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Le suicide du failli

Publié le 22/02/2012

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30 avril 1945 - La scène se passe dans un Berlin qu'on a peine à imaginer, Sodome rasée par le feu du ciel où, entre deux explosions, quelques ombres jaillissaient d'un pan de mur. La veille, le 29 avril, Hitler avait dicté avec minutie son " testament " à sa secrétaire, Frau Junge : " Il est faux que j'aie voulu la guerre. Elle a été désirée et provoquée exclusivement par les politiciens internationaux de race juive ou travaillant dans l'intérêt des juifs... " Ultime obsession, dernier fantasme que suivra seulement le mariage, étrange souci bourgeois de " régularisation " en pleine apocalypse : " J'ai décidé de prendre pour épouse la jeune fille qui, après de nombreuses années de fidèle amitié, est venue de plein gré dans cette ville presque encerclée pour partager mon destin. Elle mourra avec moi, selon sa volonté, en qualité d'épouse... " Pour clore son destin individuel, l'homme du désastre retrouvait, pour le coeur et les convenances, les deux mots fatals de règne : la fidélité et la mort, exaltés jusqu'à la démence collective dans le patrimoine germanique. Dans le labyrinthe de béton du bunker, peuplé d'officiers hagards, de plantons et de secrétaires épouvantés, l'attente devenait intolérable. Le dernier espoir avait été brisé par la " trahison " d'Himmler. Le " treue Heinrich ", en proposant la capitulation aux Occidentaux, avait provoqué chez Hitler une véritable crise de fureur. Il fallait saisir la dernière occasion de déguiser l'échec en outrage puisqu'il n'était pas possible de demander, comme les jours précédents : " Que fait l'armée de Heinrich ". L'effondrement de la dernière " fidélité " -celle du fourbe chef des SS-justifiait enfin un suicide de failli, travesti en départ volontaire du génie déçu par l'ingratitude humaine. Le 30 avril, levé exceptionnellement tôt, Hitler écoute le rapport du SS Brigadefürer Mohnke sur la bataille de Berlin : tout sera fini dans vingt-quatre heures. Il déjeune avec Eva Braun, deux secrétaires et la cuisinière. Le valet qui les sert dira que la conversation fut " banale ". Après un dernier adieu, M, et Mme Adolf Hitler se retirent dans leur chambre. Vers 15h30, une explosion. Sur le canapé, le Führer s'est tiré une balle dans la tête avec son Walther 7.65. Eva Braun s'est empoisonnée. Le docteur Strumpfegger constate le décès. Les deux cadavres dans des couvertures sont placés hors du bunker, près d'une petite tour d'observation. Erich Kempka, Le chauffeur de Hitler, a réussi à se procurer 180 litres d'essence. Les flammes montent. Comme si le feu lui-même ne pouvait dissiper d'un coup la grande peur, toute une mythologie macabre va s'ébaucher : squelettes " mal identifiés ", autopsies " secrètes " menées par une " commission médicale " soviétique... Et si Hitler n'était pas mort ? Mais le pantin halluciné qui, sur la photographie célèbre, passe en revue des recrues de quatorze ans ne sera pas gratifié-fût-ce par les derniers admirateurs-d'une survie mythique. Personne, en Allemagne, n'attend de le voir resurgir comme le fabuleux empereur Barberousse. Le 30 avril 1945-signe de l'irrémédiable faillite-, tout est mort : homme, oeuvre et légende.

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