La charrue contre le sabre Charles PÉGUY
Publié le 24/03/2020
Extrait du document
La charrue contre le sabre
Charles PÉGUY
1873 - 1914
Mystère de la charité de Jeanne d’Arc (1910)
Jeannette vient de donner «tout le pain de son père» à deux petits mendiants. Torturée par la pensée qu’ils auront encore faim demain, elle médite sur les malheurs que la guerre a causés sur la terre de France.
Jeannette
— Leur père a été tué par les Bourguignons. Hélas, hélas, ce n’est pas même par les Anglais. On n’a pas besoin des Anglais. Pour massacrer les Français. Leur mère, hélas leur mère. Tous les deux ils ont échappé ils ne savent pas comment. Ils ne le sauront jamais. C’est le plus vieux qui m’a dit tout ça, quand il a eu fini de manger. Avant de repartir.
Un silence bref.
Les voilà repartis sur la route affameuse. Dans la poussière, dans la boue, dans la faim. Dans l’avenir, dans la détresse, dans l’anxiété de l’avenir. Qui leur donnera, mon Dieu qui leur donnera le pain de chaque jour. Mais au contraire ils marcheront dans la détresse et dans la faim de chaque jour. Ils pleuraient encore en riant. Et ils riaient en pleurant, comme un rayon de soleil tout à travers leurs larmes. Leurs grosses larmes oubliées glissaient et tombaient sur leur pain. C’était comme les dernières gouttes de pluie quand le soleil est revenu. Ils mangeaient sur leur pain, tartinées, le reste de leurs larmes. Qu’importent nos efforts d’un jour ? qu’importent nos charités ? Je ne peux pourtant pas donner toujours. Je ne peux pas donner tout. Je ne peux pas donner à tout le monde. Je ne peux pourtant pas faire manger aux passants tout le pain de mon père. Et même alors, est-ce que ça paraîtrait? dans la masse des affamés. Elle cesse insensiblement de filer. Pour un blessé que nous soignons par hasard, pour un enfant à qui nous donnons à manger, la guerre infatigable en fait par centaines, elle, et tous les jours, des blessés, des malades et des abandonnés. Tous nos efforts sont vains ; nos charités sont vaines. La guerre est la plus forte à faire la souffrance. Ah ! maudite soit-elle ! et maudits ceux qui l’ont apportée sur la terre de France.
«
L'HOMME ENGAGÉ 1
Elle s'est complètement arrêtée de filer.
Un silence.
Nous aurons beau faire, nous aurons beau faire, ils iront toujours
30 plus vite que nous, ils en feront toujours plus que nous, davantage que
nous.
Il ne faut
qu'un briquet pour brûler une ferme.
Il faut, il a fallu
des années
pour la bâtir.
Ça n'est pas difficile; ça n'est pas malin.
Il faut
des mois et des mois,
il a fallu du travail et du travail pour pousser une
moisson.
Et il ne faut qu'un briquet pour flamber une moisson.
Il faut
35 des années et des années pour faire pousser un homme, il a fallu du
pain et du pain pour le nourrir, et du travail et du travail et des travaux
et des travaux de toutes sortes.
Et il suffit d'un coup pour tuer un
homme.
Un coup de sabre, et ça y est.
Pour faire un bon chrétien il
faut que la charrue ait travaillé vingt ans.
Pour défaire un chrétien il
40 faut que le sabre travaille une minute.
C'est toujours comme ça.
C'est
dans
le genre de la charrue de travailler vingt ans.
C'est dans le genre
du sabre de travailler une minute; et d'en faire plus; d'être le plus fort.
D'en finir.
Alors nous autres nous serons toujours les moins forts.
Nous irons toujours moins vite, nous en ferons toujours moins.
Nous
45 sommes le parti de ceux qui construisent.
Ils sont le parti de ceux qui
démolissent.
Nous sommes
le parti de la charrue.
Ils sont le parti du
sabre.
Nous serons toujours battus.
Ils auront toujours le dessus dessus
nous, par-dessus nous.
Nous aurons beau dire.
(~A quels indices peut-on supposer l'âge et la condition sociale de Jeannette ainsi que
i t1
époque à laquelle se situe la scène?
l • Relevez en les classant les pronoms personnels sujets à partir de la ligne 16.
Justi-
! fiez leur emploi.
i ' 1 • quels procédés rhétoriques identifiez-vous, lignes 29 à 38? Précisez leur fonction
1 ~rgumentative.
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140.
»
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