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La réponse unanime à une menace planétaire

Publié le 17/01/2022

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7 octobre 2001 A événement sans précédent, réaction sans précédent. Jamais résolution de l'ONU d'une aussi grave portée n'avait été adoptée par le Conseil de sécurité avec une telle célérité et dans un tel élan consensuel que celle du 12 septembre, la 1368, qui constitue la base légale de l'intervention militaire américaine en Afghanistan. A l'unanimité, les représentants des quinze pays membres du Conseil de sécurité, dans cette résolution, déclarent que les attentats de la veille constituent une « menace à la paix et à la sécurité internationales », qu'ils sont résolus à combattre cette menace « par tous les moyens » et qu'est applicable l'article 51 de la charte des Nations unies reconnaissant le droit naturel des Etats à « la légitime défense individuelle et collective ». L'ONU donne ainsi le feu vert, au nom de la Charte, à une riposte militaire des Etats-Unis, seuls ou avec leurs alliés. Des juristes ont immédiatement dénoncé la « régression » que constituait à leurs yeux cette assimilation des attentats du 11 septembre à un acte de guerre : « Non, ce n'est pas la guerre ! (...), la guerre n'est sûrement pas la bonne riposte à cette non-guerre », s'exclamait l'un d'entre eux dans ces colonnes (Alain Pellet, Le Monde du 21 septembre). Par rapport à la vocation même du système des Nations unies, qui tend à limiter le recours à la force, c'était selon eux un recul : la porte ouverte à d'autres interprétations abusives de la légitime défense, à la pratique de la vengeance par les armes. Où va-t-on, se demandaient-ils en substance, si la criminalité internationale qui jusqu'ici relève de poursuites pénales se règle aujourd'hui par des bombardements aériens sur Kaboul ? Beaucoup d'associations de défense des droits de l'homme tinrent le même raisonnement. La grande organisation américaine Human Rights Watch, manifestement embarrassée et refusant de prendre parti sur la légitimité d'une riposte armée des Etats-Unis, soulignait que le réseau de Ben Laden, Al-Qaida, « un réseau de groupes et d'individus supposés opérer dans pas moins de soixante pays, ne répond pas aux critères établis par le CICR pour les conflits non interétatiques » ; une allusion à la seule définition juridique reconnue de la guerre, celle donnée par les conventions de Genève de 1949, qui s'appliquent à tout le monde et dont le Comité international de la Croix-Rouge est le garant. « Même quand la force militaire est utilisée contre des acteurs non étatiques, nous maintenons que les principes de base du droit international humanitaire doivent être un minimum appliqués », estimait cependant Human Rights Watch. Comme elle, certains juristes redoutaient une intervention américaine faisant fi du droit humanitaire international, qui fixe les limites de ce qui est permis dans la guerre. Ces règles, faisaient- ils valoir, ont été élaborées dans la perspective de conflits dans lesquels les adversaires sont identifiables. L'ennemi des Américains, à ce moment-là, ne l'était pas. Ce dernier argument est largement tombé depuis : les éléments incriminant l'organisation de Ben Laden ont été rassemblés, et le régime taliban, en décidant de faire cause commune avec lui et de le protéger, s'est désigné lui-même comme l'ennemi des Américains. Au fil des semaines, il est apparu d'autre part que, malgré certaines déclarations faites à Washington, le projet de l'administration Bush n'était pas de porter la guerre hors d'Afghanistan, en Irak, en Somalie, au Yémen par exemple. Si leur venait jamais l'idée d'un tel projet, nul doute toutefois qu'ils tenteraient de faire valoir la résolution 1368 pour ne pas repasser devant le Conseil de sécurité. Mais la force du consensus politique qui s'est dégagé à l'ONU dès le 12 septembre a en tout cas privé les états d'âme des juristes de toute portée réelle. Le 28 septembre, le Conseil de sécurité, ayant eu cette fois le temps de la réflexion, adoptait à l'unanimité une nouvelle résolution (la 1373) sur la lutte globale contre le terrorisme, dans laquelle était réaffirmée l'autorisation donnée aux Etats-Unis de riposter par les armes. Le 8 octobre, au lendemain du début des frappes en Afghanistan, le Conseil renouvelait encore son appui unanime aux Etats-Unis sous la forme d'une déclaration de son président. Difficile, dans ces conditions, de contester la légalité de l'intervention militaire américaine, quels qu'aient été par ailleurs les motifs politiques de ceux qui l'ont approuvée à l'ONU. Chacun sans doute y trouvait son compte : les Russes et les Chinois, qui mâtent durement chez eux ceux qu'ils appellent leurs « terroristes », n'allaient pas faire obstacle à une riposte américaine qui apportait de l'eau à leur moulin. Ils voyaient aussi dans l'affichage de leur solidarité le moyen de sortir d'une période de rapports stériles avec les Etats-Unis. Français et Britanniques, au-delà de leur solidarité réelle, y voyaient le moyen de rester dans le jeu de l'après-11 septembre, d'y faire entendre leur voix. Les dix membres non permanents du Conseil de sécurité, parmi lesquels des pays à majorité musulmane, votèrent aussi comme un seul homme. Tous avaient ressenti comme une menace planétaire ce qui venait de surgir. A partir du 7 octobre, les Etats-Unis entraient en guerre contre le régime d'Afghanistan. Ils étaient tenus de respecter les règles des conventions de Genève, de même en principe que les autres belligérants, talibans ou moudjahidins. Pour autant que l'on sache, les Américains ne semblent pas les avoir violées délibérément massivement. Cette problématique humanitaire allait cependant dès lors prendre le pas, dans le débat, sur celle de la légalité onusienne.

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