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Le discours politique

Publié le 12/06/2015

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discours

Le discours politique

Corpus extrait du livre élève

4 Napoléon Bonaparte, Proclamation à ses troupes (ler mars 1815)

4 Charles de Gaulle, Proclamation (juin 1940)

4 Victor Hugo, Lettre à ses concitoyens (1848)

4 Victor Hugo, L'Homme qui rit (1868)

LE PROJET PÉDAGOGIQUE

Intérêt du projet

Il est à peine besoin de justifier l'étude des discours politiques, tant la rhétorique est historiquement liée à l'exercice de la démocra¬tie. La parole remplace les armes, comme on le sait — Arma cedant togae —, et les hommes politiques ne sont pas avares de déclarations solennelles ou d'entretiens familiers. Il est bon, dans ce bruissement polyphonique, où chacun coupe la parole à l'autre et s'en empare pour la détourner, de retrouver quelque base solide pour comprendre ce type de discours au-delà des querelles partisanes.

Rien ne réjouira plus nos élèves que de se rendre maîtres d'un dis¬cours qui visait ouvertement à les séduire.

La revue Communication a consacré un numéro aux discours poli¬tiques : « Idéologie, discours, pouvoirs «, n° 28, 1978. Le discours de J.-M. Le Pen a été analysé dans une optique psychanalytique par

 

SÉANCE 2  Napoléon Bonaparte, Proclamation à ses troupes [LIVRE ÉLÈVE, P. 113]

Il est nécessaire de faire précéder l'étude de ce texte par un exposé sur les conditions historiques de sa production (Waterloo, le retour de l'île d'Elbe, les Cent-Jours...). En préparation de cette séance, on aura demandé aux élèves de procéder à un classement des pronoms personnels et des adjectifs possessifs.

0 Objectif : repérer une stratégie argumentative fondée sur l'implication des acteurs du discours.

L'empereur use habilement des pronoms personnels : s'il revendique la place qui est la sienne (votre général, votre chef, injonctions au début de trois paragraphes), il prend soin de souligner par l'adjectif possessif qu'il est, si l'on peut dire, le bien de tous : le don de sa personne a été signalé dès la deuxième phrase. Dans un deuxième temps, la personne du chef se confond avec celle des soldats (nous devons oublier, nous ont imposés, notre gloire) pour aboutir à une allégorie qui fusionne les indi¬vidualités (la victoire marchera, l'aigle volera). Seul un type de soldats est détaché un moment de cette agrégation pour servir de modèle et intro¬duire un sentiment de honte (les vétérans sont humiliés).

0 Objectif : prendre conscience du recours aux valeurs communes — ou supposées telles — dans le discours politique.

L'appel aux valeurs est un moment indispensable du discours poli¬tique. On a signalé le don de soi et la volonté de fusionner l'émet¬teur et le récepteur. Un large assortiment de valeurs est utilisé par l'Empereur : honneur, intérêt, famille.

Tout d'abord, il s'agit de (re)fonder sa légitimité mise à mal par le retour des Bourbons. Deux millénaires d'Histoire sont convoqués. Les pavois évoquent le roi franc auquel ses guerriers rendent hom 

 

mage : plusieurs dynasties royales sont ainsi effacées ; Napoléon est le lien direct avec l'ancienne France, par-delà les Bourbons vendus à l'ennemi et dont il faut arrache[rJ Mes couleurs que la nation a pros¬crites. Doivent rester dans le souvenir commun les grandes jour¬nées révolutionnaires, dont le discours ne dit évidemment pas que Bonaparte en fut le fossoyeur ! Ainsi que les victoires où se mêlent les batailles napoléoniennes et les armées de la Révolution (Sambre-et-Meuse...). Mais l'honneur est une valeur qui peut pâlir devant l'in¬térêt : les rangs et les biens seront donc, par l'attachement à l'Empereur, préservés. Enfin, le souci familial n'est pas oublié : il s'agit de défendre les biens, les rangs et la gloire de vos enfants — le dis¬cours, qui relève du délibératif, a bien rempli son rôle.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 115]

Lire

1. L'ex-empereur feint de répondre à un discours antérieur supposé. L'homme providentiel ne s'impose pas : il est « appelé «, comme autrefois Jeanne d'Arc (voix).

2. Votre général/ votre chef : dans les deux cas, le possessif crée un rapport de dépendance (l'Empereur appartient à ses hommes), et les deux substantifs renvoient à la seule valeur indubitable de Napoléon, celle de chef de guerre.

3. Il se distingue évidemment des souverains « de droit divin «, dont la tradition a été stoppée par la Révolution. Napoléon aimerait se présenter comme un « roi démocratique « (oxymore).

4. Non seulement les « coalisés « (Angleterre, Prusse, Autriche, Russie), mais aussi les « émigrés «, ces aristocrates qui, depuis 1789, préparent leur revanche et qui sont symbolisés par le roi Louis XVIII installé sur le trône.

 

5. Il s'agit bien sûr des émigrés aristocrates. La fiction d'une conti¬nuité du trône de France s'était perpétuée dans les cours étrangères où Louis XVIII était en exil. L'Empereur propose de les renvoyer à leur règne fictif.

6. Ils rappellent, dans l'ordre chronologique, les diverses étapes des conquêtes révolutionnaires (Sambre-et-Meuse, Rhin, Italie) et napo¬léoniennes (Italie, Égypte, Ouest — la Vendée — et la Grande Armée partie conquérir la Russie).

7. Au pluriel, les aigles sont les symboles (auxquels étaient attachés les drapeaux et les insignes de chaque régiment) de l'armée napo¬léonienne. Au singulier, dans la dernière phrase, l'aigle est la per¬sonnification de Napoléon lui-même (c'était son animal fétiche), et on appela effectivement « vol de l'aigle « le trajet de l'Empereur entre Golfe-Juan, où il débarqua en arrivant de l'île d'Elbe, et Paris, par la « route Napoléon « qui traverse les Alpes.

0 Écrire

8. Pavois est une allusion à l'Antiquité gauloise : on élevait le chef nouvellement élu sur un large bouclier porté par deux hommes (voir Abraracourcix dans Astérix). Après s'être baptisé empereur pour récu¬pérer l'héritage « romain «, Napoléon récupère l'héritage de Vercingétorix.

Ces couleurs : le drapeau blanc fleurdelisé est, depuis le Moyen Âge, le symbole des rois de France. La cocarde tricolore a été adoptée après 1789.

On insistera sur la liste phonétiquement très réussie des victoires napoléoniennes.

9. La tonalité est bien entendu une tonalité guerrière : Napoléon veut provoquer chez ses anciens soldats une émotion qui rappelle

 

celle des veilles et des lendemains de batailles, moments forts où il faisait ordinairement une proclamation sur le front des troupes (à Austerlitz, en particulier). Les sentiments qu'il cherche à (res)susci-ter sont la nostalgie, la gloire, le sentiment d'invincibilité qui a accompagné l'armée impériale durant une vingtaine d'années. Et aussi un sentiment de revanche, étroitement lié aux valeurs maté-rielles qu'ils ont perdues par le retour de l'Ancien Régime (droits, rang).

Les mots gloire et droits animent de façon insistante les sixième et huitième paragraphes (le seul mot gloire apparaît cinq fois).

SÉANCE 3 ;‘• Charles de Gaulle,

Proclamation [LIVRE ÉLÈVE, P. 151]

Ce discours, qui présente quelques similitudes avec la proclama-tion de Napoléon Jr,e peut être étudié en parallèle avec celui-ci. On reprendra les mêmes objectifs auxquels on ajoutera la forme de l'ar-gumentation.

0 Objectif : repérer une stratégie argumentative fondée sur l'im-plication des acteurs du discours.

On sera attentif à la répétition du je anaphorique et à sa présence en fin de discours, à sa « dilution « dans une deuxième personne qui l'associe aux Français (nos armes, nous avons subi une défaite, il nous reste un vaste empire). Les injonctions sont ici mesurées (pas d'impé¬ratif : j'invite).

