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Le démantèlement sanglant de la Yougoslavie n'est pas achevé

Publié le 17/01/2022

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28 juin 2001 DIX ANS, presque jour pour jour, après le déclenchement des dernières guerres balkaniques du XXe siècle, qui en avait déjà connu quelques-unes, Slobodan Milosevic a été livré au Tribunal pénal international (TPIY) de La Haye. Ce pourrait être le point final d'une tragédie dans laquelle l'ancien dictateur de Belgrade porte la plus grande part de responsabilité. Et pourtant le démantèlement de la Yougoslavie n'est, dix ans après, pas complètement terminé et le sang continue de couler. Après la Slovénie, la Croatie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, c'est au tour de la Macédoine d'être le théâtre d'affrontements entre communautés slave et albanaise, comme si la dissolution de la fédération yougoslave multiethnique ne devait pas avoir de fin. A vrai dire, le conflit en Macédoine est une sorte de retour aux sources. Dans toutes les guerres balkaniques du XIXe et du XXe siècle, ce petit pays, habité par une mosaïque de peuples, a été au centre ou à l'origine des conflits. Les Etats voisins, plus puissants, se disputaient ce territoire en invoquant qui le peuplement, qui le nom ou l'histoire. ÉTONNANTE INDULGENCE En 1991-1992, la Macédoine était l'objet de toutes les inquiétudes parce que la disparition de la Yougoslavie pouvait aiguiser les appétits de la Bulgarie, de la Serbie ou de la Grèce et se transformer en guerre régionale. Plusieurs facteurs ont permis d'éviter le drame. Pour M. Milosevic, la Macédoine n'était pas une priorité, bien qu'une petite communauté serbe y habite ; les Bulgares, sous la conduite de leur premier président élu démocratiquement, Jelou Jelev, eurent la sagesse de renoncer à des revendications centenaires pour gagner leur billet d'entrée dans l'Europe ; indignés que Skopje ose « usurper » le nom de Macédoine, les Grecs firent cependant passer leur appartenance à la Communauté européenne avant leurs sentiments nationalistes, résistant même aux propositions de Slobodan Milosevic de partager en trois la petite République. La sagesse du premier président macédonien postcommuniste, Kiro Gligorov, fit le reste, comme la présence jusqu'en 1999, d'une petite force de l'ONU, censée surveiller la frontière avec la Serbie, mais dont l'effet pacificateur s'étendait aussi à l'intérieur du pays. Deux ans après la défaite serbe au Kosovo, la Macédoine est redevenue le point chaud des Balkans. Certains observateurs ou diplomates, toujours tentés par une étonnante indulgence envers Slobodan Milosevic, y verront la preuve que l'ancien homme fort de Belgrade n'était pas le deus ex machina des guerres balkaniques, l'ordonnateur d'un conflit qui n'en finit pas, qui a fait plus de 200 000 morts et remis, pour la première fois en Europe depuis la deuxième guerre mondiale, des cohortes de réfugiés sur les routes de l'exil. Ce serait oublier que M. Milosevic et les siens ont délibérément utilisé le nationalisme pour perpétuer leur pouvoir après la chute du communisme. Ils ont eu certes des complices avérés ou honteux, à Zagreb ou en Bosnie, mais ils ont remis au goût du jour le vieux rêve serbe de domination sur tous les Slaves du Sud qu'ils accusaient Tito d'avoir abandonné au profit d'un équilibre instable entre les divers peuples de la Yougoslavie. COROLLAIRE FATAL Faute de pouvoir le réaliser, Slobodan Milosevic choisit un autre fantasme : réunir, y compris par les armes, tous les Serbes dans un même Etat, ce qui supposait le démantèlement de toutes les républiques fédérées de l'ancienne Yougoslavie (à l'exception de la Slovénie mais en particulier de la Bosnie-Herzégovine) et ce qui avait pour corollaire fatal que tous les autres peuples de la région pouvaient nourrir l'ambition d'être réunis dans leur propre Etat. La « question serbe », qui eut si longtemps la sympathie de la France officielle, ne pouvait être soulevée sans susciter derrière elle la « question croate » ou la « question albanaise ». C'est cette dernière qui est implicitement posée aujourd'hui en Macédoine. Au prix de centaines de milliers de victimes, après des années d'atermoiements, la communauté internationale, menée par les Américains et les Européens, avec l'accord réticent de la Russie, a contenu le nationalisme croate et défait le nationalisme serbe. Ce n'était pourtant pas suffisant pour enrayer toutes les conséquences de la dissolution yougoslave. L'éclatement n'est pas achevé. Le Monténégro n'a pas renoncé à briser son association avec la Serbie au sein de la Fédération yougoslave réduite à sa plus simple expression, même si le président monténégrin Milo Djukanovic, sous la pression des Occidentaux et sous l'effet d'élections moins brillantes que prévu, ne semble plus très pressé d'organiser un référendum sur l'indépendance. Surtout, le statut du Kosovo reste indécis. Aussi longtemps que durera le protectorat de l'ONU, la fiction d'une appartenance à la Serbie de la province à majorité albanaise pourra être maintenue. Mais à terme, l'indépendance n'est-elle pas inévitable, si les Occidentaux veulent être fidèles à un des principes démocratiques pour lesquels ils disent s'être battus dans les Balkans, à savoir le respect de la volonté des peuples ? Même « l'autonomie substantielle » promise aux Kosovars par la communauté internationale attise l'envie des Albanais de l'ex-Yougoslavie, qu'ils vivent dans la Serbie du Sud, dans la vallée de Presevo, ou en Macédoine. Tous réclament le respect de leurs droits qu'ils estiment, parfois à juste titre, bafoués par les majorités slaves, mais tous rêvent d'abord de se retrouver dans un « grand Kosovo », pas seulement pour des raisons de fierté nationale, mais parce que le découpage de la Yougoslavie titiste en plusieurs républiques a élevé entre eux des frontières inexistantes auparavant. En dehors des périodes de répression serbe les plus aiguës, Pristina était le centre de la vie intellectuelle albanaise en Yougoslavie et la guerre l'a rendue difficilement accessible. C'est aussi l'enjeu des affrontements qui continuent en Macédoine. La perspective d'une « dévaluation des frontières » avec l'entrée de tous ces pays dans l'Union européenne est beaucoup trop lointaine pour satisfaire les aspirations albanaises. M. Milosevic a ouvert la boîte de Pandore du nationalisme que personne n'est, dix ans après, parvenu à refermer.

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