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La pègre russe aurait blanchi près de 10 milliards de dollars à New York

Publié le 17/01/2022

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19 août 1999 Entre 4,2 et 10 milliards de dollars ont transité par des comptes de l'honorable Bank of New York, depuis l'année dernière, dans ce qui serait l'une des plus vastes opérations de blanchiment de l'argent par la mafia russe. Selon le New York Times, 4,2 milliards sont passés par un seul compte, entre octobre 1998 et mars 1999, au cours de quelque dix mille opérations. Ce compte aurait été ouvert l'an dernier, au nom de la société Benex, qui est liée à YBM Magnex, une société de droit américain basée à Philadelphie qui servirait de paravent aux activités de l'un des parrains du crime organisé russe, Semion Ioukovitch Moguilevitch. Magnex est poursuivie pour faillite frauduleuse de centaines de millions de dollars. Ce sont les Britanniques qui, sur la foi de renseignements recueillis par leurs services spéciaux, ont prévenu les institutions financières et policières américaines, il y a plus d'un an, précisant qu'une partie de ces fonds étaient destinés à des narco-trafiquants et à des tueurs à gages. M. Moguilevitch, qui est, selon eux, un des criminels les plus dangereux au monde, avait déjà eu les honneurs du magazine new-yorkais The Village Voice pour trafic d'armes, prostitution et extorsion de fonds, ce qui avait valu à l'auteur de l'article de voir sa tête mise à prix 100 000 dollars, ajoute le New York Times. Excellente réputation Deux responsables de la Bank of New York, d'origine russe, sont soupçonnées d'être impliquées dans ce scandale : il s'agit de Natacha Gourfinkel Kagalovski, senior vice- présidente à New York, et de Lucy Edwards, vice-présidente de la branche londonienne et dont l'époux aurait la signature sur le compte Benex. Les deux employées ont été suspendues de leurs fonctions à la suite de l'enquête du quotidien auprès de la banque, affirme le New York Times. Née en Russie, Mme Kagalovski a émigré en 1979 aux Etats-Unis. Diplômée de Princeton, elle avait été chargée, après l'effondrement du système soviétique, de gérer les activités de la banque concernant l'Europe de l'Est, un secteur en plein essor. Le New York Times indique que Mme Kagalovski a pu s'offrir, en janvier 1997, un appartement de 796 000 dollars, à Manhattan, sans avoir recours à un emprunt. Seizième ou dix-septième banque américaine avec 67 milliards de dollars d'actifs, la Bank of New York jouit d'une excellente et ancienne réputation ; ce qui ne l'a pas empêchée d'être victime récemment d'un détournement de fonds perpétré par l'un de ses employés. C'est pourquoi les enquêteurs ont marqué leur surprise qu'en dépit du volume des opérations, elle ait attendu que l'investigation soit entamée pour envoyer un "rapport sur des activités suspectes", requis en cas d'opérations douteuses. D'autant que le compte de Benex avait déjà été gelé une fois par les autorités, puis rouvert afin de suivre le cheminement de l'argent qui y transitait. La banque s'est défendue en affirmant dans un communiqué qu'elle participait à l'enquête, n'avait commis aucune irrégularité et qu'il ne s'agissait que d'un incident isolé. L'enquête n'en est encore qu'à ses débuts et la destination de l'argent blanchi reste inconnue. Réglementation laxiste Les autorités américaines s'inquiètent de plus en plus du blanchiment de l'argent sale à travers les institutions financières. Il s'agit, cette fois, de l'exemple le plus spectaculaire de la pénétration d'une grande banque par la criminalité organisée russe. Le département du Trésor a, d'autre part, ordonné, mercredi, à des milliers d'organismes de transfert de fonds - dont American Express et Western Union - de se faire enregistrer afin de mieux contrôler la lutte contre ce fléau. L'effondrement du système financier russe, il y a un an, a accéléré les transferts d'argent vers l'étranger, en particulier de l'argent sale. Et les Etats-Unis, où la réglementation bancaire est assez laxiste et où convergent des mouvements de fonds colossaux, sont une proie facile, et pas seulement pour les Russes. Ce qui permet à des sommes considérables de se glisser au travers des mailles du filet et de ressortir avec une légitimité toute neuve. En effet, les principales banques américaines s'opposent aux efforts du gouvernement pour renforcer les contrôles, en vertu de la législation dite "connaître ses clients". "Cette affaire n'est que la partie émergée de l'iceberg. On disait, il y a quelques années, que les gratte-ciel de Miami appartenaient aux cartels colombiens, on peut dire aujourd'hui avec un brin d'exagération qu'ils appartiennent à la mafia russe", a expliqué au Monde Frank Cilluffo, qui dirige le groupe de travail sur le crime organisé en Russie du CSIS (Centre d'études stratégiques et internationales) de Washington. Selon cet expert, les mafieux russes sont aussi actifs dans certaines îles des Antilles. "Alors que les exportations légitimes russes stagnent, les exportations criminelles sont florissantes. Les malfaiteurs russes sont des gens sophistiqués, ils n'ont plus rien à voir avec l'organisation désuète de la Mafia et des parrains. Ils utilisent des méthodes que les criminels américains n'imaginent même pas, manipulent les comptes, fraudent sur les taxes et sur la protection sociale, se livrent au piratage informatique... Ce n'est plus le crime comme nous l'avons connu." PATRICE DE BEER Le Monde du 21 août 1999

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