Le « je « disparaît dans le corps de la démonstration au profit de formules impersonnelles (il résulte, il est absurde, il est nécessaire) qui prennent en charge les arguments au nom d'une vérité si évidente

 

qu'elle n'a pas de source (vox populi, vox dei). Les mots gouvernement français apparaissent dans un environnement négatif (conditions dic¬tées par l'ennemi, dépendance de l'Allemagne, se rendre à l'ennemi) et s'opposent à « la France « libre, qui s'engage , à la Patrie, qui commande de continuer le combat.

· Objectif : prendre conscience du recours aux valeurs communes — ou supposées telles — dans le discours politique.

Le recours aux valeurs constitue le fondement de la proclamation du général de Gaulle (respect de la parole donnée, intérêt supérieur de la Patrie). Mais, comme pour le discours de l'Empereur, les valeurs peuvent ne pas suffire à la démonstration, il faut la soutenir par d'autres moyens : ici, l'appel au bon sens.

m Objectif : étudier la forme de l'argumentation

Le discours s'avance comme une démonstration qu'on ne peut contester. Il est en effet fondé sur la forme du syllogisme : toute démobilisation des forces militaires conduit à l'asservissement d'un pays ; or, les conditions que le gouvernement a acceptées mènent à la démobilisation, donc ces conditions nous mènent à l'asservisse-ment. L'argumentation se poursuit par un syllogisme développé qui n'est pas sans rappeler l'épichérème : les hommes d'honneur et sen-sés refusent l'asservissement ; or, les Français sont de tels hommes (preuves : l'honneur, le bon sens, l'intérêt de la Patrie), donc ils refu¬seront d'être asservis et continueront le combat. La conclusion ultime vient d'elle-même : Il est, par conséquent, nécessaire de grouper par¬tout où cela se peut une force française aussi grande que possible. C. Q.F . D .

 

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 153]

0 Lire

1. Le mot conditions est repris dans ces deux paragraphes. Le verbe résulte exprime un lien consécutif. On insistera par ailleurs sur la valeur des conditionnels, qui décrivent une France désarmée — la France de Pétain que de Gaulle refuse.

2. Armistice. La structure du début de cette proclamation est étroi¬tement logique : analyse successive et froide des termes de la capi¬tulation française.

3. Capitulation et asservissement (troisième paragraphe) deviennent capitulation et servitude: l'asservissement est un processus, la servi¬tude est un état. Le passage de l'un à l'autre symbolise l'effet d'une capitulation acceptée.

4. Le rythme ternaire (l'honneur, le bon sens, l'intérêt supérieur de la Patrie) est organisé en éléments de plus en plus longs (deux syllabes, trois syllabes, six mots).

5. «Je dis l'honneur «/«Je dis le bon sens «/« Je dis l'intérêt supérieur de la Patrie «.

6. Une anaphore.

7. J'invite... suivi d'un pluriel et d'une énumération (anaphore de termes et de construction) ; et, au bout de la phrase, le moi (ou me dans le treizième paragraphe), qui fait écho au je initial.

SÉANCE 4  De l'écrit à l'oral

Le discours politique demande à être «mis en bouche« : de même que Flaubert usait du « gueuloir «, les élèves seront invités à s'appro 

 

prier par la voix de vigoureux discours politiques. Outre ceux de Napoléon et de Charles de Gaulle dont on dispose dans cet ouvrage, on trouvera sur les sites Internet du Sénat www.senatfr et de l'Assemblée nationale www.assemblee-nationale.fr quelques beaux discours dignes d'être modulés dans une salle de classe.

On peut profiter de cette séance pour signaler tout ce qui peut donner une indication à l'orateur : la valeur évocatrice des noms propres dans le discours de Napoléon (Wagram, Smolensk...), la vigueur des constructions répétitives (dernier paragraphe à partir de son existence...), les questions rhétoriques, l'ironie (comme ils préten¬dent avoir régné depuis dix-neuf ans); le rythme ternaire et les ana¬phores dans le discours du général.

SÉANCE 5  Victor Hugo,

Lettre à ses concitoyens [LIVRE ÉLÈVE, P. 126]

$ Objectif : éloge et blâme; qualification des faits et stratégie argumentative.

Le discours électoral a pour objet de faire l'éloge du locuteur, ou du moins des projets qu'il défend, et de contester les projets adverses. C'est dire que le plus mesuré de ces discours n'est jamais loin de la polémique dans laquelle tous les coups sont permis.

On peut faire remarquer, en guise de préambule, que l'orateur, dans l'exorde et la péroraison, est ici encore prêt à faire le don de sa personne à la France (Je réponds à l'appel; Je suis prêt à dévouer ma vie). Moments convenus, mais qui donnent du poids aux paroles prononcées. La vocation de ce type de discours est délibérative — il faut exercer une influence sur les électeurs, mais il use de la voie de l'épidictique dans ses deux versions de l'éloge et du blâme.

 

Le discours est fondé sur deux lieux. Le lieu de la division sou-ligne qu'il existe deux républiques opposées, dont l'une est grosse de malheurs, comme le prouve le lieu de l' exemplum : au nom de la réa¬lité historique (la Révolution montagnarde implicitement désignée) et du lien comparatif qu'établit le discours entre ce qui a été et ce qui nécessairement sera. La tâche de l'orateur est donc de déconsi¬dérer ses adversaires en assimilant leur projet à celui des révolution¬naires de 1793. Point n'est besoin de critiquer la politique de la Terreur (à l'aide d'un lieu commun qui serait celui du jugement antérieur qui permet de critiquer un fait présent en le comparant avec un fait déjà condamné) : l'orateur partage avec son public la même horreur de cette période. Le vocabulaire suffit à évoquer tous ses aspects négatifs sans la nommer (Marat, guillotine, piques, les pri¬sons vidées par le massacre évoquent les massacres de septembre).

Le vocabulaire suffit à lui seul pour distinguer l'éloge du blâme, et indiquer aux électeurs le bon choix. L'emploi du futur fait du discours électoral une prévision apocalyptique à laquelle nul ne pourra échapper. On retrouve ici le goût de Hugo pour les oppositions binaires tranchées.

Le rythme très soutenu et le jeu sur les sonorités favorisent l'in-tention persuasive et la dispense de tout autre argument. Notons pêle-mêle : l'homéotéleute créé par la désinence du futur ; la dérivation (riches/enrichir) ; les oppositions (froidement/ardemment); les constructions parallèles (l'horrible dans le grand / le monstrueux dans le petit ; la clémence dans la loi pénale / la conciliation dans la loi civile); le mélange de l'abstrait (les symboles : le drapeau, la devise de la République) et de la vision hallucinée (les têtes sur les piques); les métaphores (décapiter la pensée); etc.

La première partie, bien que mettant en garde sur ce qui ne peut manquer de se produire, se clôt sur l'évocation du passé, qui risque de revivre (remettra, ont fait).

 

La seconde partie, antithétique, reprend la même forme par l'ac¬cumulation des éléments (amplification) qui dressent le catalogue de la « bonne « République : l'effet général d'écho est sensible et souli¬gné par la reprise de en un mot et la mention de Dieu en fin de par¬tie. Les deux parties s'ouvrent et se ferment sur des images symboliques (l'une abattra le drapeau tricolore, la planche à assignats et la bascule de la guillotine) ou des abstractions (sainte communion des Français, majestueux embrasement du genre humain). Cependant le cir¬cuit argumentatif est différent : alors que la première partie donne l'impression de ne pas progresser en revenant à plusieurs reprises sur l'idée de mort, la seconde propose un enchaînement de causes et d'ef¬fets qui part des principes républicains explicités (lieu de la défini¬tion), poursuit par l'enseignement et la promesse de la paix civile, insiste sur les bienfaits qu'en tireront l'industrie et l'agriculture, prône le travail et sa « conséquence « (bis repetita) : la propriété, qui se trans¬met par l'héritage. Arrivé à ces sommets, le discours éprouve le besoin de ressourcer ce vaste programme (comme disait le général de Gaulle sur un autre sujet) : si le bien-être universel est toujours un problème, la République saura ne pas quitter terre et réaliser les rêves des sages —le discours fait alors retour sur les principes déjà évoqués : la liberté, le droit, la paix. Le tout garantit par Dieu satisfait.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 128]

0 Lire

1. Les références sont nombreuses, mais doivent être classées en deux séries (références positives, celles qui renvoient à la Révolution « heu¬reuse« de 1789-1791, et les autres négatives, qui renvoient à la Terreur robespierriste de 1793-1794).

