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Le sud des Philippines en proie à la violence des rebelles musulmans

Publié le 17/01/2022

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3 mai 2000 La crise des otages détenus dans le sud des Philippines par des extrémistes musulmans a pris une tournure encore plus dramatique, mercredi 3 mai, à l'occasion de combats, avant l'aube, entre ravisseurs et militaires philippins. L'un des chefs du groupe Abu Sayyaf, qui détient 21 otages, dont 10 touristes étrangers, sur l'île de Jolo, a affirmé que deux captifs, une femme et un homme, étaient morts, l'un tué par une balle perdue et l'autre d'une crise cardiaque. Il n'a pas donné d'autres précisions, lors d'un entretien radiodiffusé. Nur Misuari, principal négociateur philippin, a aussitôt démenti cette information, affirmant qu'il y avait seulement deux blessés par balles parmi les otages, "l'un légèrement et l'autre un peu plus gravement". Le gouverneur provincial de la province de Suku, Abdusakur Tan, a affirmé ensuite que les otages "sont tous vivants". Des combats avaient déjà eu lieu mardi entre les quelque 2 000 soldats qui encerclent l'endroit où un demi-millier de rebelles sont retranchés avec leurs prisonniers. Les séparatistes islamistes avaient alors menacé de décapiter deux otages si l'armée ne s'éloignait pas et poursuivait ses attaques. Lundi, un otage allemand, Werner Wallert, avait déclaré à des journalistes philippins sur place : "Nous risquons nos vies et, si le gouvernement philippin tente d'avancer et de trouver une issue militaire, le sang coulera." Il avait ajouté : "Dès que l'armée est arrivée, le ravitaillement a été bloqué et il n'y a presque plus rien eu à manger." En dépit de fortes pressions internationales pour sauver les otages, les militaires philippins ne donnaient pas l'impression, mercredi en milieu de journée, de vouloir desserrer leur étau autour du repaire du groupe Abu Sayyaf, dans le centre de l'île de Jolo. Les rangs des rebelles se sont pourtant renforcés ces derniers jours puisqu'ils ne comptaient qu'une centaine d'hommes au départ. Un porte-parole du groupe a affirmé mardi que des soldats étaient visibles de leur camp, situé dans le village de Bandang. Mardi, une première fusillade avait éclaté au village de Tiis, à 1 kilomètre de distance. Un soldat avait été tué et quatre blessés, selon la police. Celle-ci a affirmé sur le moment que ces échanges de coups de feu avaient été le fruit d'un "hasard" et que l'armée n'avait pas l'intention de lancer une offensive. Le général Diomedo Villanueva, commandant de la zone Sud, a même estimé que les combats avaient été provoqués par une volonté des rebelles de "rompre leur encerclement". Les troupes demeureront sur place, a toutefois répété le colonel Ernesto de Guzman, chef d'état-major du commandement du sud des Philippines, ajoutant que les combats avaient eu lieu à bonne distance de la paillote où les otages sont censés être détenus. De leur côté, les ravisseurs ont réclamé, comme préalable à toute négociation, que l'armée cesse toute opération dans le secteur. Ils ont ajouté que, pour "pouvoir se concentrer sur les négociations concernant [un autre groupe d'] otages" détenus à Jolo, ils étaient prêts à remettre à la vice-présidente des Philippines, Gloria Macapagal Arroyo, les 27 otages, dont 22 enfants, capturés le 20 mars dans deux écoles de l'île voisine de Basilan. Le week-end dernier, l'armée a occupé le camp où étaient détenus ces otages, mais il était vide. Le siège de ce camp rebelle, à Basilan, a fait 10 morts et 52 blessés parmi les soldats. L'armée ignore, en revanche, le nombre des victimes dans les rangs des rebelles et reconnaît qu'elle n'a pas pu boucler le terrain pour éviter la fuite des séparatistes. Parmi les otages étrangers capturés le 23 avril sur une île au large de la côte de l'Etat malaisien de Sabah figurent deux Français, trois Allemands, deux Finlandais, deux Sud-Africains, une Libanaise ainsi que dix Malaisiens. FORTES PRESSIONS Les gouvernements concernés exercent de fortes pressions sur Manille pour éviter tout recours à la force. Jacques Chirac a jugé "essentiel" qu' "aucune action mettant en danger la vie des otages ne soit entreprise" dans une lettre adressée mardi au président philippin Joseph Estrada, lequel est attendu à Paris en juin. Lionel Jospin a affirmé que son gouvernement était "totalement mobilisé" pour obtenir la libération des otages. Un émissaire français est attendu à Manille. L'Allemagne et la Finlande affichent une fermeté identique. Mais la marge de manoeuvre dont dispose Joseph Estrada semble bien étroite. La rupture des négociations et la reprise des combats, sur la grande île méridionale de Mindanao, avec le Front Moro islamique de libération (FMIL), la principale rébellion musulmane, marque l'échec d'un processus de paix amorcé en 1996 avec le concours d'une médiation indonésienne. Le FMIL compterait quelque 15 000 hommes bien armés, alors que les effectifs du groupe Abu Sayyaf sont évalués à 1 000 hommes. Au cours d'une opération préparée de longue main et appuyée par des hélicoptères dotés de lance- roquettes, l'armée tente, cette semaine, de prendre le camp Abubakar, principale base du FMIL. Ce dernier a déjà contre-attaqué en s'emparant de deux villages. Mercredi, il se serait emparé des 70 passagers d'un autobus qu'il utiliserait, selon les militaires, "comme boucliers humains". Le FMIL a cependant fait savoir qu'il était prêt à reprendre des négociations à ses yeux seulement "suspendues". Enfin, mercredi, trois explosions ont eu lieu au sud de Mindanao dans la ville de General- Santos, sur le port, près de la mairie et sur le marché, faisant au moins 15 tués et une trentaine de blessés. Ces explosions, mercredi à 10 heures (heure de Paris) n'avaient pas été revendiquées. D'un côté, les Philippines souhaitent apparemment faire preuve de fermeté. Nur Misuari, fondateur du Front Moro de libération nationale (FMLN), collabore avec Manille depuis son élection, en 1989, à la tête d'une région autonome pour les musulmans de Mindanao, qui regroupe quatre des treize provinces méridionales des Philippines. Mais il n'a aucune autorité sur le FMIL, créé en 1978 par des dissidents du FMLN, et encore moins sur le groupe Abu Sayyaf, des extrémistes qui ont officiellement rejeté ses efforts de médiation dans la crise des otages. Entre ces trois mouvements, censés représenter les quelque 6 millions de musulmans philippins, des liens demeurent, par le biais de relations familiales ou de luttes passées menées en commun. Il n'y a pas de ligne nette de fracture au niveau des militants, dont les objectifs vont de la réelle autonomie à l'indépendance. Les divergences sont, en revanche, nettes au niveau des directions : le groupe Abu Sayyaf est considéré comme faisant partie d'un réseau international terroriste qui serait financé, entre autres, par le milliardaire d'origine saoudienne Oussama Ben Laden. JEAN-CLAUDE POMONTI Le Monde du 4 mai 2000

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