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La condition ouvrière et la mécanisation Jean GIONO

Publié le 25/03/2020

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La condition ouvrière et la mécanisation

Jean GIONO 1895 - 1970 Le Poids du ciel (1949)

Ce texte a été écrit en 1938, quand la mécanisation n'a pas encore atteint les profondeurs de la France rurale.

Actuellement, l'ouvrier qui travaille suivant des procédés techniques est l'esclave total du patronat ou du gouvernement qui a remplacé le patronat. Il n'a même pas la liberté de son travail. On emploie vingt hommes différents pour découper, battre, rouler et souder une boîte de fer-blanc. Et ces vingt hommes n'ont même pas de contact avec le fer-blanc; ils ne savent faire que les gestes nécessaires pour décider une machine à agir à leur place. À côté de la prodigieuse habileté naturelle d'un habitant des forêts de l'Amazone, équilibrant avec le polissage de ses doigts le bois d'une flèche de sarbacane, ces ouvriers sont de grossiers sauvages. On ne peut même pas dire que ce travail machinal les ait abêtis; quelle gloire il leur resterait s'ils pouvaient encore avoir des réflexes de bêtes? Non, ce travail machinal les a dénaturés, privés de leur nature. Ils ne s'en aperçoivent pas encore, mais le monde ne sait déjà plus que faire de tels hommes. Hors de l'usine, à trois mètres de leur machine, ce sont des êtres parfaitement inutiles. Si quelque catastrophe les privait de leurs béquilles techniques, ils mourraient de faim sans pouvoir assurer leur vie sur un monde fait pour la leur assurer. Ce sont des ouvriers modernes tels que la civilisation les a dénaturés et asservis. Elle prétend supprimer la peine des hommes. Jusqu'à quel point sont-ils sincères, ceux qui le prétendent? Car la technique supprime la diversité du travail de l'homme; elle supprime le problème, elle supprime le jeu. Elle transforme le travail en besogne; elle augmente le malheur intérieur des hommes qui sont astreints à ces besognes d'où toutes possibilités d'intérêt ou de joie ont été supprimées. Civilisation de l'artifice, ayant un absolu besoin de gouvernements d'artifice, la civilisation technique ne peut exister sans politique; l'esclave technique est un magnifique instrument de politique. Il est assez asservi pour n'avoir plus de réaction propre, il est assez malheureux pour avoir constamment le dynamisme de la révolte; il est facile...

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« l 1, r SCIENCES ET CIVILISATION 3 a à agglomérer; conscient d'avoir perdu ses qualités individuelles, il aime le troupeau, il aime obéir.

On ne peut pas savoir le degré de sincérité de Ceux qui prétendent que la technique supprime la peine des hommes; ils poussent à toutes les révoltes, sauf à celle contre la tech­ nique; ils ouvrent de temps en temps des portes dans les prisons 35 ouvrières, mais toutes ces portes aboutissent à des nasses, à de solides filets de pêcheurs qui font la poche devant ces portes ouvertes, et les ouvriers ne peuvent jamais vraiment sortir.

Louvrier est l'état le plus malheureux de l'homme; il est plus bas que l'état de misère physiolo­ gique; c'est l'homme devenu matière première.

Il est incapable d'agir, 4 a on le fait agir.

Il n'y a pas de civilisation ouvrière; il y a une civilisation bâtie et qui continue à s'élever sur l'esclavage total de l'ouvrier; bâtie par d'autres que l'ouvrier, jamais pour des fins ouvrières.

C'est un état si malheureux qu'il n'a pas d'amis.

On n'aime pas une carrière de marbre, un puits de pétrole, une mine de charbon: on l'exploite.

4 5 Il y a cependant un moment de l'ouvrier où le paysan l'aime sou- dain et le fait sien au fond de son coeur.

C'est quand l'ouvrier lui montre que lui aussi sait faire avec ses mains une oeuvre indispensable, c'est-à-dire quand l'ouvrier s'élève au-dessus de sa condition ouvrière et devient un artisan; quand il abandonne la masse technique pour abor- 5o der individuellement le problème de l'existence.

Le Poids du ciel © Éd.

Gallimard .

.'; X qui s'adressent les critiques de Giono? Dans quelle phrase peut-on le lire? • �elevez et classez les conséquences que le travail industriel entraîne pour l'ouvrier. • Giono emploie plusieurs fois l'expression « l'état de l'ouvrier» (1.

37, 42).

Donnez le de cette expression.

Quelle différence faites-vous entre « l'état de l'ouvrier» et condition humaine»? >- Groupement de textes : voir 99-102.

181. »

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