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La conscience comme intériorité

Publié le 25/07/2010

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conscience

"Le besoin général et absolu, auquel répond l'art, tire son origine du fait que l'homme est un être doué de conscience et qui pense, c'est-à-dire que, de ce qu'il est, quel que soit sa façon d'être, il fait un être pour soi. Les choses de la nature n'existent qu'immédiatement et d'une seule façon, tandis que l'homme, parce qu'il est esprit, a une double existence ; il existe d'une part au même titre que les choses de la nature, mais d'autre part il existe aussi pour soi, il se contemple, se représente à lui-même, se pense et n'est esprit que par cette activité qui constitue un être pour soi. Cette conscience de soi, l'homme l'acquiert de deux manières : Primo, théoriquement, parce qu'il doit se pencher sur lui-même pour prendre conscience de tous les mouvements, replis et penchants du coeur humain et d'une façon générale se contempler, se représenter ce que la pensée peut lui assigner comme essence, enfin se reconnaître exclusivement aussi bien dans ce qu'il tire de son propre fond que dans les données qu'il reçoit de l'extérieur. Deuxièmement, l'homme se constitue pour soi par son activité pratique, parce qu'il est poussé à se trouver lui-même, à se reconnaître lui-même dans ce qui s'offre à lui extérieurement. Il y parvient en changeant les choses extérieures, qu'il marque du sceau de son intériorité et dans lesquelles il ne retrouve que ses propres déterminations. L'homme agit ainsi, de par sa liberté de sujet, pour ôter au monde extérieur son caractère farouchement étranger et pour ne jouir des choses que parce qu'il y retrouve une forme extérieure de sa propre réalité. Ce besoin de modifier les choses extérieures est déjà inscrit dans les premiers penchants de l'enfant ; le petit garçon qui jette les pierres dans le torrent et admire les ronds qui se forment dans l'eau, admire en fait une oeuvre où il bénéficie du spectacle de sa propre activité.  Ce besoin revêt des formes multiples, jusqu'à ce qu'il arrive à cette manière de se manifester soi-même dans les choses extérieures, que l'on trouve dans l'oeuvre artistique. Mais les choses extérieures ne sont pas les seules que l'homme traite ainsi ; il en use pareillement avec lui-même; avec son propre corps, qu'il change volontairement, au lieu de le laisser dans l'état où il le trouve. Là est le motif de toutes les parures, de toutes les élégances, fussent-elles barbares, contraires au goût, enlaidissantes, voire dangereuses, telles que le traitement que les Chinoises font subir à leurs pieds ou les incisions des oreilles ou des lèvres. C'est seulement chez l'homme civilisé que les changements de forme, de comportement et de tous les autres aspects extérieurs procèdent d'une culture spirituelle."    Hegel, Leçons sur l'esthétique (1818-1829), Tome I.    "On me demande fréquemment si nous pourrons avoir accès aux expériences mentales d'autrui lorsque nous serons parvenus à une meilleure connaissance des phénomènes conscients. J'ai toujours répondu par la négative, et cette réponse n'a pas changé. Cela peut paraître surprenant au premier abord, étant donné la rapidité des progrès de la neurobiologie. Il me semble cependant qu'aucune connaissance, si précise soit-elle, des mécanismes biologiques sous-tendant les images mentales ne permettra à celui qui dispose de ce savoir de faire lui-même l'expérience d'aucune image mentale présente dans l'esprit de l'organisme qui l'a créé.  Supposons que dans un futur relativement proche un nouveau scanner très perfectionné vous permette de scanner à un degré inédit de profondeur mon cerveau au moment où je suis en train de contempler la baie de San Francisco. Nous sommes bien tous là : vous, moi, cet étonnant scanner et la baie de San Francisco. Le scanner serait capable d'explorer non seulement le niveau d'activité actuellement disponible (c'est-à-dire les systèmes que l'on dit à grande échelle), mais d'autres niveaux situés bien plus profond. Supposons que vous puissiez scanner les rétines, les noyaux géniculaires latéraux et l'intégralité des cortex visuels, séparément et à différents moments, tandis que je bâtis l'image visuelle du spectacle qui m'est présenté. Supposons de plus que le scanner nous permette d'explorer les différentes strates de cellules qui composent les cortex cérébraux et les noyaux subcorticaux ; supposons que la résolution spatiale soit tellement bonne que vous puissiez voir clairement les configurations d'activité neurale correspondant aux éléments du panorama extérieur que nous pouvons, vous et moi, observer. Supposons enfin, afin de pousser encore plus loin ce scénario de science-fiction sans pour autant dépasser les limites du plausible, que votre scanner vous fournisse une description des phénomènes physiques et chimiques afférents aux configurations d'activité neurale que vous pouvez détecter au sein de mes différents ensembles neuraux.  À l'aide des données ainsi obtenues et des capacités d'analyse non moins développées d'ordinateurs chargés d'interpréter ces multiples données, il se peut que vous obteniez un remarquable ensemble de corrélats des contenus de l'image mentale que j'ai formée. Mais vous n'aurez en rien obtenu quelque chose qui se rapproche de mon expérience de cette image. Tout débat portant sur la neurobiologie de la conscience et de l'esprit se doit de clarifier ce point. Nous pouvons vous et moi être confrontés au même paysage, mais l'expérience que nous en ferons chacun reflètera notre propre perspective personnelle. Chacun de nous aura un sentiment distinct de ce qu'il possède en propre et du champ d'action qui lui est ouvert. Lorsque vous regardez l'ensemble des configurations d'activité cérébrale propres à ma contemplation de la baie de San Francisco, vous faites personnellement l'expérience de ces données neurales, mais vous n'avez pas accès à mon expérience de la baie de San Francisco. Vous faites l'expérience de quelque chose qui est très proche de ma contemplation de la baie, mais qui porte sur autre chose. Vous ne voyez pas ce que je vois quand vous examinez mon activité cérébrale ; vous voyez une partie de mon activité cérébrale au moment où je vois ce que je vois".    Antonio R. Damasio, Le sentiment même de soi, 1999, trad. Fr. C. Larsonneur et C. Tiercelin, pp. 388-389.

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