La lutte des femmes Élisabeth BADINTER
Publié le 24/03/2020
Extrait du document
La lutte des femmes
Élisabeth BADINTER
née en 1944
L'un est L'autre (1986)
[...] Les hommes qui avaient milité pour la décolonisation furent les premiers à se sentir concernés par la contestation des femmes. Ils éprouvèrent le même sentiment de culpabilité qu’ils avaient ressenti naguère à l’égard des colonisés. Jadis, on contestait l’homme blanc. À présent, c’était l’homme tout court qui était sur la sellette, sans moyen de mettre quelque distance entre lui et l’accusateur. Quelques-uns épousèrent le combat féministe, mais la plupart ressentirent un inexprimable malaise. Ils comprenaient ou ne voulaient pas comprendre que la lutte des femmes représentait à plus ou moins long terme « un renversement total de leurs valeurs, de leurs lois, en un mot de toute leur civilisation1 ».
La mise en cause des hommes par les femmes se renforça de celle des pères par les fils. A la fin des années soixante, les femmes et les jeunes contestant en même temps le mari et le père formèrent objectivement «une nouvelle alliance». Les jeunes Occidentaux ne voulaient plus s’identifier aux pères. Bien que ces derniers n’aient pas de sang sur les mains, les valeurs qu’ils incarnaient semblaient à la fois dérisoires et mortelles. Le goût insatiable de la consommation, de la possession et du gadget, allié à la guerre économique, la course aux armements et à l’exploitation sans précédent de la nature, constituaient aux yeux des fils un modèle absurde, dénué de prestige et d’éthique. Les jeunes rejetèrent en bloc les valeurs viriles traditionnelles au profit de valeurs plus féminines. Niant toute idée d’autorité ou de supériorité naturelle, ils prônèrent la non-violence sous toutes ses formes. La guerre du Viet-nâm qui leur paraissait, à tort ou à raison, une résurgence du vieil impérialisme occidental — et donc de l’autoritarisme patriarcal — fut universellement honnie par la nouvelle génération des années soixante-soixante-dix. Les jeunes Occidentaux, qui ne voulaient plus jamais entendre parler de guerre, préféraient la vie à n’importe quel prix2, militaient pour le respect de la nature et affichaient leur méfiance pour les progrès de la technique et de la science dès lors qu’ils pouvaient menacer l’environnement.
«
r l:HOMME ENGAGÉ
En contestant toutes les valeurs paternelles, les fils se rapprochaient
inconsciemment de celles des mères, traditionnellement ennemies de
35 la guerre, ignorantes de la concurrence, étrangères au pouvoir et à l' op
pression.
Le renversement des alliances
eut bien lieu, qui mit fin à l'au
torité
et au prestige millénaire du père et du mari.
Mais, en réalité,
cette nouvelle alliance était fondée sur
un malentendu.
Au moment
même où les jeunes hommes tournaient le dos aux stéréotypes de la
40 virilité et adoptaient des comportements plus féminins, les femmes
elles-mêmes abandonnaient une
part de leurs attitudes millénaires et
s'emparaient de domaines jadis chasses gardées des hommes.
La géné
ration des fils, qui avait été souvent solidaire
du combat des femmes,
s'aperçut trop tard qu'elle avait été flouée.
Ceux qui s'étaient rappro-
45 chés des valeurs maternelles traditionnelles eurent du mal à admettre
que
les femmes prennent justement leurs distances avec celles-ci.
Alors
que
les uns voulaient construire un monde moins agressif où la concur
rence serait moins cruelle, les autres se posaient
maintenant en redou
tables concurrentes.
Elles ne
sont plus seulement tendresse et dévoue-
so ment, mais aussi ambition et égoïsme.
Le désarroi des pères devint
celui des fils.
À
ce jour, il n'a pas cessé.
L'un est l'autre, © Éditions Odile Jacob.
1.
Anne Tristan et A de Pisan, Histoires du M.L.F., Calmann-Lévy, 1977, p.
99.
-2.
Cf.
le slogan des «Verts», neutra listes: «Plucôr rouges que mans.» (notes de l'auteur).
i.; ~·eformulez en trois ou quatre lignes les thèses d'Élisabeth Badinter.
I •· Sur quels exemples fonde-t-elle son argumentation? Peut-on en déduire qu'elle est
· ~niverselle?
1 : • Repérez le champ lexical dans les trois dernières phrases.
Dans quelle perspective
I .
Élisabeth Badinter situe-t-elle les enjeux de l'avenir?
1 • L'égalité entre les hommes et les femmes est-elle
un facteur de cohésion sociale?
[ Donnez votre avis
en un développement organisé et argumenté.
> Groupement de textes: voir 78.
155.
»
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