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L'équipée de Narvik

Publié le 17/01/2022

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28 mai 1940 - " La route permanente du minerai de fer suédois vers l'Allemagne est et restera coupée. " Devant les députés, le 11 avril 1940, Paul Reynaud était sûr de lui. Pourtant, non seulement la route du fer n'était pas totalement coupée, mais surtout, six semaines plus tard, Anglais et Français devaient décamper de Narvik à peine conquise. Le 26 avril, devant les Britanniques, le nouveau président du conseil avait été ferme : " Deux vérités doivent être présentes à nos esprits. Il faut voir grand ou renoncer à faire la guerre. Il faut agir vite ou perdre la guerre. " Comme son énergie se révélait impuissante à croiser le fer sur le front nord-est, il lui restait à continuer la guerre économique et à reprendre à son compte une stratégie périphérique, avec les deux obsessions prioritaires des responsables politiques et militaires français : le pétrole soviétique et le minerai de fer suédois. C'est l'abordage de l'Altmark qui allait mettre au premier plan l'enjeu stratégique de la Scandinavie. Lorsque le croiseur allemand Graf von Spee avait été contraint par la Royal Navy de se saborder dans le Rio de la Plata, son navire auxiliaire, l'Altmark, avait embarqué à fond de cales 299 Anglais survivants des combats. Comme on avait repéré l'Altmark, réfugié dans un fjord, alors que la marine norvégienne niait la présence des Anglais à son bord, le 16 février Churchill donnait l'ordre au croiseur Cossak d'aller inspecter l'Altmark l'Altmark avait été pris à l'abordage, et l'on avait découvert les soldats anglais : la neutralité norvégienne était pour le moins élastique. L'affaire fit grand bruit et donna des arguments nouveaux aux tenants d'une intervention : on décida enfin le mouillage des mines, avec l'accord des Français, qui, à défaut des champs enflammés de Bakou, s'étaient rabattus sur la route du fer la réaction prévisible du Reich donnerait aux Alliés un bon prétexte pour contrôler la Norvège tout en ne violant pas officiellement sa neutralité. Mais Hitler devança l'opération. Il semble bien que l'affaire de l'Altmark, qui le mit dans une grande rage, l'ait définitivement convaincu des visées britanniques sur la Scandinavie, et donc de la nécessité de contrôler la Norvège avant de déclencher l'offensive dans les Flandres à la fin février, son état-major préparait dans le plus total secret, pour le 9 avril, l'opération " Weserübung ", dont le Führer disait que c'était " l'une des opérations les plus culottées de l'histoire de la guerre moderne " : les forces allemandes s'empareraient du Danemark (car la Luftwaffe avait besoin de ses aérodromes) et des principales villes norvégiennes. Le 9 avril, deux jours après que la Royal Navy eut mouillé ses mines, en moins de quatre heures, blindés, parachutistes et commandos de marine réduisaient à merci le Danemark, où le roi Christian X acceptait de " placer sa neutralité sous la protection de l'Allemagne ". Dans la même journée, les principales villes norvégiennes - Oslo, Bergen, Trondheim - étaient investies et Narvik était prise. Hitler accepta alors, le 10 juin, à défaut de pouvoir mettre la main sur le gouvernement légal, que Vidkun Quisling, le chef du Rassemblement national, forme un gouvernement pour " collaborer " avec le Reich. L'homme, né en 1887 dans la famille d'un pasteur, avait de la personnalité mais, d'un séjour en URSS, il était revenu profondément anticommuniste et avait fondé en 1933 un authentique parti fasciste, anticapitaliste et raciste, qui n'avait rencontré aucun succès. Le discours sacrilège de Quisling : " Norvégiens, Norvégiennes ! L'Angleterre a violé la neutralité de la Norvège en mouillant des mines dans les eaux territoriales norvégiennes [...]. Le gouvernement allemand a offert son aide au gouvernement norvégien, accompagnée [...] d'assurances solennelles concernant le respect de notre indépendance nationale ", qui allait souder la classe politique dans le refus de l'ultimatum allemand. Deux hommes organisèrent très efficacement la résistance aux pressions allemandes : le roi Haakon VII, qui montra, malgré ses soixante-dix ans, beaucoup de fermeté et le président du Storting (la Chambre), Carl Hambo, qui prit les initiatives nécessaires pour que parlementaires et ministres délibèrent hors de portée des obus allemands. A bien des égards, la jeune démocratie norvégienne, indépendante depuis 1905, se montrait plus mature, politiquement, que la vieille démocratie française, confrontée, à la fin de juin, aux mêmes choix. Et pourtant rien ne fut facile : roi, ministres et parlementaires, poursuivis par les Allemands, gagnèrent la ville de Hamar, à 130 kilomètres d'Oslo, puis Elverum, pour se réfugier ensuite dans un petit village, Nybergsund, immédiatement bombardé par la Luftwaffe, avant de gagner, toujours sous les bombes, le port de Molde, pour s'enfoncer vers le nord à bord d'un destroyer britannique, le Glasgow. Le Reich avait, il est vrai, contraint Quisling à démissionner, le 15 avril, au bout de six jours. Mais la quasi-totalité des responsables norvégiens refusaient de " collaborer ", d'autant qu'était annoncée la venue d'un Gauleiter brutal, Joseph Terboven. Avec beaucoup d'hésitations, le roi Haakon, le prince héritier, bon nombre des ministres, s'embarquaient pour l'Angleterre le 7 juin en compagnie de Sir Cecil Dromer, l'ambassadeur anglais à Oslo, qui avait su se montrer persuasif. Paradoxes A la grande fureur de Hitler, la classe politique norvégienne avait donc joué la carte anglaise. Elle aurait été en droit d'obtenir des Franco-Britanniques des secours concrets. On pensa alors que la prise de Narvik calmerait les opinions publiques anglaise et française et en imposerait aux neutres. L'opération avait été sans cesse différée, car les Allemands s'étaient solidement retranchés. On savait quels problèmes posait le climat. On décida de mettre le paquet, et le 12 mai, les légionnaires de la 13e demi-brigade et les chasseurs alpins s'emparaient de la position importante de Bjerkvik, face à Narvik. Mais c'était le 12 mai et, deux jours plus tard, les Français perdaient la bataille de la Meuse. L' " opération Narvik " fut maintenue : l'assaut fut donné dans la nuit du 27 au 28 mai mais l'état-major, vu le tour inquiétant que prenait la bataille de France, avait décidé d'évacuer la ville dès qu'elle serait conquise : ce n'est pas le moindre paradoxe de cette équipée scandinave. La ville tomba, et, le 7 juin, les Alliés rembarquaient deux jours après, les forces norvégiennes capitulaient. JEAN-PIERRE AZEMA Le Monde du 22 juillet 1989

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