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La Côte d'Ivoire se rallie au nouveau régime militaire

Publié le 17/01/2022

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24 décembre 1999 Lâché par son armée, son gouvernement, son peuple et ses amis français qui n'ont rien pu faire pour lui, le président ivoirien Henri Konan Bédié a quitté, dimanche 26 décembre, l'aéroport d'Abidjan, dans l'indifférence générale, à bord d'un hélicoptère militaire français. Direction Lomé au Togo, chez le général Gnassingbé Eyadéma, dernière étape avant la France et un exil inévitable. Vêtu d'un costume beige, l'air hagard, Henri Konan Bédié et une douzaine de ses proches, dont son épouse Henriette et ses deux fils, Patrick et Jean-Luc, ont été conduits à leur arrivée dans le plus luxueux des hôtels de la ville, après un entretien de près d'une heure avec le président Eyadéma. La suite importe peu pour le moment aux Ivoiriens. Plus tard, peut-être, lui demanderont-ils des comptes, mais, pour l'instant ils semblent prêts à se conformer aux ordres des militaires : se remettre au travail et vite, après un Noël qu'ils ne sont pas près d'oublier. SONNETTE D'ALARME Depuis les premières rafales d'armes automatiques, jeudi matin, que beaucoup avaient prises d'abord pour les traditionnels pétards de fin d'année, jusqu'au départ du président déchu, rien ni personne ne s'est opposé à la chute de M. Bédié et à l'installation d'un régime militaire, dirigé par le général Robert Gueï et son "Conseil national de salut public" (CNSP). Le président n'avait plus le soutien des Ivoiriens qui l'avaient élu, en 1995, en l'absence d'autre candidat crédible, les deux principaux partis d'opposition, le Front populaire ivoirien (FPI) du socialiste Laurent Gbagbo et le Rassemblement des républicains (RDR) d'Alassane Ouattara ayant appelé à un "boycottage actif du scrutin". Accusé de corruption, de népotisme, de dérive autoritaire, M. Bédié était de plus en plus contesté. Il en avait été prévenu par certains de ses collaborateurs, qui avaient tiré en vain la sonnette d'alarme. Sourd à ces avertissements comme aux manifestations de rues qui se multipliaient, il n'a pas senti le danger venir. Jeudi, quand les premiers soldats investissent la ville pour réclamer une amélioration de leurs conditions de vie, il croit, comme ses ministres, que la mutinerie s'achèvera par quelques concessions financières. Vendredi matin, alors que les mutins ont appelé à la rescousse le général Robert Gueï, ancien chef d'état-major, il se permet encore de les faire patienter. "Le président a examiné leurs revendications. Il s'est dit prêt à les revoir", explique le ministre de la défense, Vincent Bandama N'Gatta qui, aidé par le premier ministre, Daniel Kablan Duncan, a commencé à négocier avec eux. Moins de deux heures plus tard, le général Gueï annonce la destitution du chef de l'Etat et la création du CNSP. Réfugié à la résidence de l'ambassadeur de France puis transféré sur la base du 43e bataillon français d'infanterie de marine, le président croit toujours pouvoir reprendre la situation en main. Il lance un premier appel sur les ondes de Radio- France internationale (RFI). En vain, il tente d'obtenir le soutien de "forces loyalistes ". Il compte sur une intervention de la gendarmerie, ce corps d'élite qu'il a choyé et dont la haute hiérarchie, noyautée par des hommes de son ethnie, des Baoulés, lui paraît loyale. Jusqu'à samedi, alors que tous les autres corps d'armée ont rallié les mutins, la gendarmerie reste hésitante. "Pour le moment, nous attendons. Nous n'avons reçu aucun ordre de nos supérieurs", indiquent les chefs d'escadron. Mais, dans l'après-midi, le dernier espoir du président s'écroule. La gendarmerie annonce son ralliement au général Gueï et se déploie en ville pour remettre un peu d'ordre après une première nuit de couvre- feu marquée par de nombreux pillages. Le général Gueï engage alors de longues négociations avec l'ambassadeur de France, Francis Lott, pour organiser le départ du chef de l'Etat déchu. Les discussions achoppent sur le sort des deux membres du gouvernement qui l'accompagnent, Daniel Kablan Duncan, le premier ministre, et Vincent Bandama N'Gatta, le ministre de la défense. Pas question pour le général de laisser partir ces deux hommes et de prendre le risque de la constitution d'un gouvernement en exil. "Nous avons besoin d'eux pour la passation de service", explique le général. L'EFFONDREMENT DU PDCI L'attente du départ dure des heures. "L'idéal serait qu'il reste pour qu'on le juge, qu'il soit courageux et réponde de ses actes", reconnaît le général Gueï. Mais il sait qu'il ne peut pas trop en demander. Immédiatement condamné par la France, il ne peut compromettre la réussite du coup d'Etat en ne répondant pas favorablement à la requête de Paris : laisser partir le président renversé. La tension remonte brusquement, samedi soir, lorsque la France, liée à la Côte d'Ivoire par des accords de défense, annonce l'envoi à Dakar de 300 hommes du régiment étranger de parachutistes de Solenzara (Corse), et l'arrivée d'une quarantaine de soldats basés à Libreville. Officiellement, ils sont là pour procéder à une éventuelle évacuation des quelque 20 000 Français de Côte d'Ivoire. La mise en place de ce dispositif met le général Gueï en colère. "Si les Français interviennent, ce sera un bain de sang !", menace-t-il. Dans la communauté française souffle un vent de panique. Et surtout d'incompréhension. "Mais qu'est ce qu'ils foutent à Paris. On n'a pas besoin d'être évacués ! Il ne faut surtout pas que les militaires français bougent !", s'exclame un père de famille, qui passe sa retraite à Abidjan, où il a toujours vécu avec ses enfants et petits -enfants. Les connaisseurs de la Côte d'Ivoire sont bien plus inquiets des mouvements des troupes françaises que de l'arrivée des militaires au pouvoir. Le suspense dure jusqu'à 13 h 02 , dimanche, quand l'hélicoptère venu de Libreville, dans la nuit de samedi, repart avec, à son bord, le président Bédié. Le coup d'Etat a réussi. Sans effusion de sang. En quatre jours, les militaires ivoiriens ont mis à bas un système vieux de quarante ans. L'édifice central, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI, l'ancien parti unique), fondé par le président Félix Houphouët-Boigny, s'est effondré brutalement. Privé de ses éléments réformateurs qui, pour la plupart, ont déjà rejoint le RDR, le parti de M. Ouattara, le PDCI a rapidement annoncé son ralliement aux militaires. Ces derniers n'ont pas suspendu les activités des partis politiques et devaient engager des discussions avec eux dès lundi après-midi. Laurent Gbagbo, le patron du FPI, à Libreville au moment du coup, est rentré dimanche à Abidjan . Quant à Alassane Ouattara, qui compte de nombreux amis au sein du CNSP, il est attendu mercredi dans son pays en provenance de Paris. Une revanche pour l'ancien premier ministre de Félix Houphouët-Boigny, contre qui M. Bédié avait mené une guerre politico-judiciaire sans merci dans le seul but de lui interdire de briguer la présidence lors du prochain scrutin d'octobre 2000. Le nouveau pouvoir n'a pas détaillé le calendrier de la transition. Le CNSP, qui s'est d'abord préoccupé de rétablir l'ordre public, avec succès, a gagné son premier pari, en suscitant en moins de quatre jours l'espoir d'un changement radical, attendu impatiemment par la majorité des Ivoiriens. FABIENNE POMPEY Le Monde du 28 décembre 1999

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