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« le surnaturel naît souvent de ce que l'on prend le sens figuré à la lettre. » Todorov

Publié le 16/09/2006

Extrait du document

 

 

           Todorov dans son introduction à la littérature fantastique a élaboré une approche du genre fantastique en définissant  les contraintes du genre. Dans son analyse il a confronté les intentions de l’auteur et la perception de l’œuvre par le lecteur. Aussi, a t’il écrit « le surnaturel  naît souvent de ce que l’on prend le sens figuré à la lettre. «. Nous étudierons en quoi l’identification d’un décalage entre la fiction et la réception par le lecteur apporte un nouvel éclairage par rapport aux définitions antérieures du fantastique. Nous détaillerons ensuite précisément le fonctionnement  du fantastique qui selon Todorov naît de ce contresens consenti dans l’interprétation par le lecteur. Enfin nous verrons en quoi toute lecture induit une relation spécifique entre le lecteur et la fiction romanesque.

 

                 Todorov envisage le surnaturel comme l’éventuelle interprétation réaliste d’une narration fictive. Cette approche inscrit le lecteur dans une perception directe du texte et exclut la révélation d’un sens connoté.

           Ce contresens supposé du lecteur rejoint la caractérisation du fantastique énoncée par Pierre-Georges Castex qui dans son ouvrage « le conte fantastique en France « écrit « le fantastique ne se confond pas avec l’affabulation conventionnelle des récits mythologique et des féeries. Il se caractérise au contraire par une intrusion brutale du mystère dans la vie réelle. « Il faut effectivement distinguer le fantastique du mythe ou du merveilleux, cette différence apparaît au niveau du cadre spatio-temporel du récit. Dans un récit merveilleux, les personnages sont vagues et lointains, toute tentative de rationalisation par le lecteur est exclue, le récit accède directement à l’imaginaire du lecteur qui n’oppose aucune résistance, tout peut être envisagé. Dans un mythe, le récit se déroule sous l’égide des Dieux qui imposent aux héros leur influence, infligeant des obstacles, manipulant ainsi leur destin. La dimension divine est une réponse suffisante aux tentatives d’interprétation réaliste du mythe. Ainsi Roger Caillois, sociologue et Mythologue présente t’il le fantastique comme une évolution du merveilleux. Il explique que si le féerique s’ajoute au monde, « le fantastique manifeste un scandale, une déchirure dans le réel. « Le prodige est inscrit dans un contexte réaliste mais il fait peur parce que la science l’en bannit. En effet, dans un récit fantastique le cadre spatio-temporel est le plus réaliste possible et le protagoniste souvent banal. Alors que les contes merveilleux sont souvent introduits par la phrase « il était une fois ...« et se poursuivent par la description d’un lieu lointain qui exclut une relation avec le réel, les récits fantastiques sont intégrés dans la description d’un contexte concret qui ancre le récit dans la réalité. Les nouvelles de Maupassant comme « le Horla « ou « Qui sait « sont les récits d’événements étranges qui surgissent dans le quotidien et l’environnement des héros. Parfois, c’est lors d’un séjour dans un espace nouveau qu’il découvre que le héros est surpris par le surnaturel, c’est dans ce contexte que l’aventure de Mrs Gose est décrite dans « L e tour d’écrou « de  Henri James. Todorov met en évidence le rôle de l’interprétation dans la caractérisation de ce qui est surnaturel. Il explique aussi, que le fantastique, « c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement apparemment surnaturel «. Face à un événement inexplicable le lecteur est obligé soit de le qualifier d’imaginaire ou bien d’admettre l’existence du surnaturel.

           Le fantastique qui était précédemment caractérisé par l’émergence d’une perturbation du rationalisme dans le récit, est selon Todorov soumis au jugement du lecteur. Néanmoins, si Todorov admet que le fantastique  est construit autour d’un personnage et d’un élément perturbateur qui bouleverse son équilibre, selon lui,  c’est la réception par le lecteur qui définit le genre.

           Todorov dans son analyse du fantastique a ouvert l’approche de la forme à la question de la réception du récit. Ainsi le fantastique ne peut se réduire à une analyse thématique ou formaliste, elle doit être envisagée du point de vue du lecteur.

 

                 Nous allons maintenant étudier les modalités de la réception du récit fantastique par le lecteur. Evidemment, celle-là ne se limite pas à la notion d’adéquation avec les valeurs du lecteur. Nous envisagerons maintenant l’étude des techniques narratives et leur impact sur le lecteur qui est soumis à une double perception comme l’écrit Madame de Deffand « je ne crois pas au fantôme mais j’en ai peur «.