Première série : le drapeau tricolore ; l'Institut, l'École polytechnique

 

(fondés par la Convention) ; l'auguste devise : «Liberté, Égalité, Fraternité «. Dans tous les cas, ces valeurs positives sont menacées par la seconde série.

Seconde série : la statue de Marat; promènera des têtes sur des piques, remplira les prisons par le soupçon et les videra par le massacre; étouf¬fera les arts, décapitera la pensée, niera Dieu; la planche à assignats et la bascule de la guillotine; les hommes de 93; l'horrible dans le grand que nos pères ont vu; la terreur.

2. Le « ci « renvoie à ce qui est le plus proche (donc ici l'avant-der¬nier paragraphe, qui énumère les qualités du régime que prône Hugo), le « là « renvoie à ce qui est le plus lointain (le deuxième para¬graphe, où est décrite la « Terreur «).

3. La République de la Terreur est évidemment la République révo¬lutionnaire. L'électorat de Hugo est un électorat bourgeois (seuls les hommes plus fortunés ont alors le droit de vote), et la Révolution leur apparaît comme un épouvantail. Mais en même temps, elle est un mythe (Liberté, Égalité, Fraternité), derrière lequel ils se recon¬naissent et se regroupent. D'où la distinction habile entre la Révolution (non nommée, sinon dans ses réalisations heureuses) et la Terreur, le mauvais souvenir des excès révolutionnaires.

Par ailleurs, la « lettre « est rédigée juste après la révolution de 1848 : il faut éviter tout parallèle qui pourrait inquiéter les bourgeois, qui ne détestaient pas, dans l'ensemble, le régime de monarchie consti¬tutionnelle de Louis-Philippe, renversé en 1848.

4. Les deux paragraphes sont symétriques (l'une/ l'autre). La structure générale de chaque paragraphe est énumérative — à ceci près que le pre-mier paragraphe accumule les éléments négatifs, le second les éléments positifs. Enfin, la visée des deux paragraphes, comme il sied à un dis-cours électoral, est prospective (emploi systématique du futur).

 

5. Dans le troisième paragraphe : ajoutera à l'auguste devise : « Liberté, Égalité, Fraternité« l'option sinistre « ou la mort « provoque un effet d'antithèse frappant, tenant à la brièveté de « l'ajout «. Dans le qua¬trième paragraphe en revanche, chacun des termes de la devise répu¬blicaine est amplement commenté, enrichi, documenté : ... fondera une liberté sans usurpations et sans violences, une égalité qui admettra la croissance naturelle de chacun, une fraternité, non de moines dans un couvent, mais d'hommes libres.

SÉANCE 6 eb- Victor Hugo,

L'Homme qui rit [LIVRE ÉLÈVE, P. 135)

Ce discours à volonté délibérative (il faut engager les lords à ne pas voter l'augmentation du budget) se teinte d'un réquisitoire contre l'égoïsme des nantis. On demandera aux élèves de revoir les éléments constituant les deux grands genres de l'éloquence : le déli¬bératif et le judiciaire [LIVRE ÉLÈVE, P. 20]

0 Objectif : éléments phatiques; preuves subjectives : ethos et pathos.

La passion est un moyen essentiel dans l'art de persuader, dit Aristote. L'orateur, Gwynplaine, va tenter d'exciter la pitié dans le coeur des lords. (Gwynplaine, enfant volé, a été mutilé par les « com-prachicos « et arbore un sourire perpétuel. Reconnu comme étant le baron Clancharlie, il est rétabli dans ses droits et siège à la Chambre des lords. Il prend ici la défense des misérables parmi lesquels il a été élevé. À la fin de son discours, les lords, égayés par son sourire, rica¬neront...)

 

L'orateur attire tout d'abord l'attention des lords : il use de ques¬tions rhétoriques, d'injonctions, de phrases exclamatives, implique l'auditoire dans son discours (Pitié pour qui ? pitié pour vous).

Il justifie sa diatribe par son expérience vécue, qu'il oppose au savoir qu'un lord pourrait éventuellement avoir depuis la Chambre (lieu du plus et du moins : l'expérience est plus proche de la vérité que le savoir livresque), et fait montre de compassion. Le discours tend à faire naître deux sentiments dans le coeur des lords, la honte et la pitié, par le spectacle de la misère que souligne l'accumulation des notations réalistes. Mais la honte n'est peut-être pas ici le moyen le plus efficace pour influencer le vote de la Chambre. Il faut éviter que les lords ne regimbent devant un tel acte d'accusation. C'est pourquoi Gwynplaine insiste sur l'irresponsabilité par nature, si l'on peut dire, des lords (vous n'êtes pas méchants, nous nous valons tous...).

· Objectif : Le circuit argumentatif

Le discours oscille entre le délibératif et le judiciaire. Relèvent du judiciaire l'intention accusatrice, la référence au passé et à la réalité des conditions de vie de la population anglaise (lieu du réel et de l'ir¬réel), la qualification des faits (juste/injuste) et le recours à l'enthy-mème (le père ne peut être méchant, or vous êtes père, donc...). Relèvent du délibératif le désir de dissuader de voter le budget, les critères d'argumentation fondés sur l'utile (j'aimerais mieux recevoir à l'hôpital l'indigent malade sans lui faire payer d'avance son enterre¬ment) et le possible (vous augmentez la pauvreté du pauvre pour aug¬menter la richesse du riche. C'est k contraire qu'il faudrait faire), le recours aux nombreux exemples.

 

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 137]

Lire

1. L'orateur mélange ordres (silence) et prières (je vous en conjure). Le style est essentiellement exclamatif — à la fois pour capter l'atten¬tion des auditeurs, dans une Chambre des lords ordinairement assez agitée, mais aussi pour témoigner de l'investissement affectif du locu¬teur : exclamations (oh ), points d'exclamation et d'interrogation —(interrogations rhétoriques : Est-ce que vous ne voyez pas...) Enfin, au niveau du sens lui-même, la grande habileté consiste à faire de l'interlocuteur le sujet même du discours : « Qui est en danger ? C'est vous. «

2. Les phrases sont juxtaposées (effet d'asyndète). Chacune tourne autour d'un mot fort qui exprime le manque : la faim, indigence, indigent malade (qui devient, en bout de phrase, enterrement), épui¬sement. Dans un second temps, c'est le vocabulaire du travail qui par¬ticipe du même mouvement : dessécher le marais, fabriques fermées (l'effet est encore renforcé par l'allitération des « f«) — jusqu'à la phrase nominale qui clôt la série, chômage partout. La dernière phrase, enfin, reprend un système interrogatif propre au style oral, fermant la série sur l'expression du manque.

3. On remarquera que « savoir « fonctionne, à l'oreille, comme une forme augmentée de « voir « — ce qui met les deux opérations en connexion. L'orateur « donne à voir «, de manière à «faire savoir «. Le verbe « voir « commande la série des ily a, qui énumèrent les hor¬reurs du monde d'en bas : l'orateur se place en fait dans la situation d'un ange venu du Ciel pour observer la misère de la Terre, et remon¬ter parmi ses pairs (d'Angleterre) pour les informer de ses découvertes — ce qui confère à l'ensemble du texte un aspect biblique évident : vous vous croyez des dieux, leur dit-il d'entrée. Enfin, on notera que

 

j'ai vu ces choses-là renvoie à l'histoire personnelle de Hugo, qui notait dans des carnets publiés sous le titre de Choses vues les horreurs contemporaines dont il se promettait de parler, dans son oeuvre ou à la tribune de l'Assemblée nationale. L'axe « voir/savoir « permet de donner à ce récit un caractère éminemment personnel.

