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Le long chemin de l'ancien glacis soviétique vers l'Union européenne

Publié le 17/01/2022

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9 novembre 1999 Dix ans après la chute du mur de Berlin, l'Europe de l'Est offre une image contrastée. Les négociations engagées par plusieurs de ces pays en vue de leur intégration un jour dans l'Union européenne font apparaître des évolutions très différentes d'un pays à l'autre sur les réformes engagées pour que leurs demandes d'adhésion aient un sens. Mais, à l'exception des Balkans, la crainte de voir la région sombrer avec la chute du bloc communiste dans une anarchie attisée par les nationalismes et l'effondrement du système d'économie planifiée appartient au passé. La démocratie parlementaire s'est imposée très largement, même si cela n'a pas toujours été sans mal. Tous les pays n'avaient pas un Vaclav Havel comme président à Prague, ou la foi démocratique chevillée au corps des héritiers du mouvement Solidarité en Pologne. La Slovaquie, que l'ancien premier ministre Meciar a tenu jusqu'en 1998 sous sa coupe après avoir présidé à la séparation de l'ensemble tchécoslovaque, a longtemps fait figure de mouton noir. Du même coup, elle s'était vue reléguée, malgré une situation économique plutôt satisfaisante, dans le second peloton des candidats à l'élargissement de l'Union européenne. L'arrivée au pouvoir de l'ex-opposition démocratique paraît désormais avoir mis la Slovaquie sur la bonne voie. La Roumanie, qui éprouve toutes les difficultés du monde à sortir du chaos dans lequel elle avait été plongée par le régime Ceausescu, a longtemps tremblé devant les milieux proches de l'ancienne nomenklatura, qui pouvaient s'appuyer le cas échéant sur des forces obscures, comme le syndicat des mineurs. En parvenant à stopper au début de l'année la dernière marche des "gueules noires" sur Bucarest, le gouvernement paraît néanmoins là aussi avoir passé un cap. UN PUISSANT LEVIER La volonté de ces pays d'entrer dans le système de défense intégrée de l'Alliance atlantique, puis de s'ouvrir les portes, un jour, de l'Union européenne, a été un puissant levier pour les convaincre de ne pas s'écarter des règles que les Occidentaux souhaitaient les voir appliquer dans la résolution de leurs conflits potentiels. Le problème des minorités hongroises de Roumanie et de Slovaquie, qui a créé de sérieuses tensions avec Budapest au début des années 90, a ainsi pu être résolu par la voie de la négociation. La Hongrie y a gagné dans un premier temps son adhésion à l'OTAN, de même que la Pologne et la République tchèque, en 1999. Un objectif qui leur était cher pour se rassurer contre d'hypothétiques visées belliqueuses de la Russie. Les autres Républiques de l'Est devront attendre. La guerre des Balkans, que les Européens ont été incapables d'endiguer lors de l'éclatement de la Yougoslavie en 1991, est là pour montrer que les craintes de chaos étaient loin d'être totalement injustifiées. Surtout dans les pays qui n'avaient pas connu avant guerre d'expérience démocratique consolidée, l'effondrement du bloc soviétique ouvrait la voie aux appétits de pouvoir de toutes sortes de mafias plus ou moins liées aux régimes communistes antérieurs et qui entendaient bien ne pas se laisser écarter. C'est ce qui s'est passé en Serbie et dans une moindre mesure en Croatie. Slobodan Milosevic a su s'appuyer sur un nationalisme exacerbé qui a resurgi avec une force que l'on n'avait pas prévue. Avec les conséquences que l'on sait pour la région : une décennie de guerres et de purification ethnique en Croatie, Bosnie-Herzégovine et au Kosovo ; une déstabilisation économique dont l'ensemble des pays, à commencer par la Serbie, vont avoir le plus grand mal à se sortir. L'intervention militaire occidentale au Kosovo est loin d'avoir encore réglé le problème. Elle a néanmoins marqué une prise de conscience : on ne pouvait laisser la Serbie indéfiniment bafouer tous les principes que l'on s'était efforcé de faire accepter ailleurs sans risquer de se déjuger. Elle a relancé le débat sur la nécessité d'offrir à tous les pays du continent européen une perspective claire de pouvoir rejoindre l'Union, et en attendant, sur l'urgence d'accentuer les efforts pour les y préparer. Les Balkans, qui avaient été exclus jusque-là du processus d'élargissement en raison de leur incapacité à sortir de la crise, se sont vu proposer un Pacte de stabilité . Dans le même temps, il a été convenu entre les Quinze de resserrer les liens avec les pays candidats qui n'avaient pas été jugés capables de commencer de véritables négociations. En décembre, à Helsinki, le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens doit officiellement inviter la Slovaquie, la Roumanie et la Bulgarie, la Lettonie et la Lituanie, Malte et en principe la Turquie, à entrer à leur tour dans le processus de négociation engagé en mars 1998 avec la Pologne, la Hongrie, la République tchèque, l'Estonie, la Slovaquie et Chypre. ACCÉLÉRATION Cette accélération n'est pas sans poser de problème. Elle va accroître la pression sur les Européens d'accepter d'intégrer les premiers candidats, alors que, même dans les pays qui paraissent les plus mûrs, les problèmes demeurent considérables. Leur niveau de vie et leur produit intérieur brut restent largement inférieurs à ceux des Quinze. En entrant dans le concert européen, ces pays voudront aussi faire entendre leur voix, comme l'a écrit le président Havel : "Il doit être clair que l'époque où les grands et les puissants décidaient du sort des petits et des moins puissants, et où ils divisaient le monde en sphères d'intérêts et d'influence, est maintenant révolue ." Des pays comme la Pologne et la Hongrie aspirent à se doter de rôles régionaux. La Pologne se perçoit comme un pôle d'attraction pour l'ancrage à l'Ouest, un jour, de l'Ukraine et même de la Biélorussie. Dix ans plus tard, l'Est européen est bien plus fragmenté et contrasté qu'il ne l'était sous une chappe communiste vouée à l'uniformisation. Dans ce large espace s'étirant entre l'Allemagne et la Russie sont apparus onze nouveaux Etats indépendants, et le Monténégro pourrait bientôt devenir le douzième. Les négociations vont les faire rentrer au compte-gouttes, l'un après l'autre, dans l'Union. Pour certains, cela prendra des années, avec le risque que se pérennisent de nouvelles lignes de fracture. HENRI DE BRESSON ET NATALIE NOUGAYREDE Le Monde du 10 novembre 1999

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