           Effectivement, on peut s’interroger sur les critères qui permettent au lecteur d’entrer dans « l’irréalité intellectuelle « qui est l’objet de l’œuvre fantastique et le mobile de l’auteur. La position d’irréalité se double d’une motivation réaliste et l’incertain fait irruption dans un univers devenu familier. Lorsque le narrateur est à la première personne, il sait que caractère incroyable de son histoire l’empêchera d’être cru, alors il intègre le lecteur dans son récit. Ainsi dans le récit de la nouvelle de Théophile Gauthier « Le pied de la momie « , lorsqu’il décrit la boutique de l’antiquaire ou se trouve l’objet surnaturel, l’auteur interpelle le lecteur en ces termes « vous avez sans doute déjà vu … «. Le récit fantastique doit présenter l’illusion de façon convaincante et subtile, en utilisant des détails qui fixent le récit dans la réalité à laquelle le lecteur adhère, mais le récit ne doit pas se confondre avec une vérité vérifiable. C’est aussi par le choix de la discontinuité dans la narration que l’auteur obtient l’adhésion du lecteur, utilisant les répétitions, jeux de miroirs et fausses progressions. L’auteur trompe ainsi l’attente du lecteur, jette la confusion, fait croire à la solution d’énigmes insolubles. Il ajoute ensuite, l’inquiétude à la peur pour confirmer  l’autonomie de l’imagination du lecteur. Les échanges entre Mrs Gose et la gouvernante dans le tour d’écrou de Henri James sont des bribes de révélations non achevées qui entretiennent le caractère mystérieux des faits et invitent le lecteur à accompagner Mrs Gose dans sa quête  d’élucidation de l’inconnu. L’œuvre fantastique multiplie les indices de révélation pour finalement ne rien faire découvrir. Effectivement c’est ce voyage vers l’étrange conduit par le narrateur qui le jalonne d’observations, de révélations qui permet au lecteur un passage vers quelque chose d’inconnu. Le récit fantastique évoque souvent des êtres fantastiques qui incarnent la mort, une dimension invisible, effrayante qui peut faire irruption à tout moment dans le quotidien. Sans définir à proprement parler de thématique fantastique le lecteur retrouve des scénarios récurrents comme le pacte avec le diable, l’âme en peine qui vient chercher vengeance ou réparation, la malédiction, la chose indéfinissable. Ces éléments  font appel aux références culturelles de chacun. C’est ce qu’exprime Georges Sand lorsqu’elle écrit «  le monde fantastique est au fond de nous, chaque personne le porte en soi «. Cette matière fantastique est marquée par la mort, les récits fantastiques se déroulent dans un climat d’épouvante et se terminent presque inévitablement par la mort, la disparition ou la damnation du héros. L’objet fantastique émerge dans un univers régi par le principe de causalité qui progressivement va être entamé par le récit malgré les efforts du narrateur  garant de la vraisemblance du récit. Le lecteur s’ouvre progressivement à d’autres mondes possibles, le temps de la lecture.

           De par sa structure, la superposition d’aspects réalistes et imaginaires, le récit fantastique permet au lecteur un parcours dans un monde ou l’irrationnel est acceptable, ou il est envisageable comme possible.

                 Todorov écrit que « c’est le lecteur qui définit le surnaturel en prenant le sens figuré à la lettre «. Or, tout roman est une fiction envisagée via un pacte de lecture qui unit le lecteur et l’auteur.

           Dans son ouvrage « Fiction et diction « Gérard Genette écrit « l’énoncé de la fiction n’est ni vrai, ni faux mais seulement « possible « « Le fantastique qui combine réalité et imaginaire adhère pleinement à cette définition. Ce  « possible «, cette crédulité que le narrateur cherche à conquérir chez le lecteur est sollicitée par les caractéristiques stylistiques que nous avons évoquées. La fiction est l’objet de cet acte de croyance du lecteur qui accepte les choses, les tient pour acquises le temps de la lecture. Mais le plaisir joue également un rôle essentiel dans la perception de la fiction. Le texte de fiction crée chez le lecteur un état mental scindé qui lui permet de s’évader et d’intégrer de nouvelles représentations. Le simulacre est une des composantes de ce pacte de lecture, c’est ce que Paul Veyne, qualifie de conduite cognitive qui active des croyances fantastiques et superstitieuse. Cette acceptation du non réel consentie par le lecteur fait fonctionner le récit comme un témoin symbolique de faits métaphysiques. Jouant avec les croyances, le lecteur joue avec sa peur. Cette expérience de la peur est maîtrisée par l’espace imposé par la fiction. Le lecteur actualise le texte en fonction de ses croyances et de son monde référentiel aboutissant à l’émergence d’une émotion confortée par la mise en image des éléments de la narration. Le lecteur opère cette construction émotive par participation empathique au monde du texte et son implication dans des situations narratives empreintes d’émotion, comme les apparitions des spectres dans le roman « Le tour d’écrou «. On peut alors évoquer  ce sentiment de vertige, l’illynx,  qui détruit la stabilité de la perception et impose une sorte de panique voluptueuse.

           Nous l’avons vu, le lecteur d’un récit fantastique dans  un pacte de lecture consenti, avance avec le narrateur dans la fiction. Cette démarche qui apparaît comme une adhésion globale à la fiction est orientée vers le plaisir que lecteur éprouve dans sa relation avec ses peurs.

 

                 Todorov a proposé une nouvelle approche du fantastique qui au-delà des caractéristiques même du texte est  soumis à l’interprétation du lecteur. Selon lui, le fantastique existe dans cette hésitation du lecteur entre réalisme et imaginaire. Si la structure du texte conduit à l’émotion du lecteur, cette émotion ne peut être le seul fait de l’habileté de l’auteur et de l’acceptation de la fiction au sens propre. C’est par un pacte de lecture consenti que le lecteur simule l’adhésion et entre dans un procès ou jouant avec les croyances, il joue avec sa peur dans une sensation mélangée de peur et de plaisir. Aussi sommes nous en accord avec Roger Caillois qui déclare que le fantastique n’a pas pour intention de faire croire à la réalité des fantômes. Pourtant qui de nous à la lecture d’un récit fantastique ne s’est-il pas dit « Et si c’était vrai «.

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