Devoir de Philosophie

Jacques RIGAUD, Le Futur du Passé.

Publié le 17/01/2022

Extrait du document


Parce que l'architecture, qu'elle soit de pierre, de verre, d'acier ou de béton, s'exprime par une matière qui résiste, parce qu'il n'est au pouvoir d'aucune théorie de la libérer tout à fait des lois de la pesanteur, parce qu'elle n'est pas geste gratuit et irresponsable, mais nécessité de vie, parce qu'enfin elle est faite pour durer et affronter le temps, elle place l'homme devant de vraies contraintes et l'oblige donc à réinventer sans cesse sa liberté. De ce fait, elle nous fournit peut-être le meilleur terrain de réflexion et d'expérience pour analyser les causes du malaise de notre temps au sujet du passé, et pour trouver les moyens de l'intégrer dans le futur, d'entrer dans l'avenir plus résolument parce qu'effectivement réconciliés avec le passé. On peut, impunément, mettre en pièces Le Cid, la Tétralogie ou la philosophie kantienne parce que ces oeuvres résistent à toute agression, tant qu'elles subsisteront dans la mémoire d'un seul homme. Mais la cathédrale de Chartres, il faut ou la détruire ou vivre avec elle. On n'échappe pas, en face d'elle, à une responsabilité.
Ainsi le patrimoine architectural nous oblige-t-il à une confrontation sans tricherie ni complaisance avec le passé. Il apparaît, alors, non seulement comme un refuge, mais comme un exemple et un défi.
Le patrimoine architectural est certainement, en premier lieu, un refuge pour la culture. Osons le reconnaître : nous avons besoin de lui, comme protection et comme référence.
De toutes les richesses du patrimoine, l'architecture est, par définition, le plus visible et la plus directement accessible au plus grand nombre. Si le premier objectif du développement culturel est, selon l'expression d'André Malraux, de « rendre accessibles les oeuvres capitales de l'humanité au plus grand nombre possible de Français, et d'assurer la plus vaste audience à notre patrimoine culturel «, il est vrai que le patrimoine monumental est par lui-même le lieu de la pédagogie la plus claire et la plus directement assimilable. Le musée, le théâtre, la littérature, peuvent intimider un public non préparé, au lieu que le monument, le quartier ancien, par leur seule présence, s'imposent ; leur majesté même est familière. Michelet et Ruskin ont assez dit quels enseignements apportait au peuple la bible de pierre des cathédrales. C'est toute l'architecture qui, aujourd'hui, se fait langage.
Mais il ne faudrait pas en conclure qu'elle exerce sa mission par sa seule présence au milieu de nous, aux multiples carrefours de nos existences quotidiennes et de nos loisirs. Il s'agit d'un capital qu'il faut inlassablement maintenir et faire fructifier.
D'abord le maintenir. C'est une tâche immense, herculéenne, qui dans certains cas prend la forme d'un sauvetage spectaculaire et prestigieux, mais plus souvent revêt l'aspect d'un labeur modeste de tous les instants.
Mais il ne suffit pas de préserver l'intégrité matérielle des bâtiments. Le rayonnement culturel dépend de leur emploi : l'architecture n'est que le support minéral de la vie. A cet égard, des efforts considérables ont été accomplis, dont on peut dire que, dans les vingt dernières années, ils ont davantage transformé le visage et l'usage du patrimoine que dans les cent années qui ont précédé. Une sorte de malédiction a longtemps pesé sur ces châteaux, ces abbayes, ces hôtels, vestiges de puissances révolues dont une société égalitaire et républicaine ne savait trop que faire, sauf des préfectures dans le temps de gestion, et des brasiers en temps d'émeute. Dans ce patrimoine délaissé, quelques fleurons échappaient seuls à la disgrâce générale. Aujourd'hui, on a compris qu'il était à la fois nécessaire et possible de leur redonner vie.
Certains monuments, les plus vastes et les plus notoires, ne peuvent avoir que valeur d'illustration historique, mais complète et vivante. On les rétablit dans un état aussi proche que possible de ce qu'il était, notamment au point de vue du mobilier et de la décoration, à l'un des moments significatifs de leur existence — c'est le cas, bien sûr, de Versailles, dont l'oeuvre immense de restauration est exemplaire — ou l'on en fait les témoins synthétiques d'une époque ou d'une tradition — et l'on doit évoquer ici, entre autres, les projets du musée de la chasse à Chambord et de la Renaissance à Écouen.
L'un des mérites de notre époque aura été, d'autre part, de concevoir une politique de restauration et d'animation de quartiers anciens, considérés dans leur unité architecturale et historique ; c'est l'objet des « secteurs sauvegardés «, dont maints exemples, comme Sarlat, Colmar, Chartres et le Marais, montrent qu'il ne s'agit pas d'y créer une vue artificielle, mais une animation réelle, diversifiée.


Jacques RIGAUD, Le Futur du Passé.


1. Résumez de texte en 200 mots environ (une marge de 10 % en plus ou en moins est admise). Vous indiquerez à la fin de votre résumé le nombre de mots employés.
2. Expliquez de façon concise les mots et expressions suivantes :
a) geste gratuit ;
b) herculéenne.

Liens utiles