4. La structure de l'argumentation est claire : après une apostrophe initiale qui inverse l'ordre attendu et explique aux pairs que c'est d'eux qu'il va parler, puisqu'ils sont hommes avant d'être aristo¬crates, l'orateur énumère les horreurs du monde d'en bas. À ces hommes installés dans le « paradis « de la richesse, il présente une humanité de « damnés «. Suivent des exemples, apparemment pro¬posés sans logique autre que l'accumulation — pour mieux exprimer l'émotion, qu'un discours suivi gommerait. L'argument central du discours (son sujet, en fait) apparaît à la fin, avec l'évocation de la question de l'impôt, qui doit être repensé. Le mot le plus inattendu, dans la bouche d'un orateur noble, jaillit dans la dernière phrase : républicain — évidence de la part, de plus en plus grande au fil du discours, que prend Hugo dans cette défense du pauvre et de l'opprimé.

Co Écrire

5. L'argumentation a tout intérêt à s'appuyer, comme ici, sur des exemples précis. Il conviendrait de mettre en scène un locuteur pré¬cis (député, sénateur, ou témoin de quelque catastrophe humani¬taire) et des interlocuteurs a priori hostiles, qu'il faudra s'efforcer de convaincre en jouant, comme Hugo, sur la corde sensible.

Le discours pourrait, par exemple, tourner sur la honte qu'il y a à jouir de son bonheur à la vue de certaines misères : Restos du coeur, S.D.F., famine, extrême pauvreté, quart-monde, etc.

 

PROLONGEMENTS Propositions de débats

Il est temps de donner la plume à nos élèves qui laisseront libre cours à leur imagination et déchaîneront leur fougue argumentative.

Voici quelques propositions de discours que l'on peut soutenir pro et contra :

1. Il faut supprimer les examens. — Il est bon que les enfants croient au Père Noël. — La durée des vacances scolaires en France est exces¬sive. — La lecture est indispensable à la formation de l'esprit. — La curiosité n'est pas un vilain défaut. — À quoi bon travailler ? — Les femmes qui travaillent n'ont pas le temps de s'occuper de leurs enfants. — La discipline dans les lycées n'est pas assez sévère. — Les voyages forment la jeunesse. — La littérature ne sert à rien.

2. Vous êtes le père ou la mère d'un garçon ou d'une fille de quinze ans. Que répondez-vous si elle ou il vous annonce son désir : de quit¬ter le collège ou le lycée — de partir seul(e) en vacances — de vouloir être chanteur(se) et rien d'autre.

3. Vous êtes le maire d'une petite ville et un organisateur de spec¬tacles vous propose de louer votre salle des fêtes pour y tenir un concert de rap ou de hard rock. 1/Vous soutenez le projet devant le conseil municipal. 2/Vous représentez l'opposition et vous refusez.

4. Vous êtes le colonel de la troupe envoyée pour arrêter Napoléon sur le chemin de Paris [LIVRE ÉLÈVE, P. 113]. Vous tentez de reprendre en main vos soldats après le discours de l'Empereur.

 

Séquence 2

La lettre d'amour

Corpus extrait du livre élève

· Juliette Drouet, Lettre à Victor Hugo (1853)

· George Sand, Lettre à Alfred de Musset (1834)

· Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, lettre m'il (1782)

· Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse, lettre de Saint-Preux (1761)

LE PROJET PÉDAGOGIQUE

Intérêt du projet

Le langage amoureux se caractérise aujourd'hui par une certaine pauvreté et il peut sembler bon de montrer aux adolescents qu'outre les formules en usage habituellement — « ch't'aime «, « tu m'plais «,

voire « ch'te kiffe trop« la vie sentimentale use de moyens d'ex 

pression plus variés et aptes à traduire des nuances délicates...

Le langage de la séduction est lié immédiatement à l'action et entend être suivi d'effets : il a une intentionnalité — montrer ses sen¬timents pour être aimé en retours, exprimer des reproches pour que l'autre change d'attitude, etc. Nous sommes bien dans le domaine de la rhétorique, où la prise en compte du destinataire est primor 

1 Sur ce jeu d'échanges, voir Sociologie du couple, de Jean-Gaude Kaufmann, «Que sais-je?«, n° 2787.

 

diale, subjugué qu'il sera par les preuves d'amour qu'on saura lui administrer, preuves qui relèvent non du vrai mais du vraisemblable : on ne dit que ce qui peut être utile à son projet amoureux.

Le langage de la séduction est la voie privilégiée pour faire entendre à nos adolescents la puissance du discours (et l'intérêt qu'il y a à l'étudier) et les initier à la séduction du langage.

Choix du corpus

Quatre lettres ont été retenues, pour leur homogénéité tout d'abord : elles appartiennent à la même sensibilité romantique ou pré-romantique (nous utilisons ce terme pour caractériser un moment de la chronologie, et non dans un contexte d'histoire litté¬raire, où il n'a jamais eu de sens). Pour leur diversité ensuite — d'in¬tentions, de registres (expression de l'adoration, du reproche, de la compassion...), d'origines (personnages littéraires et lettres de fic¬tion, ou scripteurs historiques et lettres « réelles «).

Objectifs de ta séquence

Une séquence sur le langage amoureux permet de souligner le tra¬vail rhétorique : analyse d'une stratégie argumentative, rôle de l'au¬ditoire, reconnaissance des valeurs dans la qualification des faits.

Organisation de ta séquence

Les textes à étudier étant parfois assez longs et complexes, les élèves devront avoir été initiés au préalable à l'analyse de textes argumen-tatifs et à la reconnaissance des figures de style (elocutio). Il semble donc judicieux de ne pas commencer ce travail avant le dernier tri¬mestre de Seconde.

 

Une séance est consacrée à la mise en perspective historique du sentiment amoureux. À la suite de cette séance, deux possibilités peu¬vent être envisagées : une étude transversale, qui met en évidence les caractères communs et les divergences des textes étudiés (cela peut être mené dans une classe déjà rompue aux procédés rhétoriques) ; dans les autres cas, il est plus prudent — au risque de la répétition et de la lassitude, toujours à redouter — d'étudier les quatre textes, puis de consacrer la dernière séance à des études transversales. C'est ce projet qui a été retenu ici. L'ultime séance pourra servir d'introduc¬tion aux autres moyens d'expression du sentiment amoureux.

SÉANCE 1  Quelques notions de sociologie

Les relations amoureuses sont largement dominées non par le bio¬logique, comme seraient tentés de le croire nos adolescents, mais par des variations culturelles. Les élèves sont donc invités à lire et à com¬menter des passages d'ouvrages consacrés à ces variations. Par exemple, Edward Shorter expose dans le chapitre iv de Naissance de la famille moderne', « L'aventure amoureuse «, les scénarios tradition¬nels qui présidaient aux rencontres. On trouve dans Les Amours pay¬sannes, de Jean-Louis Flandrin2, des témoignages issus du folklore et des formules savoureuses telles que celle-ci, où l'on pourra apprécier les déplacements métonymiques : « Mé ton pé contre mon pé, mé ta main contre ma main, et bisons-nous« ou encore cette autre, plus vigoureuse : « Mé ta langue dans ma goule, et dis-mé que tu m'aimes «. La Tendresse amoureuse, de Maurice Daumas3, propose des lettres

1 «Points Histoire«, n°47, Le Seuil.

2 «Folio Histoire«, n° 53, Gallimard.

3 « LP/Pturiel«, n° 8833.

 

d'amour des )(Vie et xville siècles. Les élèves pourront repérer les diverses expressions que revêt l'amour selon les époques et les régions.

