière qu'il lui désobéisse. Aussi le peuple d'Angleterre qui se trouva le plus fort contre un de leurs rois déclara-t-il que c'était un crime de lèse-majesté à un prince de faire la guerre à ses sujets. Ils ont donc grande raison quand ils disent que le précepte de leur Alcoran qui ordonne de se soumettre aux puissances n'est pas bien difficile à suivre puisqu'il leur est impossible de ne le pas observer (à rapprocher de la phrase de Rousseau, « obéissez aux puissances... a); d'autant que ce n'est pas au plus vertueux qu'on les oblige de se soumettre, mais à celui qui est le plus fort. Les Anglais disaient qu'un de leurs rois, ayant vaincu et fait prisonnier un prince qui lui disputait la couronne, voulut lui reprocher son infidélité et sa perfidie. e Il n'y a qu'un moment, dit le prince infortuné, qu'il vient d'être décidé lequel de nous deux est le traître. « (Lettres persanes, lettre CIV.)

 

 

rousseau

« reconnaissance du droit.

Ceux qui exerce le pouvoir ont donc tout intérêt à laisser croire qu'ils l'exercentlégitimement ! Quant à ceux qui cèdent à la force, s'ils le font, c'est tout au plus, par calcul, non par sens del'obligation : « céder à la force est un acte de nécessité, non de volonté; c'est tout au plus un acte de prudence.En quel sens pourra-ce être un devoir?» fait observer Rousseau, résumant ainsi son argument de départ. Second temps de l'argumentation Pour renforcer sa démonstration de l'inanité de la notion de droit du plus fort, Rousseau recourt à un raisonnementpar l'absurde.

"Supposons un moment ce prétendu droit", écrit-il.

"Un moment" seulement, car il va s'avérerimmédiatement qu'il devrait en résulter une permanence de ce droit alors qu'en fait il est soumis aux fluctuations dela force : " Toute force qui surmonte la première succède à son droit.

Sitôt qu'on peut désobéir impunément, on lepeut légitimement".

Le droit du plus fort reviendra toujours à celui qui sera plus fort ! Et celui qui le revendiquerait leperdrait avec la force qui en viendrait à lui faire défaut.

Ce qui prouve donc bien que la notion de droit n'apporterien à la notion de force.

On est ainsi reconduit à la distinction de départ entre l'ordre du droit, qui est celui del'obligation, du devoir et de l'obéissance d'une part, et l'ordre des faits qui est celui du règne de la nécessité.Notons que Pascal pensait autrement.

Dans les Pensées (section V de l'édition Léon Brunschvicg), il dit « Justice,force.

- Il est juste que ce qui est juste soit suivi; il est nécessaire que ce qui est le plus fort soit suivi.

La justicesans la force est impuissante; la force sans la justice est tyrannique.

La justice sans force est contredite, parcequ'il y a toujours des méchants; la force sans la justice est accusée.

Il faut donc mettre ensemble la, justice et laforce; et pour cela) faire que ce qui est juste soit fort, ou que ce qui est fort soit juste.

- La justice est sujette àdispute, la force est très reconnaissable et sans dispute.

Ainsi on n'a pu donner la force à la justice, parce que laforce a contredit la justice et a dit que c'était elle qui était juste.

Et ainsi ne pouvant faire que ce qui est juste fûtfort, on a fait que ce qui est fort fût juste (298).

- Ne pouvant fortifier la justice, on a justifié la force, afin que lejuste et le fort fussent ensemble, et que la paix fût, qui est le souverain bien (299).

» Point de vue de sceptique, oude chrétien qui ne croit pas que les hommes soient capables de connaître la justice.

Alors comme il faut de l'ordre,cet ordre doit être basé sur les rapports de force.

Mais il faut aussi que le peuple croie que cette force, qui luicommande, est juste.

« Il est dangereux de dire au peuple que les lois (fondées sur la force) ne sont pas justes, caril n'y obéit qu'à cause qu'il les croit justes.

» (326) Lui dira-t-on, au contraire, « qu'il y faut obéir parce qu'elles sontlois, comme il faut obéir aux supérieurs, non parce qu'ils sont justes, mais parce qu'ils sont supérieurs »? (326) «Mais le peuple n'est pas susceptible de cette doctrine.

Il croit que la vérité (quant à la justice) se peut trouver,etc.

» (325).

Pour Pascal, en somme, Rousseau serait un de ces demi-savants qui croient pouvoir découvrir cequ'est la justice humaine; il s'écarte du peuple ignorant et naïf, qui croit que la force est juste, que les lois établiespar la force sont justes, en raison de leur ancienneté, par l'effet de la coutume, ou parce qu'elles lui inspirent unsentiment à la fois de crainte et d'aveugle vénération.

Mais il ne s'élève pas au point de vue du chrétien ; celui-ci,sachant qu'il ne lui est pas possible de connaître ce qu'est la justice dans le monde des hommes, se contented'obéir aux lois parce qu'elles sont les lois, et que Dieu l'a voulu ainsi.« Toute puissance vient de Dieu, je l'avoue,répond Rousseau, mais toute maladie en vient aussi.

Est-ce à dire qu'il soit défendu d'appeler le médecin? » Aprèstout, « le pistolet que tient le brigand est aussi une puissance».Tout à fait dans le sens de Rousseau est le texte suivant, de Montesquieu « Le crime de lèse-majesté n'est autrechose, selon eux, que le crime que le plus faible commet contre le plus fort en lui désobéissant, de quelque manièrequ'il lui désobéisse.

Aussi le peuple d'Angleterre qui se trouva le plus fort contre un de leurs rois déclara-t-il quec'était un crime de lèse-majesté à un prince de faire la guerre à ses sujets.

Ils ont donc grande raison quand ilsdisent que le précepte de leur Alcoran qui ordonne de se soumettre aux puissances n'est pas bien difficile à suivrepuisqu'il leur est impossible de ne le pas observer (à rapprocher de la phrase de Rousseau, « obéissez auxpuissances...

a); d'autant que ce n'est pas au plus vertueux qu'on les oblige de se soumettre, mais à celui qui est leplus fort.

Les Anglais disaient qu'un de leurs rois, ayant vaincu et fait prisonnier un prince qui lui disputait lacouronne, voulut lui reprocher son infidélité et sa perfidie.

e Il n'y a qu'un moment, dit le prince infortuné, qu'il vientd'être décidé lequel de nous deux est le traître.

» (Lettres persanes, lettre CIV.). »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles