Jeanne Duval

1822-après 1867

Jeanne Duval naquit sans doute à Saint-Domingue, et elle avait probablement le même âge que Baudelaire. Le certain, c'est qu'elle lui survécut. Actrice infime, dans ces petits théâtres qui étaient les “ caf' conç ” de l'époque, il semble que, lorsque le poète la rencontre, elle n'est plus qu'une fille galante. Cette mulâtresse concrétise pour lui la Vénus noire et, parsemée de ruptures et de raccommodements, leur liaison, ou plutôt leur “ haine amoureuse ”, durera vingt ans (1842-1862). Mais jusqu'en son agonie Baudelaire recevra d'elle les plus sordides demandes d'argent. A vrai dire, elle avait, par deux fois vendu pour lui ses meubles et ses bijoux. Si méprisable, au surplus, qu'ait pu être Jeanne, était-il, lui sans reproche ? “ Je me suis amusé à martyriser et j'ai été martyrisé à mon tour ”, avoue-t-il en 1856 — et cela ouvre d'assez infernales perspectives. Aussi se montre-t-il secourable quand la maladie accable Jeanne : en 1853 d'abord, puis en 1859, où elle est atteinte d'hémiplégie (lui-même mourra hémiplégique en 1867). Vicieuse, ivrognesse et menteuse, Jeanne Duval est, au double sens du mot, sa passion. Passion néfaste et féconde, qui a inspiré les Bijoux, la Chevelure, Je t'adore à l'égal de la voûte nocturne, Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, le Vampire, le Léthé, les Yeux de Berthe... Le “ cycle de Jeanne Duval ” représente plus de vingt pièces des Fleurs. Enigme (l'orgueil mâle s'obstine à voir là une énigme) : cette Jeanne, que Baudelaire trouve “ belle ”, tous les autres lui dénient talent, esprit, cœur et même beauté ; on devine ce qui lui restait ; mais, un pessimiste l'a dit, les liens les plus bas sont aussi les plus forts. Et l'esprit souffle où il veut.