SÉANCE 2 Juliette Drouet,

Lettre à Victor Hugo [LIVRE ÉLÈVE, P. 129]

· Objectif : examiner comment le locuteur se construit dans le discours (preuve subjective de L'ethos).

En préparation de cette deuxième séance, on aura demandé aux élèves de préciser quelles ont pu être les intentions de Juliette Drouet en écrivant cette lettre à Victor Hugo, ainsi que de repérer le champ lexical dominant et la figure de construction utilisée. Ils devront repérer le passage de la première partie consacré à la qualification des faits.

Juliette Drouet se construit une image de sainte femme vouée à la dévotion de son idole, dont elle ne veut rien espérer en retour. Le vocabulaire est de plus en plus abstrait (lèvres, mains, yeux, puis pureté, âme, dévouement...) et le vocabulaire religieux abondant. Juliette se présente comme une sainte qui adore son Dieu (1. 16-22), mais un Dieu qui aurait des chances d'enfer et qu'il faudrait sauver pour assurer son éternel bonheur. On peut ici évoquer la doctrine de la réversibilité, qui permet aux pécheurs de bénéficier de la grâce accumulée par les saints. Baudelaire s'est fait l'écho de cette doctrine dans Réversibilité, adressé en 1853 à Mme Sabatier.

· Objectif : montrer le passage des reproches à l'adoration (qua-lification des faits).

Partant du reproche de la première phrase, qui souligne la posi¬tion inconfortable de la maîtresse destinée à l'attente de son amant,

 

le discours se clôt sur l'expression de la dévotion. Juliette Drouet a ainsi mis en place un système de valeurs qui glorifie ses relations avec Hugo : par la qualification des faits devenus actes de dévotion, le voca¬bulaire religieux transforme la relation extraconjugale. Le lieu de la comparaison permet de passer du monde présent à l'autre monde.

· Objectif : repérer et analyser la récurrence des systèmes binaires.

Le repérage des figures de construction des deux premières phrases — chiasme et parallélisme — ainsi que du système binaire fortement récurrent (pureté lavée/âme racheté ; illusion brisée/foi radieuse ; part de paradis/chances d'enfer ; etc.) permet de souligner le motif de la sépa¬ration, l'impossibilité de faire un avec l'aimé. L'accumulation, qui caractérise l'épidictique, est également manifestée par l'anaphore qui couvre l'ensemble de la lettre.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 130]

Lire

1. Cette lettre est construite sur l'anaphore (fe viens à toi), dont l'ef¬fet est analogue à celui d'une prière (Priez pour nous).

2. Il y a un jeu sémantique entre je viens et son antithèse tu ne peux pas revenir. On remarque que le premier « venir « est métaphorique (« venir par la pensée, par la lettre «) alors que le second (revenir) est entendu dans le sens matériel du déplacement des corps. La fonc¬tion s'apparente donc à une antimétabole.

3. Le je t'aime, comme l'a remarqué Barthes', s'inscrit dans une durée intemporelle. La phrase de Juliette Drouet organise donc cette éter¬nité de la passion entre le passé et ses regrets, et l'avenir et ses craintes.

Fragments d'un discours amoureux, Seuil, 1976.

 

On retrouve cette construction dans le cinquième paragraphe, où les mots de la passion encadrent et enserrent les rappels du passé et la prévision de l'avenir.

4. Une femme tombée, au xixe siècle, est une femme qui a publi¬quement un amant, en dehors des liens du mariage. Le terme est probablement, dans le contexte quasi mystique de la lettre, une réfé¬rence à Marie-Madeleine relevée par le Christ.

5. Les reproches concernent aussi bien le passé que le présent : allu¬sions à la femme de Victor Hugo, et à sa vie de famille, au peu de disponibilité du grand homme (tu ne peux pas revenir), à ses infidé¬lités nombreuses (mon coeur mutilé et les yeux pleins de pardon, l'illu¬sion brisée — sans rancune), qui lui vaudront peut-être une place en enfer (tes chances d'enfer).

(:) Écrire

6. et 7. En fait, dès la première phrase (mon bien-aime), la lettre a la tonalité des lettres mystiques écrites par les saintes (cf lettres de Catherine de Sienne, ou Thérèse d'Avila). Hugo est le Christ de la nouvelle martyre (le mot apparaît en toutes lettres).

D'où la surabondance de références religieuses : la bénédiction dans l'âme, les yeux pleins de pardon, ma pureté lavée et mon âme rachetée, la foi radieuse, avec la divine espérance pour appui, vénération, résignée et pieuse comme les martyres devant Dieu, en ce monde/dans l'autre, je te donne ma part de paradis en échange de tes chances d'enfer — entre autres.

 

SÉANCE 3  George Sand,

Lettre à Alfred de Musset [LIVRE ÉLÈVE, P. 118]

· Objectif : repérer La stratégie d'évitement du judiciaire.

En préparation de cette séance, on aura demandé aux élèves de répondre aux questions « Lire « qui accompagnent le texte, et de pré¬ciser les éléments de la lettre qui ont rapport avec le passé. Ils devront voir les caractéristiques du genre judiciaire et la notion de preuves subjectives.

George Sand tente de retenir Musset, qui s'est bien rendu compte de l'attiédissement des sentiments de sa bien-aimée. Il s'agit donc, pour elle, d'éviter d'être entraînée dans un conflit discursif d'ordre judiciaire dans lequel elle serait obligée de se défendre (LIVRE ÉLÈVE, P. 20) et d'examiner la réalité du fait passé (l'amour vécu, le bonheur passé...). Ainsi, un ensemble de moyens est mis en oeuvre pour tour¬ner Musset vers l'examen du présent. Il s'agit d'éviter le lieu de la comparaison qui, par le rapport présent/passé, montrerait la diffé¬rence d'attitude de George (peu importe, tout cela ne change rien), et celui de la définition (amour-passion, amour-amitié) au profit d'une formule à l'emporte-pièce dont le membre final signale bien que tout est dit (je sais que je t'aime, et c'est tout).

· Objectif : mettre au jour l'organisation du discours (dispositio)

La dispositio est au service de cet objectif (éviter la comparaison présent/passé). L'exorde, constitué par la première phrase, est bien destiné à s'assurer la bienveillance du destinataire (« je ne suis pas heureuse «). Mais la narratio qui devrait suivre et présenter les faits présents à partir desquels une argumentation serait possible (du type : « tu vois bien que tout, dans mon attitude, montre que je n'ai pas changé et que je t'aime toujours «) est — on l'a vu — consacrée à nier

 

tout changement dans les sentiments de George : le présent est iden¬tique au passé (pourquoi cette tâche si douce... ; quelle fatalité... ; pour¬quoi, moi qui aurais donné tout mon sang...). Quant à la confirmatio, qui devrait apporter les preuves de la pérennité de l'amour, elle ne concerne pas les faits évoqués dans la narratio — et pour cause —, mais vient confirmer l'exorde (« je suis malheureuse « : je deviens presque folle, «j'ai des cauchemars «). La péroraison (... que j'ai besoin de ta tendresse et de ton pardon) est à nouveau propre à exciter la compas¬sion du destinataire.

· Objectif : signaler l'envahissement des preuves subjectives.

Il faut ici faire le bilan des moyens destinés à susciter l'émotiôn (anaphore, répétition, vocabulaire dysphorique, questions rhéto¬riques...). L'argumentation se veut persuasive et s'adresse plus à l'af¬fectivité qu'à la raison. La lettre de Sand met massivement l'accent sur l'émotion ressentie, au détriment des arguments rationnels. Les preuves subjectives sont largement utilisées.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 119]

Q Lire

1. Sand était plus une mère pour Musset (comme plus tard pour Chopin) qu'une amante.

Ainsi, outre la tendresse dont elle dit vouloir faire preuve (terme en soi ambigu), les objectifs qu'elle se fixe (veiller sur toi, te préserver de tout mal) ressortent plus du souci maternel que de la sensualité. Une amante ne parlerait pas d'une tâche si douce, et viserait sans doute à des occupations nocturnes plus actives que donner une nuit de repos et de calme. Et l'invocation finale (mon enfant, mon enfant!) est parfaitement claire.

 

2. Par exemple : force toute virile.

3. Par exemple : lorsque Sand avoue qu'elle ne pourrait étancher cette soif douloureuse de N'embrasser à toute seconde [...] sans [lui] donner la mort. Le champ sémantique de la maladie est largement utilisé (mal, remèdes), même si elle feint de le prendre en un sens métaphorique.

Pour l'anecdote, qui pourrait toujours amuser les élèves, le spectre qu'elle évoque a effectivement existé, si l'on en croit le récit de Musset : durant l'une des nuits où le poète, très fiévreux, délirait, Sand s'est (aban)donnée au médecin de son amant, sur le lit même où celui-ci gisait.

4. L'amour est par excellence « fatal «. Par ailleurs, l'heure roman¬tique, par excellence, est la nuit (omniprésente dans les évocations de Sand). Enfin, certaines outrances (un tourment, un fléau, un spectre) appartiennent au vocabulaire du drame romantique.

SÉANCE 4  Choderlos de Laclos,

Les Liaisons dangereuses, lettre m'II

[LIVRE ÉLÈVE, P. 110]

· Objectif : préciser l'enjeu de la lettre.

On aura demandé aux élèves de répondre aux questions « Lire « et de revoir la notion de vrai et de vraisemblable, d'auditoire. L'ironie de la lettre de Valmont sera davantage perceptible si on fait lire la lettre de Saint-Preux [LIVRE ÉLÈVE, P. 102] dont on soulignera la sincé¬rité, ou la naïveté.

La lettre amoureuse suppose l'absolue franchise de celui qui l'écrit et proteste de son amour. Sans cette droiture supposée du scripteur,

 

la lettre d'amour n'est qu'un jeu verbal aux yeux du destinataire. Il faut faire remarquer que la lettre est, de ce point de vue, absolument loyale et rend un compte exact de [la] situation et de [la] conduite de Valmont. Le discours rhétorique n'a pas un rapport immédiat avec la vérité, il entend être reçu favorablement, et Valmont utilise les poncifs de la littérature amoureuse tout en utilisant le double lan¬gage qui plaira à la marquise de Merteuil.

· Objectif : repérer les lieux communs de la déclaration amoureuse.

La lettre de Valmont est un florilège des lieux communs du dis¬cours amoureux : agitation extrême de l'amant (anéantissement de toutes les facultés de mon aine), désir d'être calmé, reconnaissance de la puissance irrésistible de l'amour, dédain de la dame qui fait preuve de rigueurs, promesse d'aimer sans espoir de retour, consolation dans l'amour même (oublier dans le délire qu'il me cause le désespoir auquel vous me livrez), diffusion du sacré amoureux sur tout ce qui l'évoque (la table, l'air...). Jeu sur les oppositions (ardeur dévorante, troublelfroide tranquillité, rigueurs désolantes).

· Objectif : repérer tes ambiguïtés du langage.

Il faut ici rendre hommage à la virtuosité de Laclos et à la sou¬plesse du langage qui dit toujours plus qu'il ne semble dire (le texte est « pensif «, dit Roland Barthes') : on peut remplir, pour s'en per¬suader, le tableau de la question 4. On remarque que Valmont se laisse emporter par les tendres sentiments qu'il éprouve malgré lui pour Mme de Tourvel : au désespoir (quoi ? ne puis-je donc espérer...) succèdent l'espérance (j ose croire...), puis l'injonction ferme (Croyez-moi, Madame...) et la certitude (je crois pouvoir assurer sans

1 « S/Z «, Le Seuil, 1970.

 

crainte...). L'agitation de Valmont n'empêche pas Laclos de lui faire bâtir une argumentation.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 112]

Lire

1. La tâche est minutieuse, mais facile. Elle permettra de remplir le tableau de la question 4.

Nuit orageuse : intensité du sentiment/intensité de l'action. — Je n'ai pas fermé l'oeil : souci amoureux/ardeur à la tâche.

L'agitation d'une ardeur dévorante : ardeur du sentiment/ardeur de la joute.

— L'entier anéantissement de toutes les facultés de mon âme : à cause de la déception où vous m'entraînez/par excès de plaisir.

Un calme dont j'ai besoin et dont je n'espère pas jouir encore : en vous écrivant pour vous dire que je vous aime/je sais bien que je vais repar¬tir à l'assaut.

La puissance irrésistible de l'amour : qui me domine/qui me titille.

Je prévois que je ne finirai pas cette lettre, sans être obligé de l'inter¬rompre : par excès d'émotion/parce que Émilie, la courtisane pré¬sente, réclame encore mon attention (voir le chapeau de présentation du texte).

— Le trouble quej'éprouve en ce moment : mon sentiment/mon excitation.

— Si vous le connaissiez bien, vous n'y seriez pas entièrement insensible : vous n'avez jamais aimé votre mari/vous n'avez jamais été aimée cor¬rectement par votre mari.

M'abandonner entièrement à l'amour : à la passion que j'ai pour vous/aux bras d'Émilie.

 

Jamais je n'eus tant de plaisir en vous écrivant : par le simple fait de vous écrire/en fait, plaisir physique.

La table même sur laquelle je vous écris, consacrée pour la première fois à cet usage, devient pour moi l'autel sacré de l'amour : fétichisme amoureux transposant sur les objets le sentiment dont il est empli/rappelons qu'il s'agit des fesses d'Émilie.

Une ivresse qui s'augmente à chaque instant, et qui devient plus forte que moi : je suis submergé par l'intensité de l'amour que je vous porte, à ne plus pouvoir écrire/je cède aux instances du désir.

2. Rédacteur 1 : Laclos -+ lecteur 1 : nous-mêmes (dans la réalité de l'écriture du roman).

Rédacteur 2 : Valmont —› lecteurs successifs : Émilie, Mme de Merteuil, Mme de Tourvel (dans la fiction de l'écriture de la lettre).

Écrire

4. Il est évident que les quatre séries reprennent exactement les mêmes phrases. Ce qui, pour Émilie, est une connotation érotique (sans être obligé de l'interrompre), écho de l'aveu de Valmont (inter¬rompue même par une infidélité complète), paraît à Mme de Tourvel la plus haute expression du sentiment ; en même temps, Mme de Merteuil y analysera l'aveu du désir de Valmont pour Tourvel, et le lecteur la preuve de la virtuosité de Laclos dans l'art du sous-entendu.

 

SÉANCE 5  Jean-Jacques Rousseau,

Julie ou la Nouvelle Héloïse,

lettre de Saint-Preux [LIVRE ÉLÈVE, P. 102]

· Objectif : examen de la stratégie argumentative.

La lettre de Saint-Preux se présentant comme un plaidoyer pour se défendre d'une éventuelle trop grande liberté à l'égard de Julie, on demandera aux élèves de revoir la partie de la rhétorique qui concerne le genre judiciaire, de relever les arguments de Saint-Preux qu'il utilise pour se disculper et de réfléchir sur la transformation du « je « et du « tu « en 3' personne (celle qui couvre de respect... ; l'amant de Julie...).

La lettre se déroule selon les quatre temps de la dispositio : un exorde affirme la puissance de l'amour éprouvé, suivi par l'énoncé des faits en cause (supplier un homme qui l'adore de ne pas l'outrager) et par les arguments destinés à rassurer Julie sur la vertu de son amant. Un hymne à la chasteté clôt le discours.

La thèse de Saint-Preux est fondée sur une impossibilité (il est impossible qu'il ait des pensées aussi infâmes que celles que lui prête Julie), thèse fondée sur la qualification morale de tels faits : ils désho¬norent, ils avilissent et Saint-Preux est incapable d'une telle attitude. (On peut penser à un lieu fréquent dans le discours judiciaire qui vise à examiner la cause des actes injustes, qui sont souvent motivés par le vice, que Saint-Preux rejette ici fortement, ainsi qu'au lieu judiciaire dit «du possible« : ceux qui commettent des actes répré¬hensibles le font parce qu'ils pensent échapper aux conséquences de leurs actes.) La justification à l'appui de la thèse procède par accu¬mulation de protestations d'innocence (quel monstre pourrait abuser de ton état... prends confiance en un ami fidèle... je frémirais de por¬ter la main sur tes chastes attraits...). La réfutation est perceptible dans

 

la reprise de l'évocation de l'acte ignominieux qui condamne celui-là même qui s'y livre (il se déshonore lui-même, devient un homme vil, éprouverait le plus profond mépris pour lui-même).

· Objectif : découvrir l'enthymème.

La lettre d'amour privilégie une relation directe entre les parte¬naires. Ici, à plusieurs reprises, Saint-Preux instaure entre lui et Julie une distance que traduit l'abandon de la relation « je/tu « au profit de la création rhétorique d'un 3' homme (ma Julie supplier un homme qui l'adore ; est-il un homme assez vil sur la Terre... ; quel monstre... ; un ami fidèle... ; si jamais cet amant heureux s'oublie...). Ce disposi¬tif, outre le tableau émouvant qu'il suggère (ma Julie à genoux ! ; ma Julie verser des pleurs), permet la mise en place d'un enthymème tel que : « Un homme vil peut bafouer une âme pure ; or, je ne suis pas un homme vil, donc je ne saurais bafouer une âme pure. « L'enthymème est la figure de style qui permet d'éviter la lourdeur de la formulation complète du syllogisme.

Réponses aux questions [LIVRE ÉLÈVE, P. 104]

0 Lire

1.— Félicité : bonheur suprême d'être aimé.

Transports : manifestations de la passion.

Avilissent : nous rabaissent au niveau des amants ordinaires.

Empire : pouvoir.

Poursuites : prières visant à satisfaire l'amant.

L'acte le plus marqué : passer aux étreintes physiques.

Ma flamme et son objet : mon amour et toi.

2. Le « preux « est, dans le vocabulaire de la chevalerie, celui qui res¬pecte la dame et se donne tout entier à sa foi (religieuse et amou 

 

reuse). Le « saint «, accolé au mot, montre assez ce qui entre de reli¬giosité diffuse dans la vision rousseauiste de l'amour. La « vertu « devient dès lors l'élément fondamental d'une relation qui méprise largement les plaisirs physiques : vertu de Julie (dont l'aveu n'a de pouvoir que justement parce qu'elle est vertueuse), vertu de Saint-Preux (respect et [...J honnêteté).

3. Conformément à la tradition du théâtre classique du xvIIe siècle, l'amant est celui qui aime et qui est aimé. Aucune implication sexuelle dans le terme — du moins pas chez Rousseau, dont la vie entière témoigne qu'il se passait fort bien d'étreintes physiques, à condition d'avoir les satisfactions psychologiques du sentiment.

Pour l'anecdote, on peut rappeler aux élèves que La Nouvelle Héloïse met en place dans sa dernière partie le « ménage à trois « dont Rousseau s'était fait un idéal personnel, et qu'il a vécu à plusieurs reprises, lui-même n'assumant jamais la tâche (harassante, apparem¬ment) des « devoirs « conjugaux.

4. Saint-Preux et Julie, élevés ensemble, ont des relations frère/soeur. D'où l'idée (excessive, prise au pied de la lettre) d'inceste. C'est à la fois délicatesse de sentiment et perversion du sentiment.

5. La question rhétorique permet, en impliquant la réponse de l'autre, d'obtenir son assentiment sans qu'il ait à le formuler. C'est un piège relativement adroit, qui s'apparente aux « questions fer-mées « (à réponse « oui/non «), destinées à éviter à l'interlocuteur de réfléchir.

Par ailleurs, la réponse évidente sous-entend que Julie et Saint-Preux pensent la même chose au même instant.

6. Les anacoluthes sont soulignées le plus souvent dans ce texte par l'in¬tervention, au milieu de la phrase, de points de suspension et d'excla¬mation (Julie... non! ma Julie à genoux! ma Julie verser des pleurs!...).

 

La combinaison de ces ponctuations émotionnelles et d'une rhéto¬rique appuyée (reprises : Ma Julie... Ma Julie/Permets, permets) a pour objet de mimer par écrit la voix en prise à l'émotion.

7. On en déduit que la lettre est le chaînon manquant entre oral et écrit : par son caractère supposé manuscrit, par la qualité de la gra¬phie (qui porte la marque de l'émotion), par la qualité même de l'or¬thographe parfois, elle est la voix posée sur le papier. D'ailleurs, il est remarquable que, dans une vraie lettre, on entende, à chaque fois qu'on la relit, la voix exacte de l'être aimé qui l'a rédigée.

On peut souligner ce que la rédaction d'un roman par lettres apporte dans un siècle — le )(ville — où l'on écrivait aussi souvent que l'on téléphone aujourd'hui — le parallèle allant de soi.

Chercher

9. Héloïse (1101-1164) était une jeune fille qui tomba amoureuse de son maître Abélard (1079-1142), philosophe et théologien du xlle siècle. La famille de la jeune fille, furieuse, fit châtrer Abélard, qui se retira à l'abbaye de Saint-Denis ; Héloïse, qui l'avait épousé secrètement, prit le voile. Ils échangèrent jusqu'à la mort d'Abélard une correspondance amoureuse et philosophique.

PROLONGEMENTS Travaux d'écriture

Après ces études ponctuelles et parfois très techniques, il est néces¬saire de revenir au point de départ de la lettre : comment convaincre l'autre de son amour ? On peut demander aux élèves de procéder à une lecture horizontale et de définir les points communs aux dis¬cours amoureux tels qu'ils se présentent dans ce petit corpus. On peut prendre appui sur les « caractères invariants du discours amou 

 

reux « définis par M. Daumas 1 et leur poser les questions suivantes : « Comment s'exprime le trouble ressenti (manifestations physiques, psychologiques) ? la soumission du locuteur à l'égard de l'autre ? sa détermination, sa fermeté d'âme ? la relation privilégiée entre les par¬tenaires (mots d'amour, serments...) ? la célébration d'un amour exceptionnel ? le rejet du seul désir physique ? «

En prolongement à ces séances, on peut également proposer les travaux suivants :

Sujet d'invention : à partir d'une situation imaginaire, écrire une lettre relevant du judiciaire (accuser le partenaire d'avoir trahi la foi jurée/se défendre de l'avoir fait) ou du délibératif, soutenu par l'épi-dictique (engager l'autre à aimer l'auteur du discours ; faire des por¬traits élogieux de l'objet d'amour ainsi que du demandeur).

Sujet d'argumentation : la rhétorique empêche-t-elle la sincérité des sentiments amoureux ?

Par ailleurs, il est souhaitable d'inclure (soit en introduction à la séquence, soit en conclusion) une réflexion sur le support de la lettre. Les exemples analysés ci-dessus sont, par définition, des textes impri¬més. On fera réfléchir les élèves (on peut le faire sous forme écrite, avec une lettre d'amour imaginaire dont ils analyseraient et la stratégie et les signes complémentaires) sur ce qu'apporte le caractère générale¬ment manuscrit de la lettre d'amour : rôle de la graphie (reconnais-sance ou non de l'écriture) ; texture du papier (froissé, plié, usé, etc.) ; traces annexes (...cette lettre au papier jaunissant / Où l'on peut voir encor des larmes et du sang2); caractère portatif de la lettre, que l'on peut garder sur soi, lire et relire dans diverses situations — et, dès lors, le lieu ou les conditions de lecture modifient en quelque façon le mes¬sage —, ou faire partager à d'autres, brûler, déchirer, jeter, etc.

1 Op. cit.

2 Edmond Rostand, Cyrano de Bergerac, acte V.

 

 

4 Hendrick Andriessen, Vanité [LIVRE ÉLÈVE, P. I] Réponses aux questions

1. À partir du xvr siècle, les peintres pratiquent volontiers un genre pictural qui est la vanité — représentation d'un crâne humain, sou¬vent couplé à divers attributs : fumée, bijou, papillon, tous symboles de la « vanité « des occupations humaines. L'origine de ce terme est religieuse ; c'est une référence à un chapitre de la Bible (l'Ecclésiaste : « Vanité des vanités, tout est vanité « ; « Tu es poussière et tu retour¬neras à la poussière «). Aujourd'hui, la référence à la Bible est pour l'essentiel perdue. Le bijou peut connoter pour nous le luxe, la volupté, mais rarement la fuite du temps et la « vanité « humaine.

2. Dans ce tableau, les symboles de la fuite du temps (la lampe à huile, la bulle, le bouquet de fleurs séchées) se combinent avec les symboles de la futilité des plaisirs éphémères (la pipe qui ne produit jamais que de la fumée, le papier porteur des illusions de commu¬nication). Le crâne assure en revanche la certitude de la mort. Mais la rose, symbole de résurrection, tient, au-dessus du crâne, le discours rassurant de la «vie éternelle «.

 

r Louis David, Sacre de l'empereur

Napoléon ier [LIVRE ÉLÈVE, P. II]

Réponses aux questions

1. Le 2 décembre 1804, Bonaparte se fait sacrer Empereur des Français par le pape Pie VII.

2. David, peintre officiel du régime, est chargé d'immortaliser l'évé¬nement dans une toile gigantesque. Ancien révolutionnaire, violem¬ment anticlérical, le peintre choisit le moment où l'empereur, déjà couronné, prend le diadème d'impératrice des mains du pape pour couronner lui-même sa femme Joséphine.

3. Toile de très grande dimension, un tel tableau ne peut être accro¬ché que dans un espace officiel : il y tiendra donc un discours per¬manent sur la majesté impériale, et le pouvoir de Napoléon, supérieur à celui du pape.

4. On remarque que le peintre (qui s'est discrètement représenté dans une loge) a « cadré « la cérémonie comme un théâtre, avec un parterre (à gauche et à droite) et des loges (au fond), dans une archi¬tecture monumentale qui ressemble fort au décor des pièces à suc¬cès de l'époque (voir les pièces «à l'antique« de Népomucène Lemercier, par exemple). Ce faisant, le peintre inscrit Napoléon dans un contexte héroïque — et, par avance, dans un contexte tragique, auquel l'Empereur aura effectivement le souci de se conformer [LIVRE ÉLÈVE, P. 113].

 

4 Gustave Courbet, L'Atelier du peintre

[LIVRE ÉLÈVE, P. III]

Réponses aux questions

1. Le tableau est une allégorie dans la mesure où il met en scène les groupes sociaux et esthétiques qui ont déterminé les options de Courbet. Exécutée en 1854-1855, refusée au Salon officiel, cette toile fit grand scandale. Courbet s'y représente, au centre, en pleine acti¬vité réaliste (le réalisme de Courbet, dans un monde habitué aux interprétations romantiques, passa fort mal).

2. Devant le peintre, un enfant, symbole du regard neuf qu'il demande à son public. Derrière la toile, un modèle académique, rejeté dans l'ombre, méprisé, et une tête de mort posé sur le Journal des débats, organe de la pensée officielle. Derrière le modèle, regar¬dant directement la toile et le travail de l'artiste, les amis les plus proches (entre autres : le barbu Bruyas, mécène montpelliérain qui aida toute sa vie Courbet, Champfleury, théoricien du réalisme, et Baudelaire, plongé dans sa lecture). À l'extrême gauche (situation qui n'est pas un hasard, pour le très socialisant Courbet, futur acteur de la Commune de Paris), la pauvreté, la misère — le peuple.

3. On remarquera qu'aucun personnage ne sourit, ni ne donne l'im-pression de communiquer : Courbet, témoin de son temps, peint une société figée en strates, dans une atmosphère énigmatique. Alors, allégo-rie de quoi ? sinon de la place centrale de la peinture dans la représenta-tion, l'opposition entre la culture (à droite sur le tableau) et un peuple analphabète, le refus des bourgeois rejetés dans l'ombre, et l'exaltation du corps féminin dont toute sa vie Courbet se fera le chantre.

4. Le tableau est par essence une « mise en abyme « de la représen¬tation elle-même, le peintre mettant en scène une technique (la pein 

 

ture est un métier), plutôt qu'un sujet que lui auraient fourni les Muses. Le réalisme, c'est aussi de représenter la représentation, en se refusant de donner l'illusion d'une fiction.

Publicité [LIVRE ÉLÈVE, P. IV]

Réponses aux questions

1. Au jeu des sept erreurs, on remarque que, dans l'image de droite, le visage de la jeune femme est légèrement relevé vers la droite (fait évident quand on observe que la masse des cheveux pend davantage sur l'épaule droite). Elle est, par ailleurs, un peu plus tournée vers nous (le fait est manifeste si l'on observe l'espace, dans les deux images, entre le bout du nez et l'angle interne de l'oeil). La coiffure, apparemment identique, est agrémentée de mèches qui indiquent une diagonale et permettent de dynamiser l'image. De manière plus évidente, la bouche est entrouverte, dans une invite peu équivoque. Enfin, la pupille a sans doute été modifiée artificiellement pour paraître un peu plus dilatée, signe clinique du désir.

En revanche, le visage de l'homme n'a pas changé : seule la légère différence de cadrage donne l'impression d'une modification.

Il peut paraître paradoxal, lorsqu'on y pense, que « l'effet-lentilles « (discours officiel de la publicité SofLens) se lise non sur l'autre, mais sur celle qui porte les lentilles. Il faut imaginer qu'elle répercute, en fait, l'effet de l'effet — c'est-à-dire les deux discours différents tenus par l'homme.

2. De ce point de vue, le discours de gauche joue sur la fonction dénotative du langage : l'homme énonce un fait à peine teinté de subjectivité (« belles« lunettes). En revanche, à gauche, c'est la fonc 

 

tion connotative du langage qui est activée, puisque le dialogue est la reprise de l'échange célèbre entre Jean Gabin et Michèle Morgan dans Quai des Brumes, le film de Marcel Carné (1938), chef-d'oeuvre du « réalisme poétique « cher à Jacques Prévert, le scénariste. On se rappelle que le dialogue originel est : « T'as d'beaux yeux, tu sais... «, à quoi Michèle Morgan répondait : « Embrassez-moi « (ce n'est qu'après ce premier baiser qu'elle passe au tutoiement et demande : « Embrasse-moi encore... «). La référence publicitaire n'est donc pas totale : c'est un « clin d'oeil « — logique dans une publicité pour pro¬duits d'optique...

3. « Les autres « (au pluriel), ce n'est pas seulement l'homme de la photographie (il est à remarquer que la femme ne le regarde pas directement), mais ceux qui voient l'image — nous autres. Nous sommes les cobayes de la séduction publicitaire. Et si les informa-tions « objectives « sont en tout petit, c'est qu'elles comptent bien moins que la charge subjective : cette publicité joue sur une séquence « attachement / passage à l'acte / apprentissage « — ce que l'on appelle, dans le jargon, «la théorie de l'impulsion enfantine« [LIVRE ÉLÈVE, P. 57] : ce qui compte, c'est la séduction, non l'information — le nom du fabricant est secondaire.

 

 

BIBLIOGRAPHIE

Sur l'argumentation

· Essais

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http://www.assemblee-nationale.fr/histoire

(Beaux morceaux d'éloquence parlementaire.)

http://www.senat.fr/evenement/archives/

http://www.academie-francaise.fr/immortels/index.html (Les discours de l'Académie.)

 

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