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La France. Michelet

Publié le 21/05/2011

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La nationalité, la patrie, c'est toujours la vie du monde. Elle morte, tout serait mort. Demandez plutôt au peuple, il le sent, il vous le dira. Demandez à la science, à l'histoire, à l'expérience du genre humain. Ces deux grandes voix sont d'accord. Deux voix? Non, deux réalités, ce qui est et ce qui fut, contre la vaine abstraction.

J'avais là-dessus mon coeur et l'histoire; j'étais ferme sur ce rocher; je n'avais besoin de personne pour me confirmer ma foi. Mais j'ai été dans les foules, j'ai interrogé le peuple, jeunes et vieux, petits et grands. Je les ai entendus tous témoigner pour la patrie. C'est là la fibre vivante qui chez eux meurt la dernière. Je l'ai trouvée dans des morts.... J'ai été dans les cimetières qu'on appelle des prisons, des bagnes, et là j'ai ouvert des hommes; eh bien! dans ces hommes morts, où la poitrine était vide, devinez ce que je trouvais...? la France encore, dernière étincelle par laquelle peut-être on les aurait fait revivre. Ne dites pas, je vous prie, que ce ne soit rien du tout que d'être né dans le pays qu'entourent les Pyrénées, les Alpes, le Rhin, l'Océan. Prenez le plus pauvre homme, mal vêtu et affamé, celui que vous croyez uniquement occupé des besoins matériels. Il vous dira que c'est un patrimoine que de participer à cette gloire immense, à cette légende unique qui fait l'entretien du monde. Il sait bien que s'il allait au dernier désert du globe, sous l'équateur, sous les pôles, il trouverait là. Napoléon, nos armées, notre grande histoire, pour le couvrir et le protéger, que les enfants viendraient à lui, que les vieillards se tairaient et le prieraient de parler, qu'à l'entendre seulement nommer ces noms ils baiseraient ses vêtements. Pour nous, quoi qu'il advienne de nous, pauvre ou riche, heureux, malheureux, vivant, et par delà la mort, nous remercierons toujours Dieu de nous avoir donné cette grande patrie, la France. Et cela, non pas seulement à cause de tant de choses glorieuses qu'elle a faites, mais surtout parce qu'en elle, nous trouvons à la fois le représentant des libertés du monde et le pays sympathique entre tous, l'initiation à l'amour universel. Ce dernier trait est si fort en la France, que souvent elle s'en est oubliée. Il nous faut aujourd'hui la rappeler à elle-même, la prier d'aimer toutes les nations moins que soi. Sans doute, tout grand peuple représente une idée importante au genre humain. Mais que cela, grand Dieu, est bien plus vrai de la France! Supposez un moment qu'elle s'éclipse, qu'elle finisse, le lien sympathique du monde est relâché, dissous, et probablement détruit. Lamour qui fait la vie du globe en serait atteint en ce qu'il a de plus vivant. La terre entrerait dans l'âge glacé où déjà tout près de nous sont arrivés d'autres globes.

(MICHELET, le Peuple, Ille partie, ch. iv, Calmann-Lévy, éditeurs.)

QUESTIONS D'EXAMEN

I. — L'ensemble. — Nature du morceau : un plaidoyer (défense de l'idée de nationalité). — 1° Quelles circonstances ont déterminé Michelet à prendre la défense de l'idée de nationalité ? (Le Peuple, ouvrage d'où est tirée cette page, fut publié en 1846, à une époque où les idées socialistes et humanitaires tendaient à ruiner l'idée de nationalité, l'idée de patrie...) ; — 2° Exprimez l'idée générale du morceau. (La nationalité, la patrie, c'est toujours la vie du monde. Elle morte, tout serait mort.... Nous devons remercier Dieu de nous avoir donné cette grande patrie, la France...); 3° Indiquez quelques-unes des idées (ici, ces idées sont des preuves) qui concourent à. justifier l'idée générale; 4° Cette belle page ne vous plaît-elle que par le fond? (l'éloquence, la poésie du style...) ; 20 Essayez de dire pourquoi vous aimez à la lire. II. — L'analyse du morceau. — 5° Distinguez les différentes parties du morceau : a) défense de l'idée de nationalité en général; b) défense de l'idée de nationalité appliquée à la France; e) conclusion; 2° Les preuves invoquées par Michelet sont-elles toutes de même nature? (Les unes tirées de l'instinct : le peuple le sent; j'avais là-dessus mon coeur..., — (les autres tirées de l'expérience : demandez à la science, à l'histoire, à l'expérience du genre humain...; j'avais là-dessus l'histoire...; j'ai interrogé le peuple...) ; 3° Quelle idée essentielle exprime l'historien dans la conclusion? (la France, pays de la fraternité universelle, son existence est nécessaire à la vie des peuples...) ; 4° Indiquez le sens de l'expression : contre la vaine abstraction, — et dites à quelle autre expression elle est opposée (par la vaine abstraction, Michelet flétrit les théories internationales, dangereuses pour l'idée de patrie; à la vaine abstraction, il oppose les deux réalités dont il a parlé précédemment. — A développer). III. — Le style; — les expressions. — 1° Montrez que l'allure générale du morceau est l'allure oratoire (Michelet est vivement convaincu d'une vérité qui lui tient au coeur; il la démontre avec une logique pressante, vigoureuse et passionnée : Demandez au peuple...; demandez à la science...; ne dites pas...; Supposez un moment...); 2° Michelet, dans cette page, n'est-il pas encore plus poète qu'orateur? (Faire remarquer qu'il transforme l'abstrait en concret, et la pensée en sensation; « La patrie est chez eux la fibre vivante, qui meurt la dernière. Je l'ai trouvée dans les morts.... « Les prisons et les bagnes sont pour lui des cimetières; il y a ouvert des hommes...) ; 3° Montrez que parfois l'auteur exprime ses idées par des visions (si le plus pauvre homme de France allait dans les contrées les plus lointaines, les enfants viendraient à lui; les vieillards se tairaient, baiseraient ses vêtements...); 4° Indiquez la signification des mots patrimoine et initiation (initiation à l'amour universel). IV. — La grammaire. — 1° Citez quelques mots de la même famille que nationalité et patrie; 2° Quels sont les pronoms employés dans le premier alinéa de la lecture? (nature et fonction de chacun d'eux); 3° Distinguez les propositions contenues dans la première phrase du troisième alinéa (Ne dites pas...). — Nature de chacune d'elles. Rédaction. — Si un Français vous disait : « Ma patrie, à moi, c'est l'univers, « que lui répondriez-vous?

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