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La question Bush

Publié le 17/01/2022

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11 septembre 2001 LES ÉTATS-UNIS ont-ils à leur tête le président dont ils ont besoin pour affronter l'une des crises les plus graves qu'ils aient jamais connues ? Personne, ou presque, n'ose poser ouvertement la question, que ce soit dans les milieux politiques ou dans les médias. En discuter n'aurait d'ailleurs pour effet que d'ajouter à la confusion, sans qu'aucun profit puisse en être retiré. Et s'il s'agit dès maintenant de soupeser les conséquences politiques, autrement dit électorales, de la crise, chacun convient que ce serait indécent alors que l'on en est encore à compter les morts à New York et à Washington. L'interrogation n'en est pas moins dans les têtes. George Bush père a donné, jeudi 13 septembre, à Boston, une conférence de presse au cours de laquelle il a assuré que son fils est « très fort » et qu'il a autour de lui « une équipe fantastique » : propos révélateurs et involontairement cruels de la part d'un ancien président, battu en 1992, mais dont la maîtrise dans la gestion de la crise du Golfe avait été unanimement reconnue. Comparé à ses deux prédécesseurs immédiats, son père et Bill Clinton, George W. Bush est perdant : il n'a ni la compétence du premier ni l'instinct politique du second. Le problème a été mis en évidence, mercredi et jeudi, par l'insistance avec laquelle l'entourage du président a tenu à expliquer son périple de mardi, après les attaques sur le World Trade Center et sur le Pentagone. L'avion qui a détruit une partie du Pentagone « se dirigeait vers la Maison Blanche », a assuré l'une des porte-parole, Claire Buchan. Plus tard, le principal responsable des relations avec la presse, Ari Fleischer, est revenu sur le sujet : la Maison Blanche était menacée, mais aussi l'avion présidentiel, Air Force One, et « il était sage et conforme à l'intérêt du pays » que M. Bush, alors en déplacement en Floride, ne regagne pas la base aérienne d'Andrews, près de Washington, où les terroristes s'attendaient peut-être à le voir arriver. Dans le New York Times de jeudi, un collaborateur de la Maison Blanche, anonyme, affirme qu'un correspondant, employant des noms de code connus des seuls responsables de la Maison Blanche, a annoncé au Service secret, chargé de la sécurité présidentielle, qu'après le Pentagone la cible suivante était Air Force One. C'est la seule mention, à ce jour, d'un quelconque appel téléphonique avant ou pendant les attaques. Aucune autre source n'a évoqué, en outre, la possibilité que les terroristes aient eu connaissance des procédures de sécurité internes au gouvernement. Selon cette source, le vice-président, Richard Cheney, aurait appelé alors M. Bush pour lui demander de ne pas revenir à Washington. Dans le même journal, Karl Rove, principal conseiller politique du président, explique que ce dernier voulait retourner dans la capitale, mais que le Service secret s'y est opposé. M. Bush n'ayant finalement regagné Washington qu'à 19 heures, la Maison Blanche a jugé, le lendemain, qu'elle devait à tout prix justifier son absence, au risque de donner à cet épisode une importance qu'il n'avait pas dans le débat public. L'explication réside dans le fait que parmi les parlementaires, restés, eux, dans la capitale, l'absence du chef de l'Etat a fait mauvais effet. Un sénateur républicain, qui refuse d'être cité, affirme avoir dit par téléphone à M. Bush que sa place était à Washington et qu'il lui appartenait de commander aux militaires, non de leur obéir. L'ancien gouverneur du Texas, élu dans les conditions que l'on sait et réputé pour sa gaucherie, ravive ainsi des doutes qu'il n'avait pas dissipés, mais qu'il avait fini par faire accepter, avec le temps, et grâce à quelques opérations bien menées au début de l'été. Les circonstances imposent de faire bloc autour du chef de l'exécutif et personne n'y manque, qu'il s'agisse des députés et des sénateurs, républicains et démocrates, ou des citoyens. Près de 80 % des Américains, selon les sondages, approuvent la façon d'agir du président. Il faut pourtant y voir la traduction de l'impératif d'unité dans une telle situation, plutôt qu'une adhésion massive à un leadership présidentiel qui est loin d'être démontré. ACCUSER LE COUP Alors que les Etats-Unis ont été frappés comme ils ne l'avaient jamais été, sur leur sol, depuis l'attaque japonaise sur Pearl Harbor en décembre 1941, et plus durement si l'on considère le nombre de victimes, la capacité du président à dominer les militaires et les services de renseignement ne semble pas garantie. M. Bush peut pourtant compter sur la bienveillance des alliés des Etats-Unis, du Congrès et des Américains, qui n'attendent que ses décisions pour l'appuyer ou l'accompagner. Lorsqu'il en vient à communiquer, M. Bush ne parvient pas à mieux faire que d'être présent et « compassionnel ». Qu'il prenne la parole dans le bureau Ovale, qu'il se rende au Pentagone ou qu'il visite des blessés dans un hôpital en compagnie de Mme Bush, le président semble davantage accuser le coup que maîtriser la situation. Il s'est lui-même exposé à une comparaison qui ne lui était pas favorable en se montrant à la télévision, jeudi matin, au téléphone avec le maire de New York, Rudolph Giuliani, qui donne depuis trois jours une leçon de communication pertinente, modeste et rassurante. Comme l'a dit son père, M. Bush a autour de lui une équipe solide, mais ce ne sont pas les anciens, tels M. Cheney ou le secrétaire à la défense, Donald Rumsfeld, qui en imposent le plus. Très vite après le début de la crise, un homme s'est dégagé au sein de cette équipe : Colin Powell, le secrétaire d'Etat, ancien chef d'état-major interarmes. C'est lui qui travaille à bâtir une « coalition contre le terrorisme » comparable à celle que l'ancien président avait construite contre l'Irak en 1991. Alors que certains journaux américains voyaient M. Powell en perte de vitesse après l'échec qu'avait représenté pour lui la conférence de l'ONU sur le racisme, le secrétaire d'Etat apparaît aujourd'hui comme le véritable artisan de la riposte que préparent les Etats-Unis. Si M. Bush prend les bonnes décisions, s'il les mène à bien et s'il sort vainqueur de ce qu'il a appelé avec grandiloquence « la première guerre du XXIe siècle », il le devra en bonne partie à l'homme d'Etat noir le plus populaire des Etats-Unis.

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