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La guerre en Méditerranée

Publié le 17/01/2022

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10 juillet 1943 - Sans avoir jamais été un théâtre d'opérations décisif, la Méditerranée n'a cependant jamais cessé d'être au centre des événements qui ont constitué la trame du dernier conflit mondial. On le vit dès 1939, lorsque l'état-major français échafaudait, avec une légèreté et un manque de réalisme que le bon sens a peine à admettre, les projets les plus extravagants pour utiliser l'armée Weygand stationnée en Syrie, constitution d'une tête de pont à Salonique ou bombardement des pétroles du Caucase. On le vit plus encore en 1940, lorsque Mussolini, engagé dans cette guerre qu'il avait déclarée en comptant bien ne pas avoir à la faire, entreprit de mener sa " guerre parallèle " dans les Balkans, aussi incertaine dans ses buts que piteuse dans ses résultats. Une étape nouvelle fut franchie avec l'apparition de la Luftwaffe dans le ciel méditerranéen et l'arrivée de l'Afrika Korps sur la terre d'Afrique. Mais, si les parachutistes allemands s'emparèrent de la Crète, Malte resta aux Anglais. L'état-major britannique avait été bien près de la juger indéfendable, et, de fait, à deux reprises au moins, en 1941 et en 1942, sa situation fut bien précaire. Mais l'Italie manquait de moyens d'attaque, et Hitler n'était pas convaincu de l'intérêt de l'opération. La Méditerranée est alors la grande route des convois, essentielle pour les deux camps. Et, à la fin de 1942, la roue tourne définitivement. Les débarquements anglo-saxons en Afrique du Nord puis en Sicile, la campagne d'Italie, la guérilla balkanique (même dans l'Adriatique), le débarquement de Provence, sont les étapes de la victoire. Les historiens italiens se sont montrés impitoyables pour le régime fasciste son économie et ses finances, pas plus que son armée et sa diplomatie, n'étaient à la mesure de ses ambitions, et la débâcle était inscrite dans les faits. Pour Hitler, il est bien certain que la Méditerranée n'a jamais été, sauf à de rares instants, qu'une préoccupation très secondaire. Ses états-majors, qui ne partageaient pas toujours ce point de vue, lui proposèrent bien à diverses reprises des plans d'opération dans ce secteur, mais il ne se laissa pas distraire de ses perspectives de guerre à l'est, et il n'y intervint que lorsqu'il y fut contraint pour venir en aide à son partenaire. L'historiographie soviétique, elle, insiste surtout, et à juste titre, sur l'interdépendance des fronts dans cette guerre mondiale, et elle revendique pour l'URSS une part importante dans l'effondrement de l'Italie : car, après Stalingrad, qui porte déjà un coup décisif aux forces armées italiennes et au moral du pays, la bataille de Koursk, déclenchée le 5 juillet 1943, c'est-à-dire en même temps, à quelques jours près, que l'invasion de la Sicile, facilita de toute évidence l'action des Anglo-américains. Le rôle de l'Angleterre Mais la première puissance méditerranéenne, c'est bien l'Angleterre, du moins au début du conflit. C'est à mesure que le poids de l'Angleterre dans la coalition s'affaiblira au profit des Etats-Unis que l'importance du théâtre méditerranéen diminuera pour les Alliés. Mais Churchill n'est pas homme à admettre ce déclin, et il multiplia les efforts pour faire poursuivre une stratégie méditerranéenne interalliée. Quel était son but ? On retrouve la thèse soviétique connue : il s'agissait pour lui de laisser l'URSS soutenir tout le poids de la guerre et arriver épuisée au moment de la décision finale (d'où le retard voulu apporté à l'ouverture du second front), et devancer ses armées en Europe centrale et balkanique. Thèse insoutenable dans la mesure où elle associe les Etats-Unis à cette stratégie politique, avec l'intention de souligner la solidarité des puissances capitalistes contre l'URSS : thèse qui mérite d'être examinée avec attention en ce qui concerne l'Angleterre seule. Les historiens britanniques ne s'en sont pas fait faute, soit pour soutenir que les projets balkaniques n'étaient que l'expression d'un " dynamisme churchillien " sans cesse tendu vers l'action-comme les projets, formulés en même temps, d'actions par la Norvège-, soit pour souligner que des préoccupations politiques réelles n'apparaissent chez Churchill que dans l'été ou l'automne 1944. Ce n'est évidemment pas certain. En ce qui concerne les Etats-Unis, l'interprétation de leur attitude paraît beaucoup plus simple. Leur ignorance est grande et leur but confus : on le vit bien dans leur intervention en Afrique du Nord. S'ils sont entraînés dans la Méditerranée, c'est bien à leur corps défendant, parce qu'une guerre de coalition oblige toujours à des concessions et qu'ils sont incapables d'imposer avant 1944 leur propre stratégie, celle qui consistera à attaquer l'ennemi le plus fort au point le plus fort, sur les plages de Normandie. Du moins, s'ils s'engagent en Méditerranée, que ce soit uniquement en Méditerranée occidentale, et non en Orient, où ils soupçonnent leurs partenaires de vouloir leur faire assumer la défense d'intérêts qui se sont pas les leurs. Dans ce choc des diverses stratégies, politiques et militaires, les petites puissances comme la Grèce ou la Yougoslavie sont bien incapables de préserver leur indépendance et leur neutralité. Le pays qui se trouva dans la position la plus délicate fut sans doute la Turquie. Soumise alternativement ou simultanément aux pressions de l'Angleterre, de l'URSS et de l'Allemagne, elle eut la chance d'avoir une équipe de dirigeants remarquables, qui naviguèrent avec sang-froid entre les différents écueils, surent jouer avec réalisme de leur faiblesse et usèrent au maximum du seul appui à peu près constant sur lequel ils pouvaient compter, celui des Etats-Unis, pour maintenir leur neutralité jusqu'au moment où l'entrée en guerre ne présentait plus que des avantages pratiquement sans risques. Et la France ? Après sa défaite de 1940, son rôle s'efface, si ses intérêts demeurent. L'étude de ses rapports avec l'Italie mussolinienne montre qu'ils ne sont qu'un pâle reflet de ceux qu'elle entretint avec son seul vainqueur, collaboration en moins. Du moins reprend-elle place dans le camp des alliés en 1942, et l'armée française jouera un rôle important dans la compagne d'Italie. JEAN-MARIE D'HOOP Le Monde du 20 avril 